Sommes-nous libres croyants ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Extraits de l’article de Michel Bertrand « La liberté en questions », paru dans  Évangile et liberté en décembre 2022

Cette interpellation concerne aussi bien notre vie en société que notre vie en Église. C’est pourquoi je salue le « nous  » qui est dans la question : « Sommes-nous libres croyants ? ». En effet, on ne peut être libre sans les autres, on ne peut être libre croyant sans les autres, croyants ou non, car nous ne pouvons vivre sans les autres et nous mourrons de nos enfermements. […] On peut se demander si ce ne sont pas généralement les « forts  », les nantis, les privilégiés (et nous le sommes nous aussi !) qui peuvent, de ce fait, se permettre d’être plus ouverts, plus libres, plus libérés… […]

Notre positionnement dans la société peut conditionner, plus que nous le pensons, notre liberté ainsi que nos libres croyances et surtout la manière de les exprimer. Ne nous arrive-t-il pas de témoigner parfois d’une liberté arrogante et sûre d’elle-même, que les petits dans la société comme dans l’Église ne peuvent ni entendre ni supporter ? Ce qui explique que parfois ils se pensent non reconnus et humiliés, comme en témoignent les discours contre les élites, les experts, les « sachants », les forts, ceux qui ont les moyens matériels, culturels et autres, de leur liberté. Et déjà les mots pour la penser, la dire et la défendre. Ils considèrent, alors, à tort ou à raison, que c’est là un luxe qu’ils ne peuvent se permettre.

On le voit, conjuguer liberté et altérité, liberté individuelle et vie en société, est compliqué. Au point que Kant l’exprimait dans un oxymore, parlant de « l’insociable sociabilité de l’homme ».
C’est pourtant là un défi sans cesse à relever, et même un enjeu décisif et urgent dans une société menacée de dérégulation, de déliaison, de déliement et parfois de délitement.

[…] Je termine en revenant à la question « Sommes-nous libres croyants ? ».

  • Être libre croyant, c’est déjà considérer que l’autre n’est pas forcément moins libre ni moins croyant que moi ! Mais c’est toujours porter le souci de sa liberté à lui, de sa libération quand il est asservi.
  • Être libre croyant, c’est prendre sa place dans le débat, au sein de l’espace public, éventuellement dans la communauté ecclésiale, c’est se laisser interpeller et décaler par l’autre, comme il se laisse interpeller par moi, accepter qu’il fonctionne à mon égard comme une altérité critique. C’est cette dimension critique de l’altérité qui peut éviter toute absolutisation de nos convictions ou croyances. Étymologiquement, « absolu » (ab solus) signifie ce qui est par soi seul, ce qui n’admet rien d’autre que soi, c’est-à-dire quand la liberté ne fait plus de place à l’autre. L’histoire et l’actualité nous rappellent que c’est alors la porte ouverte au fanatisme, à l’intégrisme et donc à des atteintes tragiques aux libertés.
  • Être libre croyant, c’est même être libre à l’égard de ses propres croyances. Le pire pour la liberté c’est lorsqu’elle devient un dogme.
  • Être libre croyant, c’est exposer ses convictions au double sens du verbe exposer. C’est-à-dire les présenter, mais aussi les risquer dans la rencontre avec les convictions d’autrui, en acceptant d’être transformé dans un rapport de réciprocité. C’est ce que permet la laïcité dans le cadre de l’espace public.
  • Être libre croyant, c’est oser confronter ce que l’on croit à la pluralité du monde, à la complexité du réel, à la dureté de l’existence, en assumant les limites qui peuvent en découler.
  • Être libres croyants, c’est plus largement encore, laisser toujours de l’espace à l’autre, à un Autre, dans nos existences, c’est être disponibles à la liberté, disposés à accueillir sa venue, au cœur même de nos enfermements, de nos « confinements » de tous ordres.

Cette liberté que nous recevons, sans jamais la posséder, n’est-ce pas, au fond, le visage même de l’espérance ? Cette promesse libératrice qui ouvre sans cesse d’autres possibles, dans notre histoire et dans nos vies.

Michel Bertrand

Sources : http://librepenseechretienne.over-blog.com/2023/10/sommes-nous-libres-croyants-michel-bertrand.html
https://nsae.fr/2023/12/16/sommes-nous-libres-croyants/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=newsletter-nsae_97

Publié dans Réflexions en chemin

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Toutes ces invitations à « Être libre croyant » sont des élévations vers l’intelligence et un appel à tout ce que le mot compassion réunit comme formes du respect du prochain.<br /> Mais, devant l’histoire féroce des croyances et des pensées, et devant les temps d’extension du domaine de haine où nous sommes, sans doute faut-il inlassablement interpeller les hésitants qui nous entourent avec deux de ces élévations. <br /> Oui, « absolu » signifie pour tout frère humain que quand sa vérité ne fait plus de place à celle de l’autre, c’est alors « la porte ouverte au fanatisme, à l’intégrisme et donc à des atteintes tragiques aux libertés ».<br /> Et plus encore, qu’ « Être libre croyant, c’est (…) être libre à l’égard de ses propres croyances. Le pire pour la liberté c’est lorsqu’elle devient un dogme ».
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