Fiducia supplicans, la bénédiction des couples « en situation irrégulière » : coup d’épée dans l’eau ou décalage pastoral ?
Pour ceux qui attendent de l’Église des positions tranchées en termes de permis et de défendu, la dernière déclaration Fiducia supplicans : « Il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe » sème le trouble. Pour ma part je trouve réjouissant qu’une fois de plus François, tout pape qu’il est, nous invite à un pas de côté qui nous décale d’une vision normative, déconnectée et descendante de la foi au Christ. Et ce chemin, il l’initie lui-même dans un mouvement de bas en haut, partant de la demande des « fidèles » comme l’indique le titre du document. Sans nier la doctrine actuelle – ce qui scierait à trop court terme la branche sur laquelle son ministère est assis –, à partir de situations qui touchent des millions de personnes et leurs proches, il souhaite et nous souhaite tous de partir de la vie des gens, de leurs demandes, de là où chacun en est. Et pas pour tancer du haut de la chaire de St-Pierre ni canaliser, mais pour d’abord rejoindre les personnes, et donc nous rejoindre là où nous en sommes, comme le Christ dans tant de passages de l’Évangile. J’entends : « Vous voulez vivre l’Évangile au pied de la lettre et l’annoncer ? Vous voulez accompagner les autres ? Commencez par vous tenir au pied des réalités des personnes au lieu de les juger ».
Enfant, je ne pouvais comprendre comment il était possible de proclamer un Dieu Père plein d’amour, de miséricorde, et en même temps interdire l’accès à la table de ma première communion à mes parents, sous prétexte qu’ils ne se repentaient pas de leurs péchés puisqu’ils vivaient chacun de leur côté divorcés-remariés. Pour « être admis », il leur aurait fallu changer de vie – alors qu’ils étaient à nouveau parents – et avoir la ferme résolution de ne pas recommencer « le scandale » ; ou comme je l’ai aussi entendu, que l’un d’entre deux meure pour être sortis du « scandale public » de leur vie commune ! Le préalable à tout ce n’était donc pas cet amour de Dieu, le don de sa vie en plénitude, l’accueil, la reconnaissance, ces mots qui remplissaient la bouche de ceux qu’ils entendaient malgré leur peu de proximité avec l’Église. Bref, ce que je comprenais, c’était ce que je voyais : ce qui devait présider au don de Dieu dans l’hostie – puisque c’est ainsi qu’on m’en parlait –, c’était leur capacité à se repentir et à obéir aux commandements. Désespérant… Qui peut y prétendre ? Déroutant également, car j’avais du mal à faire comprendre mon cheminement : choisir l’Évangile cela n’avait rien à voir avec volonté de juger.
Merci à François qui, malgré les violents courants et autres dubia qui s’opposent à sa manière de faire, tente de nous faire sortir de cette logique pleine de normes, de légalisme. À tout petits pas, il ouvre une porte que je crois beaucoup plus subtile et difficile à refermer que s’il avait imposé un changement de doctrine.
Certains déplorent la timidité de ce pas en avant. Je trouve que d’attendre un changement de doctrine revient à toujours placer l’Église en détentrice de normes à faire respecter. Et pas seulement pour ces questions de morale sexuelle. Alors cette porte, même petite, pour moi, permet à la joie de passer. Rien que cela ? Eh bien oui puisque auparavant le message principal porté par l’Église c’était : quand vous n’êtes pas dans les clous, reconnaissez votre péché, mettez-vous en règle. Ce qui est premier et compte le plus, c’est le repentir. Divorcés, vous voudriez dire « merci » quand l’amour fait à nouveau signe dans vos vies cabossées par le divorce ? Vous êtes dans l’erreur, dites plutôt « Pardon ».
Mais avec ce chemin que le Pape François tente de nous indiquer depuis des années, j’entends : « Comme chacun de nous, et moi avec vous, vous êtes en chemin. Vous avancez, vous construisez vos vies ou vous vous reconstruisez ensemble après l’épreuve, pour cela vous appelez une parole de bénédiction, une parole qui vous souhaite du bien, du bon, ou autrement dit des bienfaits, une parole qui ne nie pas votre réalité de vie ensemble et la prend comme elle est pour vous accompagner et vous remettre en route. »
Merci, François, cette tonalité de proximité et bénédiction c’est tout de même tellement plus proche de l’Évangile. Puissions-nous témoigner de la joie, d’un esprit de bénédiction, quand des personnes assommées par le divorce se relèvent, quand des couples homosexuels s’entraident, s’engagent et cherchent ensemble à avancer en mettant leurs vies unies sous le regard du Christ, même si aux yeux de certains ce qu’ils vivent est « irrégulier ». Merci à François de porter notre regard bien au-dessus de nos ceintures, là où auparavant semblait régner les plus impardonnables des péchés. Béni soit-il de nous aider à redécouvrir le goût simple de la bénédiction et du tact divin, ils ouvrent tant de chemins de vie.
Un jour, peut-être, dans l’Église, pour ces histoires d’amour il sera plus courant de remercier. Pas seulement de demander une bénédiction, mais de bénir Dieu, de remercier.
Et alors, quand les cibles d’amour seront ratées, oui, les pardons auront vraiment un sens inscrit d’abord dans l’amour premier et le don de Dieu qui nous précède, non dans une logique qui implique d’être dans ou hors des clous.
Alexandra N.