Résistance dans le Vercors : 80 ans après, l'histoire de Prélenfrey, "village des Justes", enfin dans la lumière
Environ 200 personnes ont assisté à la cérémonie, dont de nombreux descendants d'enfants cachés à Prélenfrey pendant la guerre. © Radio France - Théo Hetsch
En cette année de commémoration des 80 ans des combats du Vercors et de la Libération (1944-2024), une cérémonie a eu lieu le samedi 20 juillet pour honorer la mémoire des habitants de Prélenfrey. Dans ce village, une cinquantaine d'enfants juifs ont été cachés, grâce au silence des habitants.
C'est une mémoire lumineuse : celle de Prélenfrey, petit hameau sur les contreforts du Vercors. Un petit village de 174 habitants à l'époque, qui durant la Seconde Guerre mondiale, a accueilli une cinquantaine d'enfants juifs et les a protégés malgré l'insistance des nazis. " Chaque famille ou presque a caché des gens ", rappelle Simon Farley, le maire du Gua (dont dépend aujourd'hui Prélenfrey). Avec son équipe municipale, il a organisé le samedi 20 juillet une journée de commémoration pour mettre cette histoire dans la lumière.
En parcourant le village, on découvre une à une les maisons qui ont servi à cacher des enfants juifs : l'hôtel Mayouissier ou le préventorium (par où transitaient les enfants avec de faux certificats médicaux tamponnés " tuberculeux ") géré par Hélène et André Guidi, qui ont reçu la médaille des Justes pour leur action. Le cortège rassemble près de 200 personnes dont de nombreux descendants de ces enfants survivants. " Toute la famille de mon père qui vivait en Pologne, a été déportée et assassinée, une quarantaine de personnes environ. Les seuls survivants ont été mes grands-parents et leurs trois enfants, dont mon oncle Charlie qui a trouvé refuge à Prélenfrey " raconte Katie Pluskwa, émue sous son large chapeau.
" Une fierté incroyable pour la commune "
Les enfants cachés de Prélenfrey ont pourtant échappé de peu à la rafle. Le 22 juillet 1944, les nazis encerclent le village, raflent les hommes et les alignent face au mur de l'école. Pourtant, aucun ne parle. " Cette résistance, le fait que personne n'ait parlé même sous la menace paraît incroyable de nos jours, pour protéger des gens qu'ils connaissaient à peine. C'est une fierté incroyable pour la commune ", confie Simon Farley. Le maire souligne tout de même la difficulté de mettre en valeur cette mémoire. " Il faut 350 000 euros pour rénover la place des Justes, la métropole de Grenoble accepte d'en financer la moitié mais on cherche encore l'argent pour l'autre moitié... " confie l'élu. Mais il y a d'autres moyens pour perpétuer ce patrimoine. Le visage d'André Guidi sera peint vendredi 26 juillet sur l'un des murs de la place.
En attendant, la déambulation passe évidemment devant l'ancien préventorium, où de nombreux enfants ont été cachés, et où les Allemands ont tenté une fouille. Mais au moment de rentrer dans la chambre où étaient cachés les enfants et des dizaines d'armes destinées aux résistants, l'infirmière Anne Wahl les persuade de ne pas aller plus loin, mettant en avant les risques de contagion. Ce jour-là, la jeune femme de 21 ans a sans doute sauvé le village. " Voir tous ces gens qui sont issus de ces moments de résistance, qui descendent de cette histoire, c'est très important pour moi " raconte David Wahl, petit-fils de cette héroïne, et venu de Genève spécialement pour l'occasion.
Un livre publié en juin 2024
La cheffe d'orchestre de cette déambulation est aussi concernée. " Mon père a trouvé refuge ici pendant la guerre ", raconte Dominique Lardet. Cette Palenchoune (habitante de Prélenfrey) d'adoption a écrit un livre sur le sujet, Les enfants cachés des Tilleuls 1935-1946, paru aux Presses Universitaires de Grenoble. " Nous avons un rôle de transmission à jouer, transmettre cette histoire d'un village qui a su dire non à la délation " raconte la retraitée qui prépare déjà un deuxième livre sur cette histoire personnelle mais humaniste avant tout. " Tout le monde a été impliqué de près ou de loin. Quand les Allemands sont montés ici, tout le monde a fait bloc. Ils avaient choisi leur camp, le camp de l'espoir et de l'humanité ", conclut Dominique Lardet.
Une résistance à la haine à prendre en exemple, qui résonne particulièrement aujourd'hui avec la montée de l'antisémitisme. La cérémonie s'est d'ailleurs conclue par la chanson Bella Ciao, ce chant de révolte italien qui célèbre l'engagement des résistants. Une conclusion très politique pour cette journée historique.
Théo Hetsch, France Bleu