La bonté : une justice surnaturelle
« Et si quelqu’un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. » (Mt 5, 40).
Chez les Hébreux, la loi du talion avait apporté une vraie modération dans les relations conflictuelles. La spirale de la vengeance n’engendrait plus une montée de la violence et la guerre de plus en plus cruelle entre les individus ou les nations :
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pour une dent, seulement une dent et pas la mâchoire…
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pour un œil, seulement un œil et pas les deux…
Jésus va encore plus loin. Il change carrément la règle. Non seulement il demande de ne pas riposter au méchant et au sacripant mais il en rajoute :
« On veut prendre ta tunique, abandonne aussi ton manteau ».
Donne encore plus au voleur qui te pille. Même si tu lui demandes de restituer ton bien et de s’amender pour vivre en société : ouvre-lui ton cœur et désarme le brigand par ta bonté.
Plus encore que la paix par la non-violence, il s’agit ici d’une démarche de douceur et de conversion. Nul ne « tient » l’autre par sa faute et ne l’écrase sous son forfait. La justice sans la bonté mutile, non seulement elle ne guérit rien, mais elle crée la récidive et ne désarme pas les brigands.
La nouveauté est totale.
Le « sermon sur la montagne » invite à une rupture de pensée, de sentiments, de pratique. Elle porte en elle une part d’utopie bienfaisante. Les humains appelés à vivre ensemble n’éviteront pas les conflits. Si le juge doit faire régner le bon ordre et réguler les relations sociales, il n’est pas interdit à ceux qui ont été victimes d’un forfait grave d’abandonner non seulement rancœur, haine et vengeance mais de pardonner au sens fort du terme. À l’intime d’eux-mêmes, cette révolution peut exister.Certes ils n’oublieront pas, mais ils renonceront à leur vindicte. Ils donneront encore plus, ils se dépouilleront de leur longue méfiance et feront tout pour que le « vaurien » devienne « précieux » à leurs yeux et que, par une confiance équitable, ‘on’ lui donne les moyens de prendre désormais une conduite honorable. À première vue cela semble impossible. Seule la BONTÉ invite à un tel comportement.
Le « Bon » Dieu agit ainsi ; rapine et agression ne le mettent pas en colère. En donnant son propre Fils à l’humanité, il comble le fossé de la séparation entre lui et la turbulence des hommes.
Le Christ Bonté de Dieu se donne, je crois qu’ainsi il établit la paix et fait justice.
Quand Matthieu a rédigé son Évangile, il avait vécu le drame du Calvaire et cru en la Résurrection. Il raconte alors l’enseignement de Jésus « sur la montagne » en tenant compte de la « Suprême Bonté » incarnée dans le don du Fils de Dieu.
Je sais qu’au cours des siècles de l’histoire de l’Église, la Croix, fidélité d’amour qui va jusqu’au bout de l’Incarnation, a été profanée par la méchanceté de nombreux chrétiens : les croisades n’en sont qu’un triste exemple. Mais je crois aussi qu’aujourd’hui, dans une époque où le prétoire s’installe dans toutes les chaumières, une poignée de DÉBONNAIRES peuvent ouvrir un chemin de vraie justice.
En pratiquant la bonté au jour le jour, en la proposant par leurs paroles et leurs actions, ils ouvrent autour d’eux une ère nouvelle.
C. Montfalcon
28. 12. 2009