Homo Viator 9. Une maison de poupée

Publié le par Garrigues et Sentiers

Je le reconnais j'étais "furax", le prix du gîte me paraissant exorbitant, André n'avait pas discuté : pas de camping, nous étions à la rue après une journée épuisante. Notre propriétaire, charmante jeune femme blonde et mince, nous introduit dans un appartement luxueux, proche d'une piscine. « Elle est à notre disposition » (Non merci, très peu pour nous, notre besoin consiste dans une douche bien chaude). Qu’à cela ne tienne !  Une salle de bain dont un immense miroir connecté nous permet de varier la luminosité, nous attend. Je découvre progressivement un logement où tout est "bio", tout est certifié "développement durable", tout est connecté ! À tel point que la télévision échappe à nos capacités intellectuelles, impossible d'obtenir un bulletin d'information sur la guerre en Ukraine mais par contre nous avons accès à toutes les plates-formes commerciales pour les jeux vidéo et les achats de films en ligne.

Alors que je me douche et me sèche avec des serviettes de bain de grande marque, dont la traçabilité me permet de vérifier leur production sous le label "développement durable", la tentation surgit : celle de voler un gant de toilette, blanc et doux, car justement j'en ai besoin d'un. Mais alors que je le tiens en main la voix de mon ange gardien résonne à mes oreilles : "Tu ne voleras pas", je me rebiffe "Mais enfin c'est un vol de rien du tout, elle ne s'en apercevra pas"
- "Là n'est pas la question, tu ne voleras pas ton prochain".
- "Tu ne vas pas quand même me faire toute une histoire pour un acte si bénin" ?

- "Tu ne volera pas, point final".
- "Tu radotes !"

Pour me débarrasser de ce genre d'ange gardien je devrais passer par une analyse Lacanniene pure et dure pendant au moins une vingtaine d'années, mais j'ai toujours reculé devant ce genre d'investissement et maintenant j'ai passé l'âge. Bref je suis partie de ce logement de poupée sans avoir commis de larcin… À mon grand regret.

Les propriétaires de gîtes me sont souvent apparus comme avaricieux, sans scrupules pour échapper à l'impôt : exigence de payer en espèces sans aucune trace écrite du séjour. Mais dans l'ensemble des logements confortables et des personnes admiratives de notre parcours, de nos charges et de nos âges, sauf une mégère qui nous a interpellés de façon peu amène : « Laissez-moi vous dire que ce que vous avez entrepris, c'est une folie, ce n'est plus de votre âge ! ».

Christiane Giraud-Barra

Publié dans Réflexions en chemin

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