A l'écoute de la Parole de Dieu
33eme dimanche du temps ordinaire 19/11/2023
Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 /128 ; 1 Th 5, 1-6 ; Mt 25, 14-30
Avec le synode sur la synodalité, on a enfin parlé de la situation des femmes dans l’Église romaine. On revient de loin ! Pendant deux millénaires, l’Église — comme la société civile soulignons-le, comme la plupart des élites : philosophes, médecins, avocats — a considéré, dans la foulée d’Aristote et des civilisations antiques, les femmes comme des êtres mineurs, incomplets, fragiles et changeants, bref inférieurs, et à qui on ne pouvait faire confiance que dans l’exécution des rôles que les mâles leur avait attribués : «ménage» (au sens large de la gestion du domestique), enfantement (on pouvait difficilement se passer d’elles en ce domaine), et piété bien sûr pour les maintenir, par la crainte de Dieu, dans l’obéissance et la docilité. Ce comportement, assez général chez les ecclésiastiques, ne relevait pas forcément d’une «misogynie» patentée, mais plutôt d’un paternalisme, souvent attentif d’ailleurs («maris, aimez vos femmes …» Col 3,19 et Éph 5,25), mais dénué de questionnements sur un état de fait «traditionnel».
A cet égard, les deux premiers textes du jour sont symptomatiques. Le chapitre 31 des Proverbes est célèbre, on le lisait souvent, jadis, aux cérémonies de mariage. Il est l’illustration du mythe de la «Femme éternelle» : organisée, travailleuse, toute tendue vers le bonheur de son mari (pourquoi n’explicitait-on pas la réciproque ?), aumônière : elle est «parfaite» ! Le psaume 127 complète ce portrait en rappelant que la femme parfaite doit également être une vigne généreuse, dont les fils (et pourquoi pas les filles ?) trônent autour de la table familiale.
La «tradition» a oublié un peu le chapitre 1 de la Genèse, verset 27 : «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme», version égalitaire de la création conjointe de l’homme et de la femme sans aucune marque d’infériorité ou de dépendance de celle-ci à celui-là. Et même au chapitre 2, versets 21-22, certains traducteurs insistent sur le fait que, faite de la chair d’Adam et prise de son côté (et non de sa côte), Ève était en quelque sorte consubstantielle, c’est le cas de le dire et donc égale à Adam.
Épître et évangile tiennent un tout autre discours. Il est la reprise de ce constat du dimanche précédent (Mt 25,1-13), que nous ignorons l’heure du jugement. Et cette ignorance n’est pas seulement celle des hommes, car : «Pour ce qui est du jour et de l'heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul» (Mt 24,36). Notons ici que le Fils, lui-même, ne connaît pas le «dessein» du Père. Il s’agit donc d’être vigilants (1 Th 5,6), comme doivent être les serviteurs d’un maître parti en voyage et qui risque de revenir à l’improviste.
Chez Matthieu, cette lecture s’enrichit de la parabole un peu mystérieuse des talents. Ce maître, partant en voyage, organise la gestion de ses biens en son absence. En homme avisé, il connaît les «capacités» (et donc les inaptitudes) de ses collaborateurs . En fonction de ce qu’elles sont, il a dosé les sommes qu’il leur confiait pour les faire fructifier. Ce qui devait arriver, arriva : les serviteurs les plus doués, ou les plus travailleurs, ont gagné autant que ce que le maître leur avait remis. Quant au détenteur d’un unique talent — qui avait reçu cependant une somme déjà considérable, puisque qu’un talent valait entre 26 et 36 kg d’argent (c’est à dire le salaire de toute une vie) — par crainte des exigences du maître ou par paresse, il s’est contenté d’enterrer la somme pour la conserver. Il est jugé durement et «jeté dans les ténèbres extérieurs, là (où) il y aura des pleurs et des grincements de dents».
Pour éviter une lecture trop passive de textes complexes et sans espoir d’en venir à bout, il faut bien, parfois, tirer une «morale» personnelle des récits bibliques. Nous recevons tous, plus ou moins, qui dix, qui cinq, qui un talent. Qu’en avons-nous fait ? Il est facile de dire : «je n’ai pas su faire, ou je n’ai pas eu de chance …». Dans tous les cas, nous avons reçu beaucoup, ne serait-ce que le temps de vie qui nous a été donné. Qu’en est-il résulté ? Pourtant le champ d’application était balisé : servir Dieu et nos frères (et sœurs !). Qu’avons-nous fait, que faisons-nous de nos talents ou, au moins, avons-nous essayé d’en tirer quelque chose de bon ?
Marcel Bernos