Émeutes et mythologie contemporaine

Publié le par Garrigues et Sentiers

Émeutes

Ce vendredi 30 juin la température est douce, la nuit tombe et dans une ambiance très sympathique, les CIQ du 14e arrondissement de Marseille partagent un repas avant les migrations estivales dans la salle paroissiale du Merlan. Nous sommes détendus et quand la cuisinière malgré son poids et son âge s’élance pour danser au rythme de blues les applaudissements et les rires emplissent la salle. Tous les bons moments ont une fin et au cœur de la nuit nous reprenons notre chemin vers le noyau villageois de Saint-Joseph lorsque soudainement un camion en flammes nous barre la route, des pompiers et des policiers s’activent pour délimiter une zone interdite. Nous rebroussons chemin et nous retrouvons notre domicile, soulagés de ne pas avoir eu d’autres obstacles sur notre retour.

Après deux nuits d’émeutes j’irai constater le matin les dégâts au Centre commercial du Merlan, lieu de saccages et de pillages.

Dans la foulée j’écris un communiqué pour la Fédération du 14e qui recevra l’approbation de tous (1) mais La Provence ne le publiera pas. Ce communiqué est là pour exprimer notre solidarité à toutes les victimes des émeutes, en particulier les commerçants et les salariés qui perdent leur travail car nous partageons la conviction que les conséquences de ces actes vont entraîner une fois de plus la fuite du quartier et pour nous qui luttons pour les commerces de proximité, les services publics, les transports en commun, c’est désespérant.

Les cités et le trafic de drogue

Les cités et le trafic de drogues forment un des éléments essentiels de la vie sociale : à Saint Joseph où je vis en proximité avec La Paternelle - les Micocouliers - la Maurelette, l’emprise des gangs s’avère une donnée permanente de la vie quotidienne. Comme chaque année nous comptons le nombre de morts liés à la guerre des gangs et des victimes collatérales.

La police s’active mais je suis dubitative sur ses résultats, je doute que seule la répression gagne la guerre contre la drogue dans la mesure où elle est soutenue par une forte demande en provenance de toutes les classes sociales. Le second point qui me fait douter est la « haine des flics » répandue dans les cités, car les policiers ne font jamais ce que désire la population qui souffre d’une contradiction permanente : les flics sont là pour me débarrasser des délinquants « qui me gênent » mais ils ne doivent jamais sanctionner les délits de la population elle-même. Exemple : « Oui les flics sont venus pour le trafic, mais ils m’ont donné une amende pour pneus lisses » et que dire si le fils est arrêté pour fait de délinquance ? Là c’est du racisme !

Violence et démagogie

Je participe à une rencontre sur la dépénalisation du cannabis, à laquelle je suis très favorable, dans un Centre social magnifique d’une cité qui vient de bénéficier d’une réhabilitation des bâtiments et de la voirie et où un groupe de vigilance sociale s’est constitué depuis des années.

Un orateur prend la parole pour la présentation du livre Legalize-it de Mohamed Bensaada et médusée j’entends un discours de haine : « Vous qui n’avez rien », « Vous qui êtes aux prises avec une police raciste qui vous tue (2), qui vous arrête sur le faciès, qui vous empêche de sortir de votre cité, etc. », un discours  que je ressens comme fanatique, un discours de propagande, un appel à la révolte, un appel pour dire à la population qu’elle est délaissée, qu’elle n’a droit à RIEN et qu’il est grand temps de réagir… Appel démagogique dont je suppose que les sous-entendus en sont la révolution, le changement de régime ?

Une amie va à une rencontre inter-associative à Saint-Joseph et a droit comme moi à un discours du même genre, elle en retient « Il est temps de se battre ».

Mythologie contemporaine

« Peux-tu lire ce livre de Fatima Ouassak La puissance des mères (3) et me dire ce que tu en penses », cette demande provient de Guy qui a lancé l’Eccap, l'Encyclopédie du changement de cap, et est donc très à l’écoute des mouvements de critique sociale et de leurs réalisations concrètes. J’obtempère et là je retrouve sous une forme argumentée un discours mythologique qui se développe dans les cités : « Les Mamans », les mères qui contre vents et marées défendent la vie de leurs enfants contre les dangers d’une société liés à la drogue ou aux pratiques d’une police raciste.

Le discours de Fatima Ouassak est violent car elle dépeint la vie dans nos villes comme une forme sociétale produite par un régime raciste policier, dont les institutions comme l’éducation nationale maintiennent une masse d’immigrés en provenance des territoires post-coloniaux dans l’oppression et l’asservissement pour produire, reproduire un capitalisme « illibéral »… Je découvre que nous vivons dans une société au moins équivalente à l’apartheid d’Afrique du Sud, mais heureusement dans cette société de classes vivent les Mères, mères combatives, mères dragons qui défendent leurs petits contre un régime qui attente à leurs vies.

La lutte populaire s’enracine dans la puissance des mères noires car dans cet écrit la distinction de race noire ou blanche est omniprésente : vous êtes blanc, vous êtes l’incarnation d’une oppression raciste sur une population noire issue de l’immigration post-coloniale. Dans ce mythe les figures de l’homme, du père, de la femme qui n’est pas mère sont effacées. Objectivement ce mythe renvoie au fait sociologique du nombre de familles monoparentales dans les cités, vraies et fausses (4).

Vous me direz : mais Fatima Ouassak participe activement aux luttes sociales ? Oui mais de ce que j’ai lu et compris, elle inscrit ses luttes dans un combat racial et ce principe de race, de même que la référence mythique aux Mères, les invalide.

Philosophie politique et devenir de la société

Peut-être qu’en lisant La puissance des mères, vous penserez spontanément devant de telles assertions :« Ce n’est pas sérieux » ; alors écoutez ce que nous dit dans son testament politique Le mythe de l’état le philosophe Ernst Cassirer, juif allemand qui a fui l’Allemagne nazie : « Quand nous avons pour la première fois entendu parler des mythes politiques, nous les avons trouvés si incongrus, si ridicules, si délirants et si absurdes, que nous avons eu du mal à les prendre au sérieux. Nous savons désormais qu’il s’est agi là d’une grave erreur. » Il se réfère au mythe nazi « le sol - la race - le sang » qui a doté le peuple allemand souffrant d’un ressentiment lié à la défaite de 14-18, d’une identité imaginaire de race supérieure : la race aryenne, et nous savons combien celle-ci a été utilisée pour l’application de la politique raciale hitlérienne.

De nombreuses analyses expliquent les évènements dramatiques que nous venons de vivre : la faillite éducative, le manque de moyens, la politique d’immigration… Chacune a sa part d’éclairage du réel mais pour répondre au défi social posé par les enfants de nos banlieues, posons-nous la question de l’imaginaire, des constructions imaginaires : ne donnent-elles pas à voir ce « que l’on a envie de croire », ne fournissent-elles pas une identité « idéale et particulière », même et surtout dans une époque aussi matérialiste que la nôtre ?

Les luttes sociales participent au développement de la Démocratie en intégrant les minorités à la condition que ces luttes s’inscrivent sous le principe universel « tous les hommes/femmes naissent libres et égaux en droit », ce que nous interprétons comme suit : il n’y a de lutte à défendre qu’à la condition qu’elle franchisse les limites du particularisme pour s’élever à l’universel.

Christiane Giraud-Barra

(1) La fédération des CIQ du 14e exprime sa solidarité avec tous les commerçants de nos arrondissements impactés par les agressions physiques, matérielles et morales des auteurs des méfaits (coups et blessures, saccage de magasin, pillage de marchandises) de ces derniers jours.
Elle est solidaire de tous les employés en risque de perdre leur travail, de tous les employés des services publics qui constatent la détérioration de leurs outils de travail.
Elle se mobilise contre la peur qui diffuse dans nos quartiers et qui entraîne le désir de fuir définitivement nos territoires.
Nous adressons notre soutien aux forces de l’ordre en leur demandant de faire preuve d’une exemplarité professionnelle, exemplarité mise à rude épreuve sous la pression d’injonctions contradictoires. Dans ces moments difficiles, alors que des discours irresponsables les remettent en cause, nous leur renouvelons notre confiance.
Après cette période, nous en analyserons les causes mais, d’ores et déjà, nous condamnons la violence et sa sœur jumelle la démagogie, qui œuvrent à la destruction de nos quartiers.

(2) Notre police est-elle raciste ? Non c’est une institution républicaine ; ce qui n’empêche pas des syndicats de policiers d’être proches de l’extrême droite. En ce qui concerne la tragédie de Nahel il y a eu manifestement faute et usage abusif des armes mais la personne a été immédiatement arrêtée et va être jugée. Nahel lui avait 17 plaintes contre lui pour délinquance routière et mise en danger de la vie d’autrui.

(3) Fatima Ouassak, La Puissance des mères, éd Poche, 2023.

(4) Les familles monoparentales – en règle générale une mère et ses enfants – voient leurs prestations sociales augmentées du fait de l’absence de conjoint ou/et de père. En fait il s’agit de déclarations administratives et souvent un homme coexiste dans le foyer mais il ne doit pas être visible ; son rôle n’est-il pas alors dévalorisé par rapport à une toute-puissance maternelle ?

Publié dans Réflexions en chemin

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M
Je ne vois pas dans votre réponse d'arguments contre ce que j'ai écrit.<br /> Parlons de la "délinquance" de ce Nahel. Qui a sorti ce dossier, confidentiel de par la réglementation. N'a pas accès au STIC qui veut...Celui qui l'a sorti (en toute illégalité et il devrait être sanctionné...par la Police!) l'a fait dans quel but? Evidemment lui nuire. Alors qu'a-t-il choisi dans le dossier? Evidemment les termes qui lui conviennent. Le scepticisme est donc nécessaire, nous ignorons ce qu'il y a dedans. Ajoutons que la "mise en danger d'autrui" est une définition fourre-tout, (comme par exemple "l'atteinte à l'ordre public"). Cela permet de dénigrer et d'accuser sans risque. Chaque fois que vous faites un dépassement de vitesse, vous êtes sous le coup d'une "mise en danger de la vie d'autrui", et évidemment tous ceux qui conduisent sans permis! Alors cela ne nous dit rien sur les comportements de ce jeune, si ce n'est que, comme beaucoup malheureusement il conduisait sans permis, puisqu'il avait 17 ans (seul élément du dossier qui soit public). Quant à savoir s'il fait partie de ceux qui louent des voitures polonaises...On sent beaucoup de "on dit". Qui dit? Dans quel but?<br /> Plus grave est la fin : "Posons la question si ce jeune avait tué un piéton et il a été très prés de le faire à qui reviendrait la faute ? Au policier... ". Rien ne dit qu'il était très près de le faire...et surtout, il fallait donc le tuer préventivement? Car il s'agit bien d'un meurtre, balle tirée en pleine poitrine à bout portant, voire touchant. Je maintiens donc que ces discours de dénigrement de la victime sont indécents.<br /> Je crois connaître aussi quelque peu le sujet dont je parle, je sais le travail qui se fait dans les quartiers, y compris par la Police en d'autres temps...Quant à l'exemple du jeune abandonné et la révolte de la population, il me semble un peu léger pour porter un jugement assez général.<br /> Je n'ai pas lu le livre de FO et je laisse à Guy Roustang le soin d'écrire ce qu'il pense. Et je ne vois pas où est mon "emballement". A moins que soit un "emballement" de s'insurger contre la propension actuelle à développer des discours dans le fil de pensée que le FN a imposé aux medias et au débat public.
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M
Un jeune tué à bout portant par un policier après que son collègue ait averti qu'on allait l'abattre, ce n'était pas une balle perdue. La video et la transformations des faits par la police ont allumé l'étincelle suivie d'une explosion de violence dans tout le pays. Comme tout mouvement de foule, lorsque la violence s'empare d'un groupe, il n'y a plus de rationnalité, on casse tout, on agresse tout. C'est idiot, contre-productif, injuste, mais cette loi des groupes est un fait qui ne devrait pas nous étonner. C'est justement la police qui est formée à user de la violence sans se laisser emporter par la loi de groupe...A cela se sont rajoutés les pillages, comme chaque fois que l'occasion se présente. Les catastrophes naturelles aussi sont toujours une bonne occasion pour les pilleurs, tout comme les manifestations, pacifiques ou pas, permettent aux casseurs de s'immiscer (les services d'ordre des syndicats veillaient au grain, ils ne le peuvent plus tant ils ont été décimés ... par qui?). D'où nombre de victimes dont on ne peut qu'être solidaires et qui doivent être soutenues. <br /> N'oublions pas cependant que la première victime est le jeune tué et sa famille.<br /> <br /> En fin d'article sont glissés quelques sous-entendus : <br /> - les "17 plaintes" contre Nahel. D'une part on ne sait rien sur leur teneur, le chiffre brut n'a pas de sens sauf de condamner, c'est ce qu'on voulait. Ajoutons que cela n'a rien à voir avec le meurtre, sa situation était inconnue des policiers, par contre cela permet de faire de la victime le fautif, "c'est bien fait pour lui"? Retournement indécent.<br /> - Puis un petit coup de patte contre les abus des mères pour obtenir des aides sociales. Qu'ils existent, on le sait bien. On sait aussi qu'un tiers des "ayant-droit" n'arrivent pas à obtenir les aides...C'est encore une façon de sous-entendre que ce sont ces populations qui sont fautives. Dans le contexte social actuel, cela aussi me semble indécent.<br /> <br /> L'article qui nous est proposé use d'un vocabulaire décrivant des "quartiers" à feu et à sang : "guerre", "gangs", "morts", "victimes"...N'y a-t-il que cela? Quant à l'orateur évoqué, traité de démagogue, il tenait un discours de haine, de propagande, d'appel à la révolte (la révolte est souvent une attitude fort saine...), avec des sous-entendus de révolution, etc. Mais peut-être y avait-il du fond dans ce qu'il disait? De même que dans le livre de Fatima Ouassak? (Pour elle je laisse Guy Roustang répondre s'il veut, il a présenté son livre récemment). <br /> <br /> Ce papier est une charge contre les populations des quartiers périphériques sans aucun contre-balancement. Cela pose vraiment problème. Peut-on nier qu'il y ait des problèmes avec la police? Qu'elle soit très souvent raciste, ou simplement violente gratuitement, provocatrice? Dans les "quartiers" est-elle toujours au service de la population pour la protéger (c'est son rôle) ou plutôt assez souvent occupée à régler des comptes...? Quid de l'abandon de ces quartiers, services publics, transports, école (comment se fait-il que ce sont dans ces quartiers qu'on met les débutants, policiers ou enseignants ?). On ne peut ignorer tout cela quand on réagit contre les exactions qui viennent de se dérouler. On peut rappeler que la police n'est pas au-dessus des lois, et qu'un policier qui tue, ou un autre qui "massacre", peut être incarcéré...Alors choisir ce moment pour lui dire tout le bien qu'on pense de la police peut ne pas être trop judicieux. Et user d'une comparaison avec le nazisme pour décrier le livre cité peut sembler quelque peu exagéré...ou insultant. <br /> <br /> Je ne pense pas que choisir le vocabulaire, les argumentaires et les solidarités de l'extrême-droite serve la démocratie. Le Pen (le père) disait dans les années 80 qu'il voulait imposer son vocabulaire, puis ses sujets de débat et enfin ses chemins de pensée pour enfin obtenir le pouvoir. On sait qu'il a réussi, dommage que cela apparaisse ici. Et le Président vient de montrer que c'était bien le chemin à suivre : il a parlé de "l'ordre, l'ordre, l'ordre" et de la responsabilité des parents. Ben tiens, pourquoi irait-il chercher plus loin?<br /> Alors ne soyons pas naïfs, il y a des tas de problèmes dans les quartiers périphériques et les populations ont leur part de responsabilité, il n'est pas question de laisser faire. Mais ce n'est sûrement pas avec un tel discours qu'on peut aider à avancer ni à contrer l'extrême-droite.
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G
Essayons de garder notre sang froid, pour les faits Nahel avant d'écrire j'ai vérifié ce sont 17 plaintes contre lui pour délinquance routière avec mise en danger de la vie d'autrui, Nahel comme d'autres jeunes adolescents louent des voitures sur des plates formes polonaises ou d'autres pays qui ne sont pas regardantes sur les permis de conduire et les assurances. Ces jeunes conduisent sans permis sans assurance, n'importe comment et ils sont difficilement repérables avec des plaques d'immatriculation non conformes.<br /> Posons la question si ce jeune avait tué un piéton et il a été très prés de le faire à qui reviendrait la faute ? Au policier... <br /> Pour le reste votre discours .... je vis dans les quartiers dit populaires depuis 50 ans et<br /> au contraire de ce qui est dit j'ai vu de nombreux éducateurs, médecins, enseignants, policiers consacrés du temps aux jeunes des quartiers Une amie médecin dans une cité me rappelait cet évènement dramatique, elle connaissait et soignait un jeune homme abandonné de tous et devenu délinquant, ce jeune au cours d'un vol est abattu par la police, lorsqu'il est mort la population de la cité dans son ensemble s'est soulevée contre la police, cette même population qui lorsqu'on faisait appel à elle n'était jamais là pour ce jeune homme, lui ouvrir sa porte, donner à manger etc...<br /> Quand à FO je vous propose avant de vous emballer de lire son livre, moi je l'ai lu...<br /> Si vous adhérez comme elle l'affirme que nous vivons dans un régime fasciste alors il nous sera difficile de trouver un terrain d'entente.<br /> <br /> Nahel est une victime comme la vingtaine de jeunes abattus depuis le début de l'année par les réseaux de drogue mais il reste à définir pourquoi et comment ils sont victimes<br /> <br /> <br /> Bien amicalement<br /> <br /> PS je n'ai jamais voté extrême droite, je me suis toujours opposée à ce parti y compris publiquement ( opposition à Stephane Ravier lors d'une réunion en mairie de secteur), j'adhère au mouvement <br /> "Résister aujourd'hui"