La voie de Jésus de Nazareth, toujours d’actualité

Publié le par Garrigues et Sentiers

Poser la question dans la revue Parvis, ne serait-ce pas sous-entendre qu’il existe un doute dans l’esprit de ses membres, à savoir : le témoignage chrétien persiste-t-il dans le monde d’aujourd’hui et subsistera-t-il demain, plus précisément dans l’espace européen où nous vivons ? Membre moi-même de Parvis, je suis habité par cette interrogation depuis des années. Voici un bref résumé de ma réflexion, soumise au débat.

Le Jésus catholique officiel discrédité

À regarder lucidement la situation actuelle de l’Église catholique, dont la plupart d’entre nous sommes issus (on pourrait en dire autant pour d’autres Églises), nous pouvons avoir en effet de solides raisons de penser que la crise sérieuse qu’elle traverse n’est pas une simple parenthèse éprouvante, à la suite de quoi elle retrouverait sa vigueur d’antan, mais la fin inexorable d’un imposant et puissant système religieux, en dépit de la façade qu’elle donne encore. Celle-ci n’a cessé de se lézarder dans les trois derniers siècles mais l’effondrement est allé croissant depuis la moitié du XXsiècle. Comment en est-on arrivé là ?

C’est que le Jésus actuel du catholicisme officiel, défini par les dogmes des premiers conciles des IVe-Ve siècles – considérés depuis comme des vérités immuables – n’est plus croyable par nombre de nos contemporains qui ont acquis un esprit critique et une autonomie de penser, ce qui les incite à inventer leur vie librement sans être à la remorque d’une doctrine prête à porter.  Ne sommes-nous pas de ceux-là ? Ce « Jésus-des-dogmes » ne peut inspirer notre vie d’hommes et de femmes modernes du XXIe siècle. Il nous apparaît spontanément « exculturé » selon le mot très juste de la sociologue Danièle Hervieu Léger, c’est-à-dire sans lien avec nos conceptions actuelles de l’homme et du monde, marquées profondément par le développement des sciences de toute nature, qui, depuis le XVIesiècle, ont bouleversé les antiques représentations sous-jacentes aux langages chrétiens traditionnels toujours en vigueur.

En conséquence, nous ne pouvons plus accepter ni supporter que l’on continue de présenter le message et la pratique de libération de Jésus – un profond humanisme – comme un système religieux dogmatique, moralisant, ritualiste et clérical. Jésus de Nazareth n’a pas institué une religion – c’est une évidence pour qui a étudié son parcours historique – mais il a initié par sa parole et sa pratique de libération une manière de penser et de vivre humainement toutes les dimensions de l’existence. Il s’agit d’une bonne nouvelle s’adressant à la conscience de chacun, lui affirmant sa valeur propre au regard d’un Dieu qui est amour et l’invitant lui-même à lutter contre toutes les formes de discriminations et de mensonges qui défigurent les humains.

Pour nous, membres de Parvis, constatant que le Jésus du catholicisme est enkysté dans ce que Joseph Moingt appelle une grave « déviation » structurelle, impossible selon moi à surmonter tellement le système catholique (dogmatique et clérical) est solidement installé et sacralisé depuis quinze siècles, la vive mémoire de Jésus peut-elle continuer son chemin dans la vie des humains ?

Pour que la voie de Jésus demeure d’actualité

Il me semble d’abord que nous ne devons pas nous effrayer de ce dépérissement des Églises. Telles qu’elles existent, elles sont des réalités humaines qui ne sont pas revêtues d’un label divin leur assurant automatiquement une existence éternelle. Elles n’ont d’importance qu’en témoignant de l’esprit qui animait Jésus : c’est une exigence à laquelle elles doivent se soumettre et qui appelle un renouvellement permanent. Ne pas s’y prêter, c’est une voie mortifère. Nous, chrétiens de base, devons-nous coûte que coûte nous faire un devoir de fréquenter ces Églises si elles ne nous nourrissent pas et si nous n’y trouvons pas notre compte ? Rien ne nous y oblige.

Nous avons aussi à prendre acte que nous vivons désormais dans un monde de plus en plus sécularisé, où, tant chez les personnes que dans le fonctionnement social, les choses se pensent et s’organisent sans référence au religieux, ce qui oblige les gens et les groupes à réfléchir, à débattre avant de se positionner et de prendre parti. C’est dans ce monde que nous avons à témoigner et nous ne le pourrons que si nous aimons ce monde tel qu’il est et si nous nous soumettons nous-mêmes à l’exercice de la réflexion et du débat. Pour promouvoir un monde humain, les réponses ne viennent pas du ciel ! Inspirés par l’esprit évangélique, nous avons à les chercher avec toutes les composantes de notre société.

Cette situation nous oblige à prendre effectivement nos responsabilités pour faire connaître et actualiser la voie de Jésus de Nazareth. Celle-ci ne peut en effet se perpétuer que par le témoignage actif et inventif de ses disciples : chacune et chacun de nous est donc concerné. Comment l’envisager ?

D’une part, en nous ressourçant nous-mêmes, seul et avec d’autres disciples, à l’esprit qui animait Jésus et qui transparaît dans ses prises de position et ses engagements. Si nous ne trichons pas avec notre propre manière de conduire notre vie, nous découvrirons d’autant mieux ce qui l’inspirait intérieurement. D’autre part, en partageant au sein d’une petite communauté locale de disciples nos questions, nos convictions, nos expériences d’humanisation au long des jours, en nous soutenant mutuellement lors d’épreuves, en priant aussi ensemble et en célébrant le partage du pain et du vin en mémoire de celui qui s’est donné sans compter pour que vivent au mieux celles et ceux qu’il rencontrait. Marcel Légaut comme Joseph Moingt insistent beaucoup sur cette vie communautaire. De temps en temps, il est bon de se réunir plus largement pour se connaître, s’écouter, se stimuler, aiguiser la réflexion au contact de penseurs qui l’alimentent et l’approfondissent. Ceci dit, chacune et chacun au long des jours est incarné dans sa propre vie de couple, de famille, de quartier, dans sa vie relationnelle, professionnelle, à travers ses divers engagements. C’est dans notre manière très concrète de vivre au quotidien que s’actualise la voie de Jésus de Nazareth. Personne ne peut l’inventer à notre place.

Mais cette actualisation déborde infiniment le témoignage que peuvent lui rendre consciemment ses disciples. Elle est à l’œuvre dans le monde entier à travers tout ce que des humains vivent et entreprennent chaque jour qui à nos yeux a la couleur de l’Évangile : les mille façons de pratiquer l’écoute et la reconnaissance d’autrui ; les nombreux actes d’entraide, de solidarité, d’accueil qui émaillent les relations entre les gens ; les prises de position et les mobilisations contre ce qui marginalise et humilie les personnes ; le refus de la violence pour faire prévaloir les causes légitimes ; le respect de l’adversaire ; la valorisation de ceux qui  n’ont pas confiance en eux ; les prises de conscience qui font sortir des préjugés, etc.

Il ne s’agit absolument pas de considérer les acteurs de ces pratiques humanisantes comme des chrétiens qui s’ignorent. Mais il importe de percevoir que leur qualité d’humanité consonne tout à fait avec celle à laquelle Jésus a consacré sa vie, à ses risques et périls. Il y a, aujourd’hui comme hier, des jeunes et des adultes qui, écoutant la voix de leur conscience et refusant les mensonges, les habitudes sclérosées, le confort d’une vie sans histoires, choisissent de vivre vrai, en dépit de difficultés, d’oppositions, d’incompréhensions. Ils sont le sel de la terre et la lumière du monde. La lecture des journaux et l’écoute d’émissions de TV nous rapportent des témoignages de la sorte. Ainsi, le dépérissement du religieux et des religions ne signifie pas le dépérissement de l’humain véritable vécu sous toutes ses formes. La promotion de l’humain qui était le souci principal de Jésus demeure le souci non seulement de ses disciples mais de tout humain qui écoute la voix du Souffle émanant de ses profondeurs (Jn 3,8). À nous d’y être attentifs !

Ma conviction : il ne manquera pas à l’avenir de disciples qui se consacreront à faire connaître la voie de Jésus, mais ils seront minoritaires, ce qui ne pourra que les stimuler à vivre en vrais témoins en se rappelant que la fidélité n’est pas de répéter mais de recréer en actualisant. Je suis tout aussi convaincu qu’il est capital de valoriser la manière non-religieuse de promouvoir la voie du nazaréen et de participer nous-mêmes à ces émergences d’humanité. Considérant de cette manière l’actualisation de la voie de Jésus, je ne suis pas inquiet pour son avenir.

Jacques Musset

Source : Revue Réseaux des Parvis n°119 : https://www.reseaux-parvis.fr/2023/10/31/revue-reseaux-des-parvis-n-119-novembre-decembre-2023-la-voie-de-jesus-de-nazareth-toujours-dactualite/

Publié dans Réflexions en chemin

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M
Totalement d'accord avec cet article ouvrant grand les fenêtres de "l'enseignement" de Jésus. Il remet la "religion" à sa place (qui n'est pas vide) et montre combien le suivre Jésus est libérateur pour le monde. en montrant aussi comment ceux qui ne se reconnaissent pas en Jésus peuvent aussi œuvrer (et beaucoup œuvrent) à l'humanisation du monde et par là entrer dans l'action de Dieu. Dieu appelle tous les hommes à entrer dans son amour, je pense que les chrétiens sont minoritaires non seulement sur terre, mais aussi dans l'au-delà que je ne sais nommer.<br /> Mais il me manque quelque chose cependant. Je cite Saint Paul: "Nous prêchons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens" (1 Cor 1,23) ou encore :"Et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine."(1 Cor 15,14). Pour nous Chrétiens, l'Evangile ne se limite pas à un enseignement éthique, moral ou autre d'immense qualité capable de bouleverser le monde, tout cet enseignement du Christ mène à la preuve d'amour total dépassant toutes nos capacités, amour signifié sur la Croix. Enseignement sur un Dieu aimant au lieu de puissant, qui mène à l'espérance (qu'il ne faut pas confondre avec l'espoir) fondée sur la réponse du Père à l'amour de son Fils par la Résurrection.<br /> Ainsi l'amour auquel tous les hommes sont appelés et qu'ils vivent, celui qui est enseigné par Jésus tout au long de sa vie, est devenu un partage de l'amour de Dieu pour l'humanité. C'est à ce partage que veut nous mener Jésus.<br /> Il me semble qu'il faut aussi tenir cela, sinon nous nous contentons de la grande sagesse du Christ, Pas mal mais "peut mieux faire"....
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