« Choses vues (ou entendues) » 15 : encore les Jeux olympiques ?
Qui peut, en ce mois d’août 2024, échapper à l’épique feuilleton des Jeux olympiques ? La presse, aussi bien écrite qu’audio-visuelle, ne parle, principalement, que de cela. Après des mois de préparation, d’annonces insistantes, de polémiques grandes ou mesquines, un spectacle d’ouverture grandiose (que l’on s’accorde à trouver réussi), on assiste à un engouement populaire rare, en France, lors des jeux précédents ayant eu lieu, il est vrai, hors du cadre national. Il est peut-être suscité en partie par une publicité (dans un style propagande ?) plus prégnante et omniprésente. On peut même parler d’enthousiasme populaire, parfois à la limite de l’hystérie tant les spectateurs semblent s’assimiler, par la voix et la gestuelle, aux explosions des vedettes du jour. Les sportifs, auteurs d’actions mémorables, servent, dit-on, de modèles positifs à des jeunes. Ce caractère exemplaire devrait se manifester plus encore avec les Jeux paralympiques, où l’on verra des cas héroïques, qui peuvent redonner foi en l’humanité.
Les vraies polémiques viendront plus tard : coûts plus forts que prévus, retombées économiques moindres qu’espérées, conséquences environnementales… Et pourquoi pas, pour le buzz, un petit scandale ? etc. Ce sera d’ailleurs une occasion facile d’incriminer le gouvernement (provisoire) qui assume la responsabilité du bon déroulement de la fête. Certains problèmes se sont manifestés dès l’origine des jeux contemporains. Quid de l’amateurisme gage d’un engagement « désintéressé » ? Le sport de haut niveau exige un entrainement permanent et de longue durée, il serait impossible à quelqu’un, qui subirait la nécessité de pourvoir à son entretien et celui de sa famille, de se préparer correctement. Les États interviennent souvent dans ce domaine, par des bourses par exemple, ou des primes aux médaillés. Le baron Pierre de Coubertin. avait prévu ce qui pouvait être un « germe de décadence » : l’argent, « C’est l'esprit sportif qui m'intéresse et non pas le respect de [l’amateurisme] cette ridicule conception anglaise qui ne permet qu'aux seuls millionnaires de sacrifier au sport sans faire d'entorse à un dogme périmé ». Argent encore, les paris « sportifs » sur les champions ou les médailles obtenues, qui ont envahi les Jeux. Ils ont triplé depuis les jeux de Tokyo (2021).
Pour l’heure, voilà un heureux moment d’oubli de problèmes nationaux et internationaux souvent très graves : guerres féroces à nos portes, famines déjà là ou prévisibles, amplifiées par les conditions météorologiques de plus en plus dégradées, troubles liés à des dictatures sans pitié, problèmes sociaux, dette colossale (de laquelle peu de responsables politiques parlent avec des propositions de solution). Les empereurs romains savaient jouer de leurs « jeux » comme dérivatif : « Panem et circenses ». Les J. O. sont une bonne illustration des « circenses » ; quant au « panem », il s’appelle aujourd’hui « pouvoir d’achat. »
Les Jeux olympiques ne sont pas une invention récente. En les restaurant en 1894 (il y a 130 ans), le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) se référait expressément aux jeux d’Olympie, dans la Grèce antique. Sans entrer dans les détails des recherches et objections au sujet de leur histoire, rappelons qu’ils durèrent de 776 avant J.-C. à 393 après J.-C, soit pendant près de douze siècles.
Mais l’esprit des jeux anciens et modernes n’est pas le même. Les jeux d’Olympie participaient à une fête religieuse, dont le détail reste discuté, mais toujours présente, en particulier en l’honneur de Zeus. Leurs caractéristiques reposaient à la fois sur une intention de pacification – la trêve des combats entre cités grecques étant impérative – et la reconnaissance de la valeur personnelle des participants, les gagnants devenant de véritables héros dans leur cité. La fin des jeux d’Olympie fut également religieuse puisqu’elle fut décidée, en 393, par Théodose Ier, empereur chrétien pourchassant les reliquats des cultes païens.
Quinze siècles après, le baron de Coubertin a donc « restauré » les Jeux olympiques. Sportif lui-même et pédagogue du sport, il jugeait celui-ci nécessaire à la santé physique et mentale des populations. Admirateur des méthodes anglo-saxonnes sur la place particulière du sport dans l’éducation, il fut également convaincu de la valeur du scoutisme fondé en Grande-Bretagne par Baden-Powell. Il en sera l’un des introducteurs en France, mais devenu laïc : les éclaireurs. On pourrait dire que le but de ses entreprises était « Mens sana in corpore sano » (Juvénal), qu’il reformula en « un esprit ardent dans un corps musclé » (1).
La devise olympique : « citius, altius, fortius » a été originellement formulée par le dominicain Henri Didon (1840-1900), l’un des promoteurs du sport à l’école. Il fut l’ami de Pierre de Coubertin rencontré en 1891. La formule s’appliquait alors à la personnalité même de l’homme destiné à aller « plus fort » intellectuellement, « plus haut » spirituellement. Le « plus vite », qui s’appliquait au côté physique, s’est hélas largement intégré à toute la vie du monde moderne, même s’il ne sait pas très bien pour aller où ?
Aujourd’hui, les épreuves sont remises aux bons soins de professionnels qui, pendant quatre ans, ne font souvent que se préparer à battre des records ou au moins leurs adversaires. Quelle est la préoccupation principale, pour ne pas dire la seule, des commentateurs des épreuves des jeux et, à leur suite, du public, de ce qui est devenu essentiellement un spectacle ? On doit obtenir des médailles, que l’on décompte scrupuleusement chaque jour (chaque minute ?) pour savoir si l’on a fait mieux que le pays voisin ou lointain. On oublierait l’intention première : « L’important dans ces olympiades, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part » (2).
À ce propos, une interrogation, peut-être la plus sérieuse, sur la signification des J. O. Alors que l’on dénonce, à juste titre, la montée des nationalismes à travers le monde, les Jeux, de facto, exaltent ceux-ci. À chaque victoire, le drapeau hissé ou « enrobant » les épaules des athlètes vainqueurs de l’épreuve, et l’hymne national de son pays claironné viennent souligner que ce n’est pas simplement Untel qui a gagné, mais « la France » ou… « la Corée du sud. » La réaction du public est aussi symptomatique : « On a gagné », ou « La France (ou… Zanzibar) a gagné », ou « les Bleus » (c’est-à-dire les Français, avec un brin de familiarité) « ont pris leur revanche » sur tel pays qui les avait battus dans d’autres compétitions etc.
Quand tout cela sera fini, il ne faudrait pas oublier les leçons essentielles de l’olympisme qui sont, outre la loyauté sportive (le serment olympique condamne expressément le dopage), la glorification de l’effort, et la reconnaissance des sacrifices nécessaires pour obtenir ce que l’on désire, fût-ce une médaille.
Marc Delîle
(1) Article Mens fervida in corpore lacertoso, dans la Revue Olympique, n° 67, 2e série, juillet 1911.
(2) Revue Olympique du 31 juillet 1908, p. 108-110.