Avent 2023

Publié le par Garrigues et Sentiers

 

Les textes proposés pour le premier dimanche de l’Avent nous incitent à considérer un peu sérieusement ce que ce temps qui s’ouvre peut inspirer dans nos vies. Isaïe annonce le salut de Dieu pour le peuple après la « punition » de l’Exil...à condition que « jamais plus il ne s’éloigne de son Seigneur ». Saint Paul nous assure qu’ « aucun don de grâce ne [nous] manque » et que Dieu nous « a appelés à vivre en communion avec son Fils ». L’Évangile nous demande de nous tenir prêts, nous ne savons ni le jour ni l’heure de l’irruption de Dieu dans nos vies (pas seulement lors de notre mort).

Que peut être pour nous ce temps de l’Avent ?

 

Commençons par une remarque. Nous terminons enfin cette litanie des « dimanches après la Pentecôte », ainsi désignés du temps de notre jeunesse, qui défilaient sans saveur, comme si notre foi et sa célébration étaient un peu en jachère. Rien ne se passait, la vie de foi se déroulait sans heurts dans une pratique routinière... Après les fêtes importantes sensées raviver notre foi (Noël, préparé pendant 4 semaines, Pâques, préparé par 7 semaines puis répété pendant 40 jours pour finir par l’apothéose de l’Ascension, la Pentecôte qui nous envoyait en mission), nous étions devenus de « bons chrétiens », bien en ordre, comme tout bon adepte d’une religion. On s’assoupissait enfin tranquillement.

Alors, réforme comme l’institution aime en faire, on a changé tout cela, évidemment sans rien changer, les dimanches après la Pentecôte sont devenus « dimanches du temps ordinaire » (rejoignant quelques-uns situés dans le temps « plat » qui précède le Carême) ! Temps ordinaire ?! Mais qui a eu l’idée de cette incongruité ? Le temps de notre vie sur terre est-il ordinaire ? Mais c’est le temps dans lequel nous construisons notre relation avec le Christ, c’est le temps que Jésus utilise pour venir en nous, toujours à l’improviste et toujours là, en embuscade pourrions-nous dire ! L’Évangile du jour nous le rappelle si nous ne le réduisons pas à l’annonce qu’un jour nous mourrons. Cette désignation de « temps ordinaire » me fait penser à ce qu’on entend souvent : « je crois un peu...mais il faut voir…, je crois sagement, sans excès...de façon ordinaire...». Sommes-nous chrétiens « un peu », « sagement » ? Je préfère mes amis athées, et ils ne le sont pas qu’un peu !

 

Bref, venons-en à l’Avent. Plus qu’une préparation à la fête de Noël, nous pourrions faire de ce temps une reprise de fond en comble de notre vie de foi. Pendant 6 mois nous allons célébrer l’essentiel du mystère du Christ, de l’irruption de Dieu dans nos vies, ici et maintenant. Qu’est-ce que cela nous dit ? Et nous demande, à nous, maintenant ? Comment prendre au sérieux (pas « un peu ») la foi en Jésus venu nous donner la Vie ? Quelle est notre espérance ? Quel est notre désir ?

Nous avons évoqué plus haut un endormissement, certains d’être tranquillement sur le bon chemin après avoir écouté l’enseignement de Jésus transmis par les disciples...et leurs successeurs. Son enseignement ? Mais Jésus n’a pas développé de doctrine, ni de morale. La plupart de ses paroles nous sont inconnues, alors, qu’a-t-il enseigné ? Ce sont les hommes qui, après coup, avec raison ou pas, ont développé une doctrine, des dogmes, une morale. Ce sont les hommes qui ont eu besoin de définir des cadres, savoir ce que l’on croit, une fois pour toutes, et savoir comment pratiquer ces croyances. Organiser entre eux ceux qui se réfèrent à Jésus, définissant surtout un « dedans » et un « dehors ».

Tout cela est très humain, inévitable et parfois nécessaire. Mais y a-t-il là une originalité parmi toutes les autres religions ? Toutes prônent la révérence envers Dieu, un certain amour du prochain (pourvu qu’il ne nous bouscule pas trop). Toutes proposent une description des rapports de l’homme avec Dieu et inventent des rites pour donner chair à cette relation. En quoi sommes-nous différents ? D’ailleurs bien des « sages » prônent une religion universelle, faite de tolérance, chacun organisant son rapport à Dieu comme il le sent...Tout se vaut...et surtout ne doit pas nous bousculer. Nous sommes des déistes qui ont construit une morale, une éthique et une dogmatique sur le dos de Jésus pour mieux le contenir. Il n’est pas étonnant qu’avec les avancées philosophiques des Lumières et leur suite, avec l’avènement de l’autonomie des hommes et de leur liberté intrinsèque, cela n’intéresse plus grand monde. Il ne s’agit pas de condamner dogmes, morale, éthique, « identité chrétienne », mais de les empêcher de remplacer la vraie relation au Christ, le Vivant. Saint Paul, se référant à Moïse dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, évoque un voile qui empêchait le peuple de comprendre la Parole, et

 

« c’est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe » (2Cor 3, 16).

 

Ce voile semble bien présent encore actuellement, qui nous cache l’essentiel de l’Évangile. Si la vérité était que nous n’avons jamais entendu l’Évangile ? Voici quelques années, Dominique Collin a écrit un livre intitulé « L’Évangile inouï » (in-ouï, ni écouté ni entendu) (1). Ce livre pourrait nous accompagner tout au long de l’Avent. Pour ouïr, il faut écouter, et pour cela se vider de soi-même (de son « moi » pour trouver notre « Soi » donné par le Père (2)) et vouloir accueillir. Accueillir quoi ? Qui ? Quel est notre désir ? Sans désir, on ne peut pas recevoir. C’est notre « moi » propre qui nous empêche d’accueillir. Notre « moi » terrestre qui n’arrive pas à décoller, notre désir de réalisation de ce moi englué dans nos soucis, nos petits espoirs, nos désirs bien à nous, notre ordre bien établi.

 

L’enseignement de Jésus, c’est sa vie. Et sa vie terrestre était informée par la Vie, celle qui participe de la Vie du Père. Au lieu d’ergoter sur toute parole, toute parabole (c’est bien de les méditer, mais elles appartiennent à un tout et c’est dans ce « tout » qu’elles prennent sens), laissons-nous ouvrir à la Vie qui était la sienne. Jésus partait la nuit dans le désert pour retrouver son Père. Dans cette solitude, au-delà de son existence quotidienne d’homme parmi les hommes, il rejoignait l’être qu’il était et qu’il devenait en Dieu. Il est probable qu’il n’y récitait pas des psaumes...ni le chapelet (ou les oraisons de la Messe!), il vivait sa Vie avec son Père. Et, soyons-en sûrs, il était alors présent à toute la vie des hommes, leurs joies comme leurs souffrances. Est-ce que notre prière est récitation (ça peut être un début, une béquille) ou un face à face avec Jésus et son Père, face à face possible quand nous rentrons au plus profond de nous-mêmes, au-delà de notre moi (notre ego), parce que l’Esprit est en nous ? L’homme Jésus se savait en relation forte avec le Père et la vivait dans le secret de son être. Jésus nous a enseignés à travers ce témoignage sur sa relation avec le Père, source de la Vie qu’il est venu nous offrir.

C’est cette relation que les hommes n’ont pas pu supporter, car elle bouleverse tous les concepts de vie sur terre, change la hiérarchie des choses, des actes, des événements. Notre vie « ordinaire », notre moi ne disparaissent pas, mais ils sont transfigurés dès à présent s’ils accueillent la Vie dont Jésus est témoin. Après la Pentecôte, les disciples ont ainsi été totalement transformés. Notre foi est fondée sur ce témoignage qu’ils ont donné, pas sur telle ou telle parole, mais sur la vérité de leur nouvelle Vie. Collin écrit que « la nouveauté de l’Évangile réside moins dans ce qu’il dit que dans l’expérience qu’il rend possible ». L’Évangile est une parole performative, il agit en nous. Ce n’est pas le contenu qui compte mais ce qu’il fait. Ce n’est pas l’histoire factuelle de Jésus qui est importante, mais ce qu’il a vécu et sa mort même qui ont été sa raison d’être. Il n’a pas dit ce que serait notre avenir, mais il a fondé notre espérance : savoir, croire que nous sommes déjà en Dieu et que notre avenir est en Lui.

 

Pendant cette période de l’Avent, il pourrait être bon de recadrer notre vie en accueillant la Vie que nous donne Dieu. Il nous la donne en Jésus-Christ, dans l’Esprit : c’est la personne de Jésus qu’il nous faut accueillir pour enfin « ouïr » l’Évangile, la Bonne Nouvelle de la Vie que le Père partage avec nous dont il fait ses fils.

 

« Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, [ …], nous rendons témoignage, et nous vous annonçons la Vie éternelle » (1Jn 1, 1-2).

 

Cette vie qui se transforme en Vie, qui se lit à partir du futur (c’est cela l’eschatologie), est totalement transformée, prend un tout autre sens, lorsque nous nous laissons atteindre par le témoignage que nous donne Jésus, lorsque nous pensons toute chose à partir de la fin et non dans la continuité de « ce qui s’est toujours fait ». Ayons le courage de lever le voile en dépassant morale et dogmes qui nous sécurisent pour nous laisser saisir par le Christ.

 

 

Marc Durand

 

(1) Dominique Collin : « L’Évangile inouï », Salvator, Paris, 2019.

 

(2) Le « moi » est notre « ego », ce que nous sommes, chaque individu avec son histoire, son être même. Mais au-delà (au plus profond) de ce « moi » dont nous avons conscience se trouve le « soi » qui est le « moi » infusé par l’autre, le « moi » qui, « au-delà de l’essence » comme l’écrit Lévinas, existe comme réponse à l’autre, ne peut exister que par l’autre. Quand nous descendons dans les profondeurs de notre « moi », nous pouvons accueillir ce « Soi » qui nous est donné par l’Autre, Dieu, nous fait comprendre Ricœur. Ce « Soi » nous appelle à la Vie, il nous est offert par la médiation des autres.

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