A l'écoute de la Parole de Dieu
24e Dimanche du temps ordinaire (B) 15/09/2024
Is 50, 5-9a ; Ps 114 (116 A) ; Jc 2, 14-18 ; Mc 8, 27-35
Isaïe dresse ici le portait, souvent cité, du «serviteur souffrant», qui offre sa vie dans la plus totale confiance en son Dieu. L’Église l’applique à Jésus-Christ. On retrouve, chez le psalmiste, la même foi désintéressée en un Dieu de justice et de tendresse.
Pourquoi sommes-nous —comme le jeune homme riche attaché au «monde» par ses biens (Mt 19,16-22) — incapables d’un tel abandon. On en retrouve pourtant l’invitation dans beaucoup de nos prières, notamment le Pater : «Donne nous aujourd’hui notre pain quotidien». Cette demande, si on la prend au mot, supposerait qu’on ne fasse jamais de provisions, qu’on ne prévoit pas de réserves, que l’on s’en remette chaque jour directement à la main de Dieu pour tout ce qui nous est nécessaire, qu’on vive sans thésauriser. Quelle confiance cela manifesterait ! Même les saints n’ont pas souvent vécu un abandon matériel absolu. Rares sont ceux qui, comme Benoît-Joseph Labre (1748-1783) — le saint «vagabond de Dieu», pèlerin qui a marché 30.000 km à travers l’Europe, d’un sanctuaire à l’autre — ont vécu dans le dénuement complet. Il attendait chaque jour de quoi manger et, souvent, partageait le (très) peu qu’il avait avec d’autres pauvres.
Autre texte bien connu, le passage de l’épître de Jacques consacré aux «œuvres». Il induit une réponse raisonnable à la récurrente critique de la valeur des «mérites», et met nos «œuvres» à leur place. Faut-il se barricader dans sa foi ou s’investir dans une action censément généreuse ? La réponse de Jacques est celle du bon sens : «c’est par mes œuvres que je te montrerai ma foi [toi] montre-moi ta foi sans les œuvres». C’est une question d’équilibre. Nous avons tous connu des chrétiens militants d’une générosité totale et d’un désintéressement absolu qui, dans la fièvre de l’action, perdait le fil de ce qui les animait, oubliant l’indispensable temps du ressourcement dans de la prière. Mais nous avons aussi d’autres «croyants», tout aussi sincères, humbles, dévots, qui ne pensent qu’à «sauver leur âme», au point d’en oublier leurs frères.
Question essentielle abordée par l’évangile de Marc : «Et vous qui dites-vous que je suis ?» A moins de nous en remettre aux seules réponses du catéchisme, il faut bien se la poser. «Qui est-il ? Qui est-il pour moi ?». Pierre répond «tu es le Christ», c’est à dire le Messie, celui qui a été oint par le Père. au service des autres. En Israël, c’était le cas des rois. Le terme a même été appliqué par Isaïe (Is 45,1) à l‘empereur «païen» des Perses, Cyrus II : «Ainsi parle le Seigneur à son messie, à Cyrus, qu’il a pris par la main…». Cyrus a libéré les Juifs de leur exil babylonien et permis la reconstruction du Temple : «C’est moi qui ai fait surgir Cyrus selon la justice et j’aplanis tous ses chemins. C’est lui qui construira ma ville et laissera partir mes déportés sans paiement ni rançon » – dit le Seigneur de l’univers» (isaïe 45,13).
Il faut se garder de l’image que nous nous faisons du Christ, de projeter sur lui nos «valeurs» ou nos a priori. Manifestement Pierre n’a pas compris que Jésus n’était pas un roi au sens de la terre, dominateur et éventuellement «chef de guerre».
Un passage de Marc (Mc 8,32-33) ne laisse pas d’étonner le lecteur. Lorsque avec sa spontanéité coutumière, Pierre essaie de détourner Jésus de ce qui l’attend : souffrances et mort, il se fait rabrouer par Jésus. La scène se répète chez Matthieu (Mt 16, 21-23). C’est sans doute son amour du rabbi qui l’anime, ce qui est une réaction humaine (avis de saint Jérôme). Or la réaction de Jésus est brutale : «Arrière Satan» ; elle gène les nombreux interprètes de ce texte. Certains critiques, hostiles aux pouvoirs des papes, en ont même profité pour constater que ce rejet semblait contradictoire avec la position de «chef» de l’Église que Pierre va se voir attribué. Saint Hilaire de Poitiers (315-367) offre une interprétation apaisante. Lorsque le Christ dit «Passe derrière moi Satan», il ne s’adresserait pas à Pierre personnellement, mais au diable, toujours à l’affût, dont il perçoit l’influence.
Pour que les choses soient claires, Jésus précise à la foule présente et sans doute étonnée de cette algarade, qu’être disciple n’est pas une sinécure : «Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix…». Dont acte.
Le christianisme n’est pas facile à vivre en vérité. La voie est étroite et le chemin caillouteux. Se méfier des «autoroutes»…
Marcel Bernos