À propos des messages de Ziad Medoukh sur Gaza
La lecture du dernier message de Ziad Medoukh, a suscité chez l’une de nos fidèles internautes, Danielle Nizieux Mauger, un commentaire très argumenté que nous publions sous forme d’article pour en faciliter la lecture.
G & S
C’est avec grande émotion et totale compassion que je lis les récits de Ziad confronté aux événements tragiques d’Israël et de Palestine depuis le 7 octobre 2023.
Nous ne pouvons pas ignorer que ce conflit n’est pas né d’hier.
Rappelons en deux mots la création de l’Etat Israël par un vote de l’ONU le 29 novembre 1947, prenant effet le 14 mai 1948, que les états du Moyen Orient n’ont pas acceptée, et qui ont occasionné une redistribution des populations tant juives qu’arabes, la fameuse nakba (1), dont chacun paie les effets encore aujourd’hui.
Également, la situation politique exacerbée des deux côtés :
- L’exaspération des arabes confinés dans un tout petit territoire surpeuplé, à cause d’une politique démographique conduite sous l’alibi de la religion « Dieu le veut », à qui l’on assène des présupposés religieux qui exacerbent les tensions : on met en avant l’usurpation sacrilège de la Palestine par Israël (2) ; on islamise au maximum le conflit : « Khaibar (3), Khaibar, hé les juifs, l’armée de Mohammad est de retour » (4) ; il y a aussi les vidéos diffusées aux combattants (et aux autres) qui, comme l’a écrit Bernard Rougier, « désinhibant l’horreur, effacent les barrières entre le symbolique et l’imaginaire, en nourrissant un voyeurisme de l’atrocité. » Il y a aussi depuis le 11 septembre l’élargissement du conflit au monde (« la double razzia bénie ») : Ben Laden, 7 oct.2001 : « (Je jure) au nom d’Allah,… que l’Amérique ne goûtera plus jamais la sécurité avant que la Palestine ne la connaisse et que toutes les armées occidentales mécréantes ne quittent les terres saintes ».
- Le jusqu’au boutisme des droites israéliennes et du sionisme religieux autour de Benjamin Netanyahou, l’occupation des terres de Cisjordanie, initialement dévolues aux palestiniens, l’attitude conciliante (jouer avec le feu !) avec le Hamas (5). Et là aussi, des déclarations délirantes : B. Smotrich , fils de rabbin et colon illégal en Cisjordanie : les palestiniens doivent s’en aller, être tués ou servir les juifs s’ils restent sur la terre promise » (6).
Mais arrêtons de faire semblant d’être surpris par les événements. Dans deux Bloc-notes récents de La Croix l’Hebdo Frédéric Boyer nous invite à regarder de près ce qu’il appelle le piège : « Les mâchoires du piège, ouvertes depuis longtemps se sont cruellement refermées le 7 octobre. Les massacres perpétrés par le Hamas n’avaient qu’un seul but qu’a exposé son chef, Ismaël Haniyeh dès le 26 octobre :(il avait besoin) « de voir couler le sang des enfants, femmes, vieillards de Gaza dans un holocauste qui ravive l’esprit révolutionnaire des Palestiniens » ; il s’agissait, explicite F Boyer, de « provoquer une telle violence en retour qu’elle finirait par donner à la guerre une signification horriblement sacrificielle susceptible de se retourner contre Israël »… Et il commente : « Quand avec exaltation... on célèbre le sacrifice de son propre peuple jusqu’à réclamer sa nihilisation, en faisant croire qu’elle est nécessaire à la cause défendue », alors « c’est un terrible mensonge manipulateur qui fait appel à une logique mimétique mortifère » (7).
En répondant par les massacres que l’on sait, Israël est certes tombé dans le piège, tout en sachant qu’il ne pouvait s’y soustraire, et même peut être s’en est-il réjoui. Il activait en tous cas cette spirale mimétique effroyable. Comment ne pas penser à René Girard : le sang attire le sang, la haine attire la haine, la mort attire la mort. Alors, il faut casser la répétition. « Briser cette spirale, ajoute Frédéric Boyer, c’est refuser de mettre en péril son propre peuple, et cela vaut pour les deux parties. Donner son peuple en sacrifice, comme le proclame Haniyeh, et exhiber ses morts comme autant de trophées, c’est prolonger la spirale ». Ceux d’en face, suggère F Boyer, n’attendaient que cette provocation pour refermer le piège. « On ne peut rien espérer en pataugeant dans son propre sang et dans le sang d’autrui », conclut-il dans son deuxième bloc-notes, « La pitié et non le sacrifice » (8).
Comment alors inverser le cours des choses ? Arrêter le bruit des armes, qui va le garantir ? et pour combien de temps ? Est-ce une guerre sans fin ? Changer la mentalité des peuples ? Combien de temps faudra-t-il pour reconstruire un vivre ensemble ? Cela est-il possible sans changer le fondement même des deux religions sous lesquelles chacun s’abrite ?
Mais à ce jour, les belligérants le veulent-ils ? Cette guerre est-elle seulement celle des pays en cause, ou est-ce aussi celle de si nombreux états qui jouent là, chacun défendant son camp, leur crédibilité, et donc leur puissance ? Un cessez-le-feu serait-il autre que provisoire, juste le temps de réactiver la haine, recharger les fusils et les bombes ?
Qui peut le dire ?
Danielle Nizieux Mauger
- Un exode réciproque, pour les juifs des pays arabes, d’Europe de l’est, rescapés de la shoah immigrant en Israël, et pour les arabes du nouvel état fuyant en Cisjordanie, et en Jordanie où leurs chefs leur conseillent d’attendre le retour sur leurs terres qui ne saurait manquer d’arriver. À quelques exceptions près d’arabes en Israël, aucune intégration, aucun vivre-ensemble n’ont été recherchés d’un côté ou de l’autre.
- G. Kepel, Holocaustes, Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident, Paris, Plon, 2024, p. 22.
- La bataille de Khaibar, remportée par Mohammed contre les juifs de Médine (628).
- Cité par G. Kepel, ibid, p. 25.
- HAMAS, Harakat Al Muqawana Al Slamiyya : mouvement de la résistance islamique. Fondé en 1987 (première Intifada) par Ahmed Yassine, tué en 2004, le Hamas arrive au pouvoir en 2006 après la mort d’Arafat et la victoire aux élections de 2006. Gouvernement dirigé par Ismaïl Haniyeh depuis 2006 ; vit au Qatar où il est très proche des « financiers » du Qatar qui soutient le Hamas avec la bénédiction de Netanyahou dans le but d’éviter l’explosion de l’enclave en achetant une relative paix sociale. À Gaza, Yaya Sanwir, passé par les geôles d’Israël pendant 22 ans et libéré en 2011 dans l’échange avec Gilad Shalit. À la tête du pouvoir à Gaza depuis 2017, vit à Gaza, leader de premier plan, proche des Iraniens.
- Le parallèle de la Dhimma musulmane !
- Frédéric Boyer, « Sortir du piège », La Croix L’Hebdo du 9 mai 2024.
- Frédéric Boyer, « La pitié et non le sacrifice », La Croix L’Hebdo du 23 mai 2024.