Abaya : Problème ou prétexte ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

Une fois encore, des partisans de la laïcité s’obligent à parler chiffon. Après le voile, le burkini, voici un nouveau conflit vestimentaire avec nos concitoyens musulmans à propos de l’abaya. Sans esprit de critique, encore moins de polémique avec l’un ou l’autre camp, on voudrait « oser » trois remarques de simple bon sens (1).

 

- 1° N’étant pas coreligionnaire de celles qui portent des vêtements « islamiques », je n’interviendrai pas sur le bien-fondé religieux ou non-religieux de ces tenues. Les théologiens musulmans sont habilités à le faire. Ils ne sont pas d’accord entre eux, ce qui est normal dans un débat théologique à propos de détails sur lesquels les textes sacrés ne sont pas forcément d’une explicitation rigoureuse. « Vêtement cultuel » ou « tenue culturelle », voilà la question ! Elle semble un peu vaine quand il s’agit d’une culture où le religieux envahit tellement et si bien les domaines politiques, économiques, sociaux et culturels qu’il n’est pas simple de la trancher. Laissons ce point en suspens, bien qu’il soit fondamental. Notons cependant, que ce vêtement, présenté comme « traditionnel », ne l’est que dans les pays du Golfe et nouveau en France, alors qu’il y a des musulmanes depuis plus d’un siècle dans ce pays.  Dans le contexte actuel, cette « mode », répétons-le récente et exogène, apparaît un peu « identitaire » et pas tout à fait innocente.

 

- 2° Ces vêtements sont censés protéger le corps des femmes, et beaucoup d’entre elles affirment que c’est le sens qu’elles donnent en les portant. Ils semblent plus encore destinés à éviter toute tentation aux hommes, qui auraient quelque difficulté à se maîtriser par leur seule volonté ou piété. Or quand on a la curiosité de regarder des sites les proposant, on remarque les efforts, souvent réussis, des stylistes islamiques (ou islamistes ? on ne sait plus très bien quel terme est le plus approprié) pour rendre leurs créations attrayantes, non seulement élégantes, mais parfois littéralement « sexy ». Par exemple, telle robe, longue et de couleur sombre, comporte une coquette ceinture, haute et bien serrée, qui met en valeur la poitrine du modèle, ce qui semble contredire sa finalité.

 

- 3° Un des arguments des opposants non-musulmans à une réglementation du port de cette tenue par les élèves des écoles, collèges et lycées, est difficile à comprendre. Interdire l’abaya (ou toute autre tenue d’apparence ethnico-religieuse) stigmatiserait ces jeunes filles. C’est utiliser ce mot à contre-sens. Qu’est-ce qu’une « stigmatisation » ? C’est imposer plus ou moins violemment sur un individu une marque pour le signaler au public comme « à part », hors de la communauté : esclave fugitif ou repris de justice sous l’Ancien régime (marqué au fer rouge), lépreux devant avertir de son passage avec une crécelle, Juif forcé de porter la rouelle au Moyen Âge ou… l’étoile jaune sous le nazisme etc. Or si des femmes musulmanes désirent s’intégrer (2) naturellement dans la population française – surtout quand elles en font officiellement partie comme citoyennes – sans heurt, sans stimuler les préjugés et les rejets, ne serait-il pas préférable, pour elles, de ne pas se singulariser trop ostensiblement ? On peut ne pas être « islamophobe » et être choqué par cette manifestation revendiquée de « mise à part ».

 

Il ne s’agit pas pour les musulmanes de devoir renoncer à leur culture propre. D’autres groupes ethniques, en France, ont gardé vivante leur culture, en cercles privés, sans en faire un prétexte de « séparation » du peuple français : Basques, Bretons, Juifs… et même des « immigrés », tels les Arméniens ou des Asiatiques, sans chercher à imposer peu ou prou leurs particularités au reste de la population.

Ce que l’on peut regretter, c’est que les problèmes posés par des vêtements à connotation religieuse n’aient pas été traités dès leur apparition. Le cas le plus simple était celui du voile. Si une chevelure doit être couverte pour des raisons de « décence », un simple foulard peut remplir cette fonction. Après tout, nos grands-mères ou arrière-grands-mères portaient souvent un « fichu » et les femmes « en cheveux » étaient éventuellement suspectes de mauvaise vie. Certaines régions gardent même leurs coiffes spécifiques. Dans les années 70, j’ai vu des Bretonnes à Pont l’Abbé, avec leur haute coiffe bigoudène, aussi bien à pied, à vélo qu’en voiture (c’était une 2 chevaux avec toit ouvrant).

Sur ces questions, les parties prenantes, État français et responsables musulmans, cherchent-elles sincèrement une solution aux différents problèmes posés par la confrontation de deux cultures également respectables mais réellement différentes, ou cherchent-elles, consciemment ou non, un affrontement permanent ? Le pays, musulmans inclus, a pourtant bien d’autres problèmes plus urgents, plus vitaux : la pauvreté, les pollutions (air, eau, sol…), la sécheresse, les transports… Liste non-exhaustive…

 

Marc Delîle

 

1. Ces remarques recoupent en partie celles faites par Jean-Baptiste Désert dans son article Burkini ou bikini ?, paru dans G & S le 19 août 2016.

2. « Intégration » désigne ici une démarche personnelle à travers laquelle on souhaite se rattacher à une communauté autre que celle à laquelle on appartenait originellement ; le processus est essentiellement politique et économique. Cela n’a rien à voir avec l’« assimilation », qui voudrait faire disparaître toute spécificité, en particulier culturelle, a fortiori religieuse (d’autant que la France est viscéralement, on le voit bien, un état laïc).

Publié dans Réflexions en chemin

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H
Il faut tout de même savoir que la république laïque autorise les musulmanes à porter l'abaya. Sauf à l'ECOLE, où TOUS les signes religieux ostentatoires sont interdits pour TOUTES les religions : il n'y a donc pas de stigmatisation des jeunes musulmanes. Ces provocations sont destinées, de la part d'extrémistes islamistes, à rejeter la laïcité française. Et à provoquer le "buzz" dans les médias qui feraient mieux d'arrêter d'en remettre une couche. La loi française doit s'appliquer.
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D
D'après les statistiques officielles, la communauté musulmane de France est estimée à environ 10% de la population nationale, soit plus de 6 millions de personnes, en majorité originaires d'Afrique. La formation de cette communauté s'est faite par vagues successives depuis la fin du 19ème siècle et a connu plusieurs épisodes marquants, les guerres mondiales, les trente glorieuses, la décolonisation, la guerre d'Algérie, ... Bref comme chacun sait - sauf ceux qui l'ignorent par calcul politique - cette communauté n'est ni plus ni moins valeureuse que les autres communautés. Ce que je sais c'est que le nombre de médecins, enseignants ... et autres serviteurs musulmans de Douce France est des milliers de fois plus élevé que le nombre de mutants et porteuses d'Abayas et autres chiffons dont je me fiche royalement. Le réchauffement climatique, l'avenir de l'Europe et l'accroissement des inégalités suffisent largement à mes inquiétudes ! <br /> Voir les statistiques de l'INSEE https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763585?sommaire=5763633#tableau-figure1 <br /> <br /> Que l'Abaya soit un indicateur à considérer au même niveau que tous les autres indicateurs de la sociologie française, ça ne dérange absolument pas ma normalité républicaine. Par contre en faire un marqueur pour ma communauté, je trouve cela à la fois désespérant, humiliant et contreproductif, voire dangereux pour la France. Juste 2 observations hélas inquiétantes : <br /> 1. les millions de musulmans français qui se lèvent tôt tous les jours pour enseigner, soigner, construire, conduire, servir, ...comme tout un chacun, se sentent humiliés et finiront par se lasser des mauvaises odeurs et se réfugier dans le communautarisme ! Pis encore, les échos dans les bleds d'origine ne sont pas en faveur de la France (Cf, Algérie, Maroc, Niger, Burkina, ... et d'autres à venir) <br /> 2. les élites de la communauté et elles sont de plus en plus nombreuses, commencent à douter de leur avenir en France. Les départs pour des ciels plus républicains ou moins pollués ne sont plus des épiphénomènes ! <br /> Sans compter les risques de fractures et d'affrontements dont Douce France n'a vraiment pas besoin ! <br /> <br /> Pour faire court et en attendant le plaisir d'approfondir autour d'un Kawa, ce qui me sidère le plus par ces temps d'extinction des lumières, c'est l'incapacité des pouvoirs publics à promouvoir la laïcité, diffuser partout les vraies valeurs de la République et privilégier la pédagogie à la démagogie ! <br /> <br /> Bref, parfois j'ai mal à ma France ... en pensant à Charles Trenet, mais je m'accroche :-)
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B
A Fétah Ouzzani. <br /> Merci de votre attention. Je partage tout à fait ce que vous dites et me réjouis chaque fois que je vois des compatriotes musulmans parfaitement intégrés et, si possible, à l’aise dans la communauté nationale.<br /> Si vous avez bien lu mon texte, vous aurez constaté que son objet n’est pas l’abaya en tant que tel, mais plutôt l’argument de certains de ses défenseurs estimant que l’interdire aux enfants scolarisés serait une «stigmatisation» des jeunes musulmanes. Je crois que c’est, au contraire, tout ce qui cherche à «caractériser» ces dernières, donc à souligner qu’elles ne sont pas des françaises comme les autres, qui est stigmatisant. Mon point de vue n’est ni religieux, ni politique, mais relève strictement du «lexical» et, un peu, de la logique.<br /> Marc D.
L
Avec cette réflexion concernant la "confrontation de deux cultures également respectables mais réellement différentes" : dans les salles de classe et les emprises scolaires (y compris cours de gym et piscine) l'interdiction du port de signes ostensibles d'appartenance religieuse est bien dictée par l'application de la laïcité républicaine à l'école.<br /> Mais à la cantine ou dans les cours de récréation, une exception, ne bannissant que les signes ostentatoires et provocants, ne peut-elle être envisagée ? En se disant que la priorité est d'éviter autant que faire se peut que familles musulmanes et juives "religieuses" enferment leurs enfants dans des écoles monoconfessionnelles et donc communautaristes.<br /> Demeurant que la pratique intelligente de la citoyenneté républicaine consiste bien à substituer un fichu/foulard au voile, et une casquette à la kippa (ce qui s'est longtemps pratiqué chez les juifs "nouveaux arrivants" (souvenir de jeunesse et de films de Claude Berri).
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D
je voudrais ajouter au débat le lien d'une interview de Kahina Bahloul, imane française, sur France 5 il y a quelques jours:<br /> https://www.youtube.com/watch?v=aBZpiAyifr0&ab_channel=Cdansl%27air<br /> qui va dans le sens de cet article auquel j'adhère complètement.<br /> <br /> je voudrais insister sur l'emprise qui s'abat sur les jeunes musulmanes, sans doute contre leur gré, au point que cette abaya , étrangère à la culture musulmane de nos pays *, est revendiquée aujourd'hui comme marquant leur liberté , mais liberté d'être musulmane, car , que je sache, l'abaya n'est portée que par les musulmanes. Tout cela est d'une ambiguïté totale... qui met terriblement mal à l'aise: nous sommes à la limite du mensonge érigé en moyen d'argumenter..<br /> Et une fois de plus, ceux qui résistent à cet argumentaire sont traités d'islamophobes, ce qui empêche tout débat de fond.<br /> <br /> <br /> <br /> * elle vient du moyen orient et est apparue récemment dans la garde robe des jeunes musulmanes françaises.
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