Le Sénégal, un pays à libérer de l’influence française, vraiment ?
Bassirou Diomaye Faye, qui "représentait" Ousmane Sonko pour le compte du parti PASTEF, a été élu dès le premier tour de l'élection présidentielle au Sénégal, le 24 mars. Il s’était présenté comme le candidat du « changement », de la « rupture », au plan intérieur (remise en cause du « système », lutte contre la corruption, etc.), et au plan international, notamment par une volonté de "renforcer la souveraineté" du Sénégal dans tous les domaines (politique, militaire, économique, monétaire, etc.). Un accent particulier est mis sur la réduction de ce qu’il appelle « l’emprise économique » française. Ainsi, le Sénégal devrait sortir de la zone franc, fermer la base militaire française, développer des partenariats avec des entreprises d'autres pays dans tous les domaines, réévaluer les contrats passés avec des sociétés pétrolières pour l’extraction de pétrole et de gaz (qui devrait commencer cette année), suspendre l’accord de pêche avec l’Union européenne etc. La réalité de cette « emprise française » doit être confrontée aux faits.
Le Sénégal fait effectivement partie de la zone franc, et le Sénégal peut vouloir en sortir. C’est ce qu’ont fait la Guinée en 1958, le Mali en 1962 (pour demander son retour à la fin des années 70), Madagascar et la Mauritanie. Chacun peut penser ce qu’il veut sur l’efficacité de cette « souveraineté monétaire » en termes de développement, mais ce ne n'est pas avec la France que le nouveau gouvernement devra d'abord et principalement traiter, c'est avec les autres pays d'Afrique de l'Ouest qui font partie de la zone franc (UEMOA).
Les bases militaires françaises au Sénégal, Bel Air (troupes de marine) et Ouakam (aviation), ont été fermées en 2011, à la demande du président Abdoulaye Wade. Il n'existe plus au Sénégal qu'une mission de coopération régionale avec les pays d'Afrique de l'Ouest. Il n’y a donc plus de base française à fermer.
Le développement de la production d'hydrocarbures est piloté par la Petrosen, société publique qui gère les appels d'offres internationaux pour la prospection et l'exploitation et qui prend des participations minoritaires dans les projets. Deux sites devraient commencer à produire du pétrole et du gaz à compter de 2024 : l'un à la frontière avec la Mauritanie est détenu à 69% par BP et 29% par des Texans, avec Petrosen à 10%. L'autre, au sud de Dakar, est détenu majoritairement par des sociétés australiennes et fait intervenir de nombreuses entreprises chinoises.
Sauf la Société Générale, qui détient environ 10% du marché sénégalais, toutes les banques françaises ont cédé leur filiale au Sénégal, au profit de banques marocaines et africaines pour l'essentiel.
Le nouvel aéroport international de Dakar (AIBD) a été construit d’abord par une entreprise saoudienne (Binladin, de la famille du Ben Laden bien connu pour son action internationale), puis achevé par une entreprise turque ; il est géré par une société détenue majoritairement par des entreprises turques.
Le terminal porte-conteneurs du Port autonome de Dakar a été donné en concession en 2007 à la société des Emirats Arabes Unis, Dubai World Ports.
Le fleuron français du commerce en Afrique, la CFAO, qui avait absorbé dans les années 90 son rival historique la SCOA, a été acheté en 2012 par la maison de commerce japonaise Toyota Tsushodi.
Sauf Eiffage, toutes les entreprises françaises de BTP, qui étaient nombreuses au Sénégal, ont fermé leurs filiales.
Depuis 50 ans, c'est la Commission européenne qui négocie et gère les accords de pêche dans le monde entier, et non des Etats particuliers ; ce n’est donc pas avec la France que le Sénégal devrait les renégocier, mais avec Bruxelles, comme il a négocié tous les accords précédents. D'autre part, les principaux acteurs de la pêche illicite au large du Sénégal, et dans le Golfe de Guinée plus largement, sont russes et asiatiques.
Etc.
Il est facile de faire un discours général sur la « souveraineté » du Sénégal, mais il est difficile de prendre des mesures contre une présence française qui n'existe pas ou plus.
On ne voit pas, d’ailleurs, ce qu'il aurait de choquant si quelques entreprises françaises continuent de travailler au Sénégal, comme certaines sont implantées en Afrique du Sud, au Nigéria, au Kenya, au Maroc, etc..
En tout cas, il est patent que les principaux problèmes du Sénégal aujourd'hui ne sont pas liés à une présence française étouffante.
Denis Castaing