« Choses vues (ou entendues) » 11. « Risque d’une abstention massive aux élections européennes »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Nous sommes à quelques jours des élections européennes. L’Union européenne est un phénomène unique. Las des guerres mondiales, qui accentuaient leur déclin, et face aux défis d’une économie mondialisée, les pays qui composent le continent ont décidé de s’unir cahin-caha.

Les « milieux bien informés » (dont des sondages) craignent une abstention massive. À cet égard, les scrutins précédents ne sont guère encourageants. Ils n’ont franchi que rarement et de peu la moitié des votants (51% aux dernières, en 2019). Si celui des premières élections, le 10 juin 1979, a atteint 61% des inscrits, on était tombé à 43% le 25 mai 2014, avec même un creux plus marqué en 2009 (41%).

Sur des élections aussi importantes pour la sécurité et l’avenir des citoyens européens, on s’interroge sur les raisons de cette désaffection au-delà des nouvelles, vraies ou fausses, sur le caractère néfaste de telles ou telles décisions prises à Bruxelles. Les approches suivantes ne sont pas exhaustives…

Il faut dire, déjà, que la communication de l’institution n’est ni des plus explicites, ni des plus transparentes. Les textes officiels, mal diffusés dans les médias, donc mal connus du public, sont parfois incompréhensibles. Un tournant peut-être dans le désintérêt des citoyens à l’égard de l’Europe remonte en partie au traité de Maastricht (1992) fondant l’Union européenne. Qui a essayé d’en lire le long texte ? Votre serviteur a eu cette pénible hardiesse à l’occasion d’un long voyage en train. Au fil des articles, les rédacteurs se réfèrent à une foule de textes et de lois antérieurs, dont le lecteur ne dispose bien entendu pas. Ce blocage rendait sa lecture quasiment inutile, en tous cas infructueuse et peu « mobilisatrice ». Des pays, comme le Danemark, ont d’ailleurs rejeté le traité par référendum ; en France, le référendum l’a approuvé de justesse (51% de oui sur moins de 70% de votants (soit à peine, plus d’un tiers des citoyens). En outre, les Français n’ont pas oublié leur rejet en 2005, par près de 55% des votants, du traité de Rome instituant une Constitution pour l'Europe. Or son contenu fut imposé par le traité de Lisbonne (2007), qui en reprenait largement les dispositions et fut ratifié en 2008 par le Congrès, sans recours à une nouvelle consultation populaire. Tous ces à-coups peuvent amoindrir la confiance dans une institution qui apparaît lointaine, et pas forcément bénéfique, à un public mal informé et parfois trompé par des propagandes hostiles.

Une seconde question peut expliquer le relatif désamour du public, et à tout le moins la distance prise à l’égard d’une Europe un peu désordonnée. Ainsi, les « élargissements », passés et envisagés, ne sont pas toujours clairs, mal présentés et semblent parfois désavantageux, voire dommageables, pour les pays déjà membres, apparaissant susceptibles d’aggraver les tensions internes à l’Union, en particulier les concurrences économiques ou politiques. Les réticences de certains à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE sont à lire en ce sens. Les élargissements successifs, pas toujours justifiés ou compréhensibles aux yeux des citoyens déjà membres de l’UE, jouent un rôle négatif et donc démobilisateur pour beaucoup.

Pour les plus « européens », et sans que cela soit nettement formulé, l’absence d’une volonté d’union politique diminue les perspectives offertes par l’actuel fonctionnement de l’Europe. En effet, quand on parcourt les domaines dont traitent nombre de textes, on trouve beaucoup d’interventions dans l’économie, à qui on reproche de favoriser plutôt les gros que les petits (cf. les subventions aux agriculteurs), un peu dans la vie sociale (éducation culture, santé…), mais on cherche l’affirmation d’une perspective politique à long terme. La reconnaissance d’une « citoyenneté européenne », dont on n’est pas assuré que sa réalité ait pénétré le cortex des « citoyens », n’a pas de conséquences pratiques dans leur vie. Il faudra bien un jour trancher : rester essentiellement un « marché commun » ou aller vers une forme de fédération ayant une véritable personnalité politique face aux problèmes du monde et ceux que posent certaines grandes puissances. Si regrettable humainement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie aura, malgré les réserves évoquées ci-dessus, on le pressent déjà dans l’aide apportée dans la situation de guerre, un effet accélérateur sur la recherche d’une plus grande unité des pays européens.

Sur ce sujet, hautement politique, on découvre tardivement, dans les dangers du monde contemporain, qu’il aurait fallu peut-être envisager une « communauté de la défense », dont l’embryon qu’était la CED (1952) a été rejeté par l’Assemblée nationale.

Sur la préparation des élections elles-mêmes, on peut regretter que leur « publicité », compliquée par l’inflation des listes (résultat prévisible d’un scrutin à la proportionnelle) ait tant tardé. L’information dépendant largement des médias audio-visuels, sans qu’on sache toujours bien à quel moment elle sera diffusée, reste trop souvent brouillée par l’incapacité des intervenants à s’écouter et à répondre autrement que par des critiques virulentes, ou même des invectives.

Pourtant, il faut construire une Europe à la fois démocratique, forte et ayant autre chose à présenter au monde qu’un agrégat d’intérêts et de désaccords (par exemple sur l’immigration). Rêvons-en, et agissons pour faire accéder ce rêve à la réalité (1).

Marc Delîle

  1. Voir la courte mais très suggestive note de G. Roustang, dans l’ECCAP (Encyclopédie du Changement de CAP) n° 114, 1er juin 2024 : « Le rêve européen », que nous avons reprise le 4 juin 2024 dans Garrigues & Sentiers. Le site ECCAP comporte de nombreux articles éclairants sur l’Europe, par exemple « Quel avenir pour l’Europe ? » également publié le 27 mai 2024 dans G & S.

Publié dans Réflexions en chemin

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Oui, l’Europe n’entraîne pas l’adhésion. Parce qu’elle apparait d’abord comme une machine économique ayant pour seul moteur la régulation par les marchés et par les concurrences, censés les uns et les autres être d’infaillibles porteurs de rationalité. En regard le quotidien des européens semble très peu peser dans les décisions prises au niveau de l’UE : en particulier pour l’emploi et le niveau de vie (violemment impactés par les dumpings salariaux, fiscaux, environnementaux et normatifs qui jouent pratiquement tous contre les modèles sociaux les plus avancés), pour la protection sociale (préoccupation rendue presque invisible dans les politiques européennes) et pour la réduction des inégalités (attente des plus constitutives du contrat social français) laquelle est totalement hors sujet dans le référentiel attaché au néolibéralisme qui s’est érigé en religion de la Commission et des Etats.<br /> Mais ce défaut d’adhésion tient d’un paradoxe qui, s’il en est pris conscience, peut redonner espoir. La révolution écologique en laquelle se décidera rien moins que le vivable ou le non-vivable de la planète, soulève des défis davantage que gigantesques que seule, pour notre continent, une Europe politiquement unie a une chance de relever. Parallèlement, le retour du bellicisme, sous toutes ses formes, dans la géopolitique qui se projette devant nous, avec la guerre d’agression redevenue à notre frontière une réalité, implique l’édification d’une défense européenne –la plus efficacement dissuasive et défensive. Et une défense que les citoyens ressentiront comme pleinement européenne – i.e. l’expression d’une indépendance de l’Europe démocratique, ce qui n’était pas le cas pour le projet de la CED et qui a largement contribué à l’échec de celle-ci en 1954.
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