La bénédiction des couples homosexuels : Où l’on découvre des évêques « objecteurs » finalement plus autoritaires que le pape

Publié le par Garrigues et Sentiers

La polémique qui entoure la réception du texte Fiducia supplicans ouvrant à la bénédiction de couples en situation irrégulière et de couples homosexuels dit quelque chose de la fébrilité extrême de l’Église catholique. Et de son incapacité à regarder simplement le réel en face. Elle possède deux mérites essentiels : elle éclaire les réticences radicales d’une partie du clergé, prêtres et évêques, vis-à-vis de l’orientation voulue par François, portée par le synode actuel, pour sortir l’Église de l’ornière ; elle confirme le blocage total d’une majorité de l’opinion publique catholique sur la question homosexuelle. « L’abomination » biblique semble ici sans appel ! Ultime mérite de ces chicaneries, qui n‘est pas le moindre : l’obligation faite à chacun d’entre nous de se positionner clairement, de sortir des faux-fuyants et des certitudes faciles. Ce que je vais essayer de tenter dans ce billet.

Inutile de revenir ici longuement sur le texte de la Déclaration du 18 décembre par laquelle le Dicastère romain de la Doctrine de la foi, avec l’assentiment du pape François, ouvre aux ministres du culte catholique « la possibilité de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Église sur le mariage. » J’ai consacré, dès le 22 décembre, un long billet à l’analyse de ce texte auquel je renvoie les lecteurs. Dès le lendemain la Conférence des évêques du Cameroun appelait les prêtres de ce pays à ne pas appliquer les recommandations romaines. D’autres épiscopats africains allaient suivre, de même qu’en Europe ceux de Pologne et de Hongrie, à l’inverse de leurs confrères suisses et allemands. Cela m’a conduit à actualiser mon article, notamment dans la perspective de sa reprise, le 4 janvier, par Golias hebdo.

En France : dix évêques se prononcent pour une bénédiction des membres du couple, séparément

Concernant la France j’écrivais ceci : « C’est pour l’heure le silence le plus total du côté de la Conférence des évêques de France (Cef). Et il est peu probable qu’elle en sorte. Nouvelle illustration de différences de sensibilités épiscopales qui empêchent tout consensus et renvoient chaque évêque à sa liberté de faire ou de ne pas faire, de parler ou de se taire. » Le loup n’allait pas tarder à sortir du bois. Le 29 décembre le diocèse de Bayonne faisait connaître la décision de Mgr Marc Aillet de demander à ses prêtres de ne bénir les personnes qu’individuellement et pas les couples. Le 1er janvier c’est l’ensemble des neuf évêques de la Province ecclésiastique de Rennes qui, à son tour, recommandait à ses prêtres et diacres de « bénir de façon spontanée, individuellement, chacune des deux personnes formant un couple. » Donc pas le couple lui-même comme souhaité par le pape François.

Le 4 janvier, devant tant de crispations et de refus, le Vatican publiait une « note explicative » justifiant – parfois en des termes maladroits – la parfaite orthodoxie (si je puis dire) de la Déclaration. Elle rappelait que ce texte ne remet aucunement en question la doctrine de l’Église catholique sur le mariage, et précisait : « En réalité, c’est à chaque évêque local de faire ce discernement dans son diocèse ou en tout cas de donner des orientations complémentaires. »

Une liberté de discernement, toute synodale, pour les Églises locales

Il ne s‘agit ici aucunement d’une reculade. Une lecture attentive de la Déclaration du 18 décembre permettait déjà d’en faire une telle interprétation. Cela me conduisait dans ma propre présentation à commenter en ces termes les premières réactions hostiles de certains épiscopats africains : « On peut soit s’inquiéter de cette rébellion et y voir un risque pour l’unité de l’Église et un affaiblissement de l’autorité du pape, soit émettre l’hypothèse qu’on serait déjà ici, finalement, dans l’après synode sur la synodalité où liberté serait offerte aux Églises continentales ou à certaines Conférences épiscopales de trancher pour ce qui les concerne sur ce type de questions pastorales étroitement liées aux “cultures” locales. Il n’est pas dit que le pape n’y trouve pas confirmation du bien-fondé de sa démarche synodale de recherche d’autonomie des épiscopats… parfois contestée par ces évêques mêmes qui ici s’en réclament ! »

Pour ce qui me concerne, je ne trouve donc pas illégitime l’initiative de ces épiscopats, même si elle m’interroge sur leurs motivations réelles. Je peux comprendre la position africaine sur un continent où l’homosexualité plus qu’ailleurs est jugée « contre nature » et passible, dans trente-deux pays, de poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement ou même la condamnation à mort. Le 29 décembre, le président du Burundi appelait à « lapider les homosexuels dans les stades ». Nombre d’évêques et de prêtres africains partagent en réalité cette culture où ils ne voient aucune contradiction avec la lecture qu’ils font des Écritures.

Et qu’on ne leur objecte pas que l’homosexualité existe aussi sur leur continent, et que leur rigorisme concernant les questions de morale sexuelle fait peu de cas du vécu réel d’une partie du clergé. Cela me remet en mémoire cette anecdote rapportée il y a une vingtaine d’années par un ami rentrant d’Afrique, à une époque où je dirigeais la rédaction du Pèlerin. D’un évêque auquel il demandait si ça ne le gênait pas que certains de ses prêtres vivent avec une femme, il avait obtenu cette réponse non dénuée d’humour et de franchise : « Ce qui me gêne surtout, c’est de savoir que certains vivent avec deux. Voyez-vous, le dilemme du prêtre africain, c’est : comment vivre en prêtre catholique pendant le jour et en africain pendant la nuit. » Mais là, il s’agissait d’hétérosexualité. On restait donc peu ou prou dans le dessein de Dieu. À tout péché miséricorde ! Alors qu’avec l’homosexualité c’est l’abomination de la désolation… 

En France : désobéir à son évêque pour obéir au pape ?

Concernant les évêques de France, l’interrogation est tout autre. Le contexte culturel, radicalement différent, devrait rendre l’ouverture pastorale du pape plus facile, sauf que le microclimat catholique, lui, est africain. Et que les évêques n’ont pas envie de trop heurter ce qu’il leur reste de fidèles. L’argument le plus souvent évoqué est l’ambigüité du texte romain qui prétend pouvoir bénir les couples sans bénir l’union qui le consolide.

À bien y réfléchir, il est pourtant une explication possible de cette apparente contradiction qui donne raison au pape. Le mot union a d’évidence une connotation juridique. Il suppose la ratification, par un tiers institutionnel extérieur au couple, de l’existence d’un lien entre ces deux personnes. Rien de tel dans la notion de couple qui est tout simplement la prise en compte du réel : deux personnes vivent ensemble une vie de type conjugal. Point ! Si ces deux personnes vont voir un prêtre pour lui demander sa bénédiction, il est probable qu’elles vont se présenter à lui en disant : « on est en couple », pas : « on vit en union… » Et c’est bien pour leur couple qu’elles demandent bénédiction. Le couple préexiste à l’union qui, éventuellement, en officialise l’existence. C’est d’ailleurs la même chose pour le sacrement de mariage (1). Les fiancés constituent bien déjà un couple avant même que le prêtre vienne consacrer leur union. 

La décision prise par les évêques de Bayonne et de la région Ouest de demander la bénédiction des personnes séparément est une profonde erreur. Par cette décision ils se montrent en réalité plus autoritaires que le pape lui-même qui leur laisse le choix du discernement. Pourquoi n’ont-ils pas fait de même avec leurs prêtres ? Puisque la bénédiction permise par Rome suppose la plus grande discrétion, quel risque de scandale y avait-il de confier à chaque prêtre ou diacre le soin de décider en conscience, au cas par cas ? Les voilà, par cette décision, mettant leurs collaborateurs au défi de leur désobéir s’ils veulent obéir au pape ! On voit l’avancée pastorale ! 

Un pape pasteur qui pousse les évêques à jouer les docteurs de l’Église 

Ces chicaneries ne sont pas pour autant à prendre à la légère. Elles traduisent un double mal profond. Le premier est de servir de révélateur à l’incompréhension et à la suspicion d’une partie de « l’appareil ecclésiastique » vis-à-vis de François. Ce qui n’est qu’une confirmation. Beaucoup, dans l’Église, n’ont pas pris la mesure du renversement de perspective opéré par son pontificat. Ou le désapprouvent. Sous les papes précédents, il était entendu que Rome était là pour rappeler la doctrine à temps et à contre temps. « Dura lex sed lex ». Quitte à ce que les évêques et les prêtres, localement, en adoucissent les exigences dans la plus grande discrétion bien entendu. Ce n’était pas sans conséquence. L’opinion publique non catholique, qui n’avait connaissance, par les médias, que des « interdits romains » pouvait rester, sa vie durant, dans la plus totale ignorance d’une quelconque bienveillance pastorale. 

Avec François c’est Rome qui tient le discours pastoral. Et voilà que nombre d’évêques se sentent investis de la mission de défendre la loi et la Vérité. C’est ainsi que nombre de déclarations épiscopales – comme celle des évêques de Bayonne et de l’Ouest – prennent forme d’encyclique, où abondent citations et références. Avec pour effet de durcir et rétrécir, plus que d’expliquer, l’ouverture pastorale à laquelle ils étaient invités. Tout cela me remet douloureusement en mémoire cette phrase du pape François dans son livre d’entretiens avec Dominique Wolton, à propos de certains (jeunes) prêtres : « Ils ont tellement peur de l’Évangile qu’ils se réfugient dans le code de droit canonique ». Les évêques avec eux !

L’homosexualité : péché absolu ? 

Le second mal profond révélé par cette affaire est l’homophobie radicale d’une grande partie des catholiques. Son appréhension des homosexuels, fondée sur les interdits bibliques, les transforme en êtres consentant à leur péché et refusant, pour des raisons incompréhensibles, le chemin de sainteté dans la continence que leur propose maternellement l’Église. Alors que François, ici encore, part du réel, d’hommes et de femmes en demande et nous invite à nous interroger, synodalement, sur la compatibilité de leurs requêtes avec les exigences de l’Évangile.

Est-ce vraiment un hasard si c’est le même homme, le pape François, qui plaide « vox clamans in deserto » pour qu’on considère l’immigré en nos pays, et l’homosexuel en nos paroisses, comme des personnes dignes de respect, à l’heure où spontanément les sociétés comme les communautés ecclésiales tentent semblent vouloir se protéger de la « menace extérieure » en faisant prévaloir une « préférence »  nationale ou confessionnelle) qui rassure, au risque assumé de l’exclusion ? Je retiens de cet épisode que dans leur grande générosité les catholiques de France et leurs évêques ne peuvent supporter « 10 à 15 secondes » (2) de bénédiction pour des couples homosexuels. Sans doute parce qu’à leurs yeux ce n’est pas là le dessein de Dieu. Au-dessus de leurs forces spirituelles !

Ce n’est pas moi qui vais leur refuser ma bénédiction

En commençant ce – trop – long article, j’écrivais que le troisième mérite des polémiques enclenchées par cette Déclaration romaine était l’obligation faite à chacun de nous de se positionner clairement, de sortir des faux-fuyants et des fausses certitudes. Les lecteurs de ce blog savent que je n’ai pas pour habitude de me réfugier dans le flou, sinon, parfois, d’avouer le doute qui m’habite. Comme nombre de catholiques, car ils existent aussi (3), je me réjouis avec les associations LGBT+ d’un document pastoral dont elles écrivent : « Sans toucher au volet doctrinal, source de bien des résistances et crispations conservatrices, le pontife marque sa volonté de sortir d’une logique de régulation par le haut, des « schémas doctrinaux ou disciplinaires ».

Je peux comprendre, pour ma part, que l’Église considère que le mariage hétérosexuel homme-femme correspond seul à ce qu’elle comprend du dessin de Dieu pour l’humanité. Et j’admets donc qu’à ce stade de son histoire et de sa réflexion exégétique elle ne puisse envisager un mariage religieux homosexuel  (4). En revanche je ne vois toujours pas en quoi le « croissez et multipliez-vous » devrait avoir pour contrepartie la continence absolue pour celles et ceux dont l’inclination sexuelle est autre  (5). Tel est mon combat. Et ce n’est pas moi qui vais leur refuser ma bénédiction.

René Poujol

  1. On pourrait faire le parallèle avec la loi pénale et l’interdit. Ce n’est pas la loi qui fonde l’interdit, mais l’inverse. Dans une société laïque, c’est bien parce que les citoyens, en conscience (même si pour des chrétiens cette conscience est éclairée par Dieu) réprouvent le meurtre qu’ils légifèrent sur son interdiction. 
  2. Précision, ô combien maladroite sinon scandaleuse, portée par la note explicative du Vatican en date du 4 janvier pour illustrer combien la bénédiction ouverte par Rome serait en réalité bien modeste.
  3. Qu’il me soit permis de saluer ici fraternellement nombre d’amis et amies catholiques qui ont un, parfois deux enfants homosexuels qu’ils aiment sans réserve et qui souffrent de l’incompréhension de l’Église à leur égard. 
  4. Je parle ici de mariage religieux. La reconnaissance de la conjugalité homosexuelle dans la loi civile ne me pose aucun problème. Les questionnements partagés avec d’autres au moment du débat sur la loi Taubira portaient non sur cette conjugalité, mais sur les modalités (PMA, GPA…) de la filiation à laquelle ouvrait automatiquement le mariage. 
  5. Faut-il redire ici que les couples hétérosexuels stériles ou ménopausés ne sont pas interdits de relations sexuelles 
  6. Source : https://www.renepoujol.fr/benediction-des-couples-homosexuels-courage-fuyons/?fbclid=IwAR3HQ0y-V-ihR527fH-D6Bh-qP9nvlE-UxjPztDnhKdLk7fpEcG7QXJlR-U

Publié dans Réflexions en chemin

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P
Bonjour, je partage tout à fait l'analyse de René Poujol mais je m'étonne que dans ce débat autour de la déclaration on omet l'ouverture offerte aux couples "irréguliers" c'est à dire non mariés religieusement . Cela doit concerner beaucoup de personnes pourtant qui souffrent de la règle. Par ailleurs, la déclaration établie un parallèle entre ces couples et les couples homosexuels qui de fait sont placés sur le même plan du moins quant à la bénédiction. Nos évêques réticents ont-ils mesuré les conséquences pour les couples hétérosexuels non mariés ? ?
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H
Un peu d'humour à propos de reproduction et homosexualité. Les homos ne peuvent pas se reproduire entre eux, et pourtant il semble que statistiquement leur proportion soit assez stable dans le temps... Les mystères de la création sans doute ! Pour mettre à l'épreuve notre acceptation de la diversité ?...
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