Assomption 2024
La fête de l’Assomption est celle de Marie. Pour fêter les saints, il est traditionnel de choisir le jour de leur mort, de leur entrée au Paradis. Pour Marie l’Assomption est le signe de cette entrée. Pour la fêter, oublions les considérations sur le dogme de l’Assomption, oiseuses pour la plupart, oublions les sentiments plus ou moins mièvres envers Marie, tout ce fatras psychologisant qui a fait bien souvent du culte de Marie une mariolâtrie, c’est-à-dire une idolâtrie. Essayons de dégager ce qui fait que, pour nous, la personne de Marie est importante, et soyons heureux de la fêter avec toute la solennité possible.
Marie a bien des titres qui nous invitent à la célébrer en cette fête : Marie Fille de Sion qui incarne le peuple d’Israël, Marie femme de foi, Marie fidèle, Marie mère de l’Église, etc. Nous nous arrêtons ici à celui de Femme, tout simplement. Il est le fondement de son être, les autres titres en sont l’épanouissement. Les textes liturgiques de ce jour permettent par ailleurs de méditer sur tous ces titres attachés à la Vierge.
La fête de Marie est celle d’une femme, de La Femme. Dans quasiment toutes les civilisations la femme a été déconsidérée, déclarée inférieure à l’homme et devant lui être soumise (1). Mais le texte de la Genèse apporte une précision fort instructive : lors de la Création, l’homme et la femme étaient différents mais égaux, Dieu « les créa masculin et féminin » (Gn 1,27). C’est l’introduction du péché, c’est-à-dire du Mal, qui a détruit cette harmonie et a soumis la femme à l’homme (Gn 3, 16). Dans notre monde cela perdurera et nous n’en sommes pas encore sortis. Mais on ne peut pas se limiter à cette situation discriminante. Eve est la mère de l’humanité. Son nom « Havvah » est issu du terme « Hayah », vivre. La première femme est définie comme celle qui donne la vie, en ce sens elle est l’alliée de Dieu, car c’est Lui qui donne la vie : « J’ai acquis un homme de par Yahvé » (Gn 4,1) s’écrie-t-elle à la naissance de son premier fils, Caïn. Après Eve, on trouve Sarah qui donne la vie par la grâce de Dieu car son âge était avancé, elle est la mère des Croyants. Anne, la stérile, devint mère de Samuel car « Yahvé se souvint d’elle » (1S, 1,19). Puis ce sera Élisabeth, la mère du Précurseur, qui donne la vie dans son grand âge, grâce à Dieu. Les hommes sont à peine mentionnés dans ces enfantements, la vie est Le don de Dieu, La femme est un élément essentiel de son plan. Marie est l’archétype de La femme par la vie qu’elle donne. Cela la place au sommet des créatures.
Sa virginité n’est pas une question de sexualité (il est ridicule de rabaisser cette virginité à un refus du sexe par l’Église), elle est le signe que c’est uniquement par la grâce de Dieu que Marie peut donner la Vie, la Vie du Fils qui a pu dire lui-même « Je suis la Vie » (Jn 14,6). La virginité de ceux et celles qui sont « eunuques pour le Royaume » (Mt 19, 12) n’est pas une question de pureté. Elle signifie un don total dans une alliance avec Dieu pour donner vie au Royaume, pour le préfigurer dès maintenant. Marie est totalement la collaboratrice de Dieu, c’est sa marque de fabrique, c’est son être même. C’est en ce sens qu’elle est la nouvelle Eve, et qu’elle en rattrape la trahison. Dans la lignée de ces femmes qui ont enfanté par la grâce de Dieu, Eve, Sarah, Anne, Élisabeth, elle est La Femme dans toute sa plénitude. Pour Eve, elle en est le contrepoint car par sa maternité elle inaugure la défaite du mal introduit par la première femme.
Revenons à la place de la femme dans le monde. On pourrait penser qu’après Marie, cette place de soumission, annoncée en Gn 3,16, pourrait enfin être revue. Ce n’est pas le cas, c’est bien évident encore maintenant. Le Monde dans lequel nous vivons, que Jésus a stigmatisé, est toujours bien là, les effets du Mal n’ont pas disparu par la simple venue du Fils parmi nous. Il a initié un processus qui finira seulement lors de son retour dans la Gloire, la Gloire signifiant que Dieu sera tout en tous. Écoutons Saint Paul. On l’a taxé de misogynie, et il est vrai qu’il a sur le sujet des femmes les idées de son temps, mais il a écrit une phrase qui change tout :
« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus d’esclave ni d’homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme : vous n’êtes tous qu’un dans le Christ Jésus » (Gal 3, 28).
Quand il écrit cela, Saint Paul nous place dans le « Monde » de Dieu, dans le « Monde » qui nous attend, dans le Royaume à venir et déjà là, dans le « Monde eschatologique ». Il n’est pas naïf, il connaît la réalité de son temps dont il est tributaire lui aussi, il veut simplement nous annoncer quel est le « vrai Monde » que nous construisons, celui que Jésus appelle le Royaume. Le Royaume, annoncé « tout proche » par le Précurseur (Mt 3,2 ; 4,17) « est déjà parmi vous » (Lc 17,21) maintenant que Jésus est aussi parmi nous. Quand nous évoquons Marie, quand nous célébrons Marie comme Femme, nous sommes dans ce Royaume à venir et déjà en gestation, qui donne sens à toute notre vie. On est loin de tous les sentiments psychologiques et souvent doucereux, mais dans la Vérité de nos vies, en face de la Mère de la Vie, cette Vie éternelle à laquelle Jésus nous appelle.
Marc Durand
(1) Il est de bon ton en Occident de charger le judéo-christianisme de toutes les tares de l’humanité. Mais si on considère le monde méditerranéen, ce ne sont pas les judéo-chrétiens qui ont inventé l’infériorité de la femme. Sa place en Grèce ou à Rome, ou sur toutes les côtes de la méditerranée, était faite de soumission, malgré quelques exceptions (Agrippine, Cléopâtre…) pour confirmer la règle. Le bouddhisme semble être la seule religion qui ait prôné l’égalité de la femme et de l’homme dès le début...mais avec bien des retours en arrière. Citons ce texte du sûtra du Lotus (sûtra fondamental) : « une femme est sujette aux cinq obstacles. D’abord elle ne peut devenir un roi céleste Brahma. Deuxièmement, elle ne peut devenir un roi Shakya. Troisièmement, elle ne peut devenir un roi démon. Quatrièmement, elle ne peut devenir un roi sage faisant tourner la roue. Cinquièmement, elle ne peut devenir un bouddha. » Et il est précisé que les femmes peuvent atteindre la bouddhéité... après s’être transformées en hommes.
Le Taoïsme, lui, semble avoir reconnu l’égalité homme-femme...mais le yang, attribut masculin, est le signe solaire montant, le yin, attribut féminin, est lunaire et descendant...Quant au confucianisme qui dominait la civilisation chinoise, il déconsidère la femme. Cette infériorité est reconnue comme « naturelle », c’est la Nature qui le veut et cela est considéré comme indépassable.
L’infériorité de la femme est un phénomène culturel assez universel dont les religions ne sont que des témoins qui ont essayé de justifier cet état de fait.