A l'écoute de la Parole de Dieu
28e Dimanche du Temps Ordinaire (année A)
Is 25, 6-10a ; Ps 22 (23) ; Ph 4, 12-14.19-20 ; Mt 22, 1-14
Les textes de ce jour nous présentent le Royaume de Dieu non pas comme une assemblée plus ou moins austère d’adorateurs guindés, mais comme une fête. Et qu’est-ce qui peut donner davantage l’impression de fête qu’un festin de «viandes grasses et de vins capiteux» ?
Le psaume s’applique à dépeindre le décor de ce festin : «des près d’herbe fraîche» au bord d’«eaux tranquilles» (heureux choix dans le pays semi-désertique qu’était la Palestine).
Pour faire un bon usage, à la fois ascétique (1) et prudent, de cette largesse divine et nous préparer à une éternité de bonheur, Paul (Ph 4,11-12) offre une méthode, marquée par une grande liberté : «… j’ai appris à me contenter de ce que j’ai. Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance…». Cette sagesse pratique du juste milieu, on la trouve déjà dans l’Ancien Testament : « Je te demande […] ne me donne ni pauvreté, ni richesse, accorde-moi le pain qui m’est nécessaire. De peur que, dans l’abondance, je ne te renie et ne dise : Qui est l’Éternel ? Ou que, dans la pauvreté, je ne dérobe, et ne m’attaque au nom de mon Dieu. » (Prov 30,8-9). On retrouve la même «sainte indifférence», élargie, chez Ignace de Loyola : «…que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte…» («Principe et fondement des Exercices spirituels»)
Sans qu’on y participe béat et passif, bien sûr, le festin symbolise d’autant mieux l’heureuse ambiance du Royaume, que la mort en est «effacée pour toujours» (Is 25, 8). Même confronté à elle, dans «les ravins de la mort», «on ne craint aucun mal» (Ps 22,4) ; y vivre sans péril accentue la dimension de totale liberté suggérée par Paul.
Pour parvenir au Royaume, il y a une voie à suivre, des ennemis à affronter, ne serait-ce qu’en nous-mêmes. Mais, le psalmiste nous rassure, nous n’avançons pas seuls : le «berger» nous mène, il nous guide sur ce chemin, il est avec nous, il prépare l’accueil ; il comblera tous nos besoins, affirme encore Paul (Ph 4,19).
Cette progression, accompagnée par le Seigneur, est au cœur des exigences de notre vie spirituelle, laquelle ne saurait se limiter à quelques dévotions ou au simple respect de rites, ce que nous prenons rarement le temps d’aborder sérieusement. Quels sont nos vrais besoins à ce sujet ? Le minimum vital étant assuré pour rester humain (saint Thomas d’Aquin aurait constaté lui-même qu’«il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu»), ne serait-ce pas de pouvoir « habiter la Maison du Seigneur pour la durée de nos jours ?» Comment faire ? Sachant que le volontarisme ne suffit pas et peut même nous bloquer dans une certaine auto-satisfaction (le salut par nos mérites !), une seule option : une confiance totale dans le «berger». Ce qui est une définition de la foi.
La foi nous est donnée, certes, encore faut-il l’accepter, la recevoir, essayer d’en vivre. Le chapitre 22 de l’évangile de Matthieu est explicite à cet égard. Si, conviés aux noces par le roi, nous refusons d’y participer, nous serons logiquement rejetés du Royaume et, de fait, par notre propre volonté.
Reste, à la fin de l’évangile du jour, le mystère difficile à comprendre de cet homme «qui ne portait pas le vêtement de noce», jeté pieds et poings liés dans les ténèbres extérieures. Il n’avait rien demandé, on l’a «raflé» sur les chemins, parmi la foule «des mauvais comme des bons». Pourquoi est-il le seul rejeté ? En quoi était-il pire que les autres, même s’il était «mauvais» ? Faut-il un «uniforme» pour être agréé dans le Royaume ? Le texte reste imprécis et insatisfaisant, surtout lorsque sa conclusion est : « Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus», phrase sibylline, qui a pu alimenter chez certains théologiens l’idée d’une prédestination.
Marcel Bernos
(1) au sens étymologique d’«exercice».