La réédition de l’ouvrage de Raphaël Picon « Tous théologiens » – recension de Gilles Castelnau

Publié le par Garrigues et Sentiers

La réédition de l’ouvrage de Raphaël Picon « Tous théologiens » – recension de Gilles Castelnau

Raphaël Picon nous propose d’être « Tous théologiens » et il a bien raison. Dans son langage simple et juste, il s’adresse à chacun de nous pour nous dire de ne pas hésiter à parler de Dieu, à en discuter et surtout… y réfléchir à nouveau frais. Que nous soyons savants ou simples croyants, familiers du langage abstrait ou bien éloigné de tout cela, il nous fait remarquer que nous ne pouvons éviter, dans la vie courante, les affirmations ou les questions d’ordre religieux et que cela vaut la peine d’y penser à notre manière et de faire de la « théologie à l’air libre ». 

Que serait un « théologien » isolé dans le bunker isolé de son bureau ? Et celui dont la foi est celle du « charbonnier » ne pourrait-il pas réfléchir aux affirmations qu’il répète inconsciemment ?

Ce livre paru il y a 23 ans vient d’être réédité (1) et c’est très bien : il est toujours saisissant, aujourd’hui plus encore qu’hier, car les réflexions religieuses n’ont jamais été autant d’actualité, et souvent fort mal traitées dans les médias et à la télévision par des journalistes ignorants de ces choses.

En voici des passages, y compris des deux théologiens auteurs de son excellente préface.

Préface d’André Gounelle

Chacun est théologien, qu'il en ait conscience ou non, parce qu'il y a du théologique partout et parce que le sens de l'existence nous concerne tous. 

Il ne s'agit nullement de mettre en accusation et de condamner la théologie universitaire. Raphaël Picon a été un universitaire, il a enseigné dans des facultés de théologie et a publié des livres répondant à des exigences académiques de haut niveau.

[…] La théologie universitaire est nécessaire, mais elle n'a pas de sens, elle devient semblable à du sel qui perd sa saveur ou à une lampe posée sous un boisseau, si elle ne vient pas assaisonner et éclairer une théologie populaire, autrement dit si elle n'aide pas tout un chacun dans sa réflexion personnelle.

Préface de Laurent Gagnebin

Boileau se moquait des protestants qui devenaient chacun un pape une Bible à la main. Oui, quand le pape lit la Bible, il n'est pas nécessairement plus inspiré que l'un ou l'autre d'entre nous. […]

La pratique d'un sacerdoce universel et d'une étude de la Bible demande une vigilance permanente. C'est la raison pour laquelle Raphaël Picon insiste sur le fait que si nous sommes tous théologiens, nous sommes surtout « appelés à le devenir ». Tout lecteur de la Bible est virtuellement un théologien. C'est là une magnifique liberté offerte, mais cela implique une très grande responsabilité. Raphaël Picon peut alors écrire que « la prêtrise, l'annonce de l'Évangile sont l'affaire de tous ».

Introduction

Une définition ouverte de la théologie
Notre définition se veut ouverte pour souligner que chacun fait de la théologie comme « Monsieur Jourdain » fait de la prose, c'est-à-dire sans le savoir. Dès lors que nous projetons une image de Dieu, fût-ce pour contester son existence, nous sommes théologiens.

Un roman, un film, une peinture, une rencontre, un événement particulier, tous ces éléments, et bien d'autres encore, peuvent nous dire quelque chose sur Dieu et participer ainsi d'une réflexion théologique.

Une parole partagée
Ce principe du sacerdoce universel ne consiste pas seulement à faire de chacun de nous des théologiens. Il transforme la théologie pour l'ouvrir à la participation de tous. C'est aussi dans ce sens que la notion de sacerdoce universel justifie notre souci de valoriser une théologie populaire et non exclusivement académique.

Une source de renouvellement
Il ne s'agit pas de diviser la théologie entre, d'un côté, les universitaires qui conduiraient une théologie sérieuse, mais totalement hors du temps et, de l'autre, des hommes et des femmes qui se contenteraient d'une théologie instruite par la vie, mais sans aucune méthode et aucune rigueur. Une telle distinction serait caricaturale et fausse. Jamais une théologie académique ne peut s'isoler du reste du monde.

Première partie : Expliciter, évaluer, inventer

La théologie comme explicitation de nos images de Dieu
Penser Dieu à partir de nos productions culturelles
La recherche du peintre sur les formes, le choix de ses thèmes, son travail sur la lumière, la puissance que génèrent ses compositions, tous ces éléments peuvent nourrir une réflexion sur l'action de Dieu dans le monde, sur le tragique de la croix, sur l'absurdité d'un monde fermé à toute transcendance ou, au contraire, sur l'harmonie d'un monde apaisé par une grâce supérieure.

La théologie comme mise en critique de nos images de Dieu
La réponse dialogique
La Bible ne livre pas un contenu doctrinal à appliquer et à confesser tel quel, la Bible nous propose des textes qui nous font réfléchir et qui prennent pleinement sens à la lumière de notre existence. 

La théologie comme lieu de création de nos images de Dieu
Le théologien est aussi appelé à être un créateur d'images de Dieu. Sa tâche est d'explorer de nouvelles manières de penser Dieu, de croire ou de ne pas croire en lui. La théologie est un lieu d'innovation et de création. 

Une véritable création
Puisqu'elle est en partie déterminée par ce qui se passe dans le monde, la théologie est tout aussi provisoire que les événements qui s'y produisent. Elle change au fil du temps ! Nous insistons sur ce point, car c'est le propre d'une théologie ouverte à la participation de tous de nous le rappeler. Une théologie qui prend en considération la vie et le monde de chacune et de chacun, et qui se laisse instruire par les données toujours provisoires de l'existence est, par nature, une théologie enracinée dans l'histoire. Elle n'est pas définie une fois pour toutes, mais ne cesse de se transformer.[…]
L'horreur de la Shoah. Celle-ci questionne avec force et brutalité notre rapport à Dieu. Quel Dieu a pu laisser faire cela ? Quel Dieu était présent à Auschwitz ? En quel Dieu croire après Auschwitz ? Nous ne pouvons pas échapper aux questions théologiques que nous pose cet événement.[…]

Être théologien, c'est être habité par les préoccupations, les questions et les attentes du monde dans lequel nous vivons.

Deuxième partie : Interroger, interpréter, discuter

Bible et théologie : enracinement et dépaysement
La Bible nous propose des récits qui prennent sens à la lumière de notre existence, de nos rationalités, de nos sensibilités. Ces mêmes récits contribuent également à nous remettre en question, à repenser nos vies et le monde dans lequel nous vivons.

Pourquoi la Bible ?
Lire la Bible invite à porter son attention sur un objet très particulier : une bibliothèque de textes qui racontent des histoires d'hommes et de femmes qui vivent une expérience forte avec Dieu. Abraham, Sarah, David, Jésus, Paul, toutes ces figures bibliques racontent leur relation à Dieu. En lisant ces textes, nous devenons les témoins de ces expériences de foi et de vie, nous pouvons en être stimulés, agacés, bouleversés. Nous participons à ces expériences racontées, même si elles ne sont pas les nôtres. Ce faisant, ces textes finissent par faire partie de nos vies, nous y pensons, nous y faisons référence, nous en parlons. À force d'être liées à la Bible, nos expériences spirituelles et nos images de Dieu finissent aussi par être instruites par la Bible elle-même. Nos discours sur Dieu empruntent aux textes bibliques des mots, des exemples et des concepts. La Bible met ainsi à la disposition de tous un réservoir d'expériences et d'images de Dieu dans lequel nous puisons pour penser Dieu. C'est déjà ainsi que notre théologie est appelée à se nourrir des mille et une théologies que nous trouvons dans la Bible.

Troisième partie : Authenticité, liberté, renouvellement

Culture et authenticité
La crise de la théologie
Face à des réponses jugées non pertinentes, il s'agit pour celles et ceux qui participent à la réflexion théologique de donner vie à leurs questions, d'oser les faire entendre, de se donner les moyens de réponses plus adaptées et personnelles. Face à des systèmes théologiques qui prétendent répondre de tout et à tous, il s'agit de prendre part à la réflexion et de conquérir une liberté de penser.

Oser dire « je »
[…] Si les théologiens professionnels sont donc toujours nécessaires, nous ne devons pas en faire des évêques ! La théologie est l'affaire de tous, pour la simple raison que la théologie est une dimension de la foi.

Une occasion de libération
Une théologie pour la libération
En mobilisant la Bible, en la relisant, en l'étudiant, en la prêchant, les communautés noires américaines, les homosexuels, les Latino-Américains reconnaissent se sentir enfin concernés par un christianisme dont ils se sentaient jusque-là exclus et qu'ils considéraient comme l'une des causes de leur oppression sociale ou culturelle. C'est là un élément que partagent ces différentes théologies de libération : ouvrir l'accès au christianisme.

Une théologie renouvelée
Une occasion de relativisation
Cette théologie ouverte à la participation de tous atteste qu'il n'y a pas de théologie définitive. Aucune image de Dieu ne peut s'imposer une fois pour toutes comme étant la seule image vraie possible. Parce qu'elle invite chacune et chacun à créer de nouvelles images de Dieu, parce qu'elle souligne avec force leur dimension historique et donc provisoire, la théologie populaire contribue à relativiser toutes les doctrines et tous les systèmes. […]

La vérité d'une réponse doit toujours être justifiée à nouveau. Les théologiens ne peuvent donc pas s'endormir sur des siècles de réflexion passés. C'est le propre d'une théologie ouverte à tous et aux questions de tous de rappeler à l'ensemble de la théologie que les questions demeurent.

Conclusion
Une théologie à l’air libre

Cette théologie ouverte à tous, cette théologie de la discussion et du débat reste toujours et encore une théologie à écrire. Elle n'est jamais définitive, elle n'est l'objet d'aucune conclusion, elle se construit petit à petit dans la confrontation respectueuse et dynamique de toutes nos images de Dieu et dans la création audacieuse et patiente de nouvelles propositions théologiques. Cette théologie est celle d'un Dieu qui fait parler tout le monde, qui nous devance sans cesse et qui nous rend, toutes et tous, théologiens.

Gilles Castelneau

  1. Raphaël Picon, Tous théologiens, Van Dieren éditeur, 2013, 104 pages - 14 €.

Sources : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-spiritualite/gc930.htm

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Publié dans Réflexions en chemin

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L
La recension de Gilles Castelnau, consacrée à réédition de l’ouvrage de Raphaël Picon « Tous théologiens », ouvre notre réflexion sur l'approche et l'intellection d'une théologie personnaliste. Sur la splendide perspective d'un plein exercice de la liberté du croire. Comme une respiration de l'âme et une inspiration de l'esprit pour celles et ceux qui étouffent à la seule vue de l'écrasant édifice des "articles de foi" que les cléricatures ont édifié depuis des millénaires et muré par l'empilement des dogmes qu'elles ont édictés. <br /> Une théologie de libération, nourrie de convictions formées au profond de la conscience et puisant dans la mémoire la plus anciennement héritée : nul n'est en capacité, ni en droit, de dire, fût-ce dans un manuel de catéchisme, « D.ieu est … (que ce soit ‘’ceci’’ ou ‘’cela’’). Pour la seule raison que ce qu’il a offert à connaitre de Lui, à la source des sources de la découverte que nous en fîmes, a tenu en une énigme qui était le premier don qu’Il faisait à notre attente de mieux comprendre à QUI nous avions affaire : « Je suis qui je serai ». Le Tétragramme délivré à Moïse vient aussitôt consacrer l’énigme : 4 lettres, YHWH, imprononçables, vouent le Nom à garder le mystère de sa signification : l’imprononçable devient l’ineffable de l’essence de D.ieu .<br /> Cet ineffable, dans sa vertigineuse immensité, ouvre au libre examen le champ de sa vocation : une exploration continuelle de la lettre, et de ses apparences combinées jusqu’à l’indéchiffrable, en quête de l’esprit. Une quête dont il est su qu’elle n’ira pas au-delà de l’ouverture à des bribes et à des échappées de sens qu’une grâce particulière aura aidé à parvenir à notre entendement – comme il est su que le ‘’Sens’’, dans sa plénitude, ne nous apparaitra que dans la lumière promise au jour où « les temps seront accomplis ». Autre façon de dire : "Cette théologie est celle d'un Dieu (...) qui nous devance sans cesse".<br /> La liberté du croire s’exerce ainsi dans un double cheminement. Celui de l’expertise exégétique qui remonte le fleuve continu, aux fonds si obscurs et aux parcours si incertains, des écritures ; et qui s’arrête, écrit après écrit, sur les signifiants qui ont été calligraphiés sur chacune de leurs marges.<br /> Et celui de l’expérience intime du rapprochement de D.ieu : par la voie de l’élévation mystique, par celle de l’émotion poétique et, plus communément, dans une conversation qui s’engage un beau jour pour n’être ensuite plus jamais vraiment interrompue, ni par l’un ni par l’autre des deux interlocuteurs.<br /> Deux cheminements que rien a priori ne devrait opposer, pour autant que la recherche exégétique, ses supports théologiques et son cadre universitaire, aient la caution du libre examen. A l’expérience personnelle de la théologie, quant à elle, d’aller puiser dans les savoirs ouverts par les exégètes toutes les ouvertures de pensée vers lesquelles guider sa quête de sens. En y gagnant aussi de quoi formuler avec une insistance mieux aiguisée ses questions à l’adresse de D.ieu. <br /> 19 sept. 2024
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G
Vous écrivez : « Face à des réponses jugées non pertinentes, il s'agit pour celles et ceux qui participent à la réflexion théologique de donner vie à leurs questions, d'oser les faire entendre, de se donner les moyens de réponses plus adaptées et personnelles. Face à des systèmes théologiques qui prétendent répondre de tout et à tous, il s'agit de prendre part à la réflexion et de conquérir une liberté de penser».<br /> Lorsqu'on évalue sa propre moralité, on se considère presque toujours comme moralement supérieur à la personne moyenne. Le biais cognitif de supériorité morale amène tout pharisien détenteur de la Vérité, à regarder avec hauteur son prochain qui bien sûr, se contente de réponses non pertinentes.<br /> Ce biais cognitif est aggravé par le biais du « point aveugle » qui est défini comme un « méta-biais de supériorité illusoire » (un biais sur les biais). En effet, alors que selon ce dernier, on a tendance à surestimer ses propres qualités et capacités par rapport à celles d’autrui, le biais du point aveugle indique qu’on pense être moins victime des biais cognitifs que les autres ! Ce méta-biais conduit les naïfs à s’imaginer qu’ils vont conquérir « une liberté de penser » alors qu’ils sont déterminés, comme tout un chacun, par leur milieu social !
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