Un dimanche sans prêtre
Un certain dimanche, je me trouve dans un monastère de femmes. De même qu'il y a des déserts médicaux, cette région semble souffrir aussi de "désert clérical". À l'heure de la messe à laquelle participent, outre les religieuses, les hôtes du monastère et les habitants d'alentour, la prieure annonce que malgré ses efforts elle n'a pas trouvé de prêtre pour célébrer. Et donc elle nous propose de faire un partage d'Évangile. "Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux", nous rappelle-t-elle, donc le Christ est parmi nous pour le célébrer (1).
On fait les lectures de ce dimanche puis vient un moment de partage. Les chaises ont été rangées de manière que le plus de personnes possible puissent se voir, cela en vis-à-vis avec les sœurs (qui, en temps ordinaire, font face à l'autel et tournent ainsi le dos au reste de l'assemblée). Il n'était pas question de réflexion ou d'analyse des textes, ni d'homélie déguisée, mais d’un échange en vérité et en profondeur à partir essentiellement de l'Évangile, partage avec sœurs et assistance. Et ce fut de grande qualité. Probablement beaucoup plus riche que l'homélie que nous aurions pu entendre. Nous avons terminé par le chant du Notre Père. Nous avions le bonheur d'avoir pleinement célébré le Seigneur.
Ceci, à mon sens, appelle quelques remarques.
On peut bien de temps en temps se passer de prêtre célébrant, notre recherche de Dieu, notre prière, notre "eucharistie" (action de grâces) peuvent bien passer par d'autres canaux que les paroles définies du canon de la messe. L'Institution, qui refuse les "messes sans prêtres", se fourvoie totalement et, disons-le tout de go, pèche par abus de pouvoir. Que défend-t-elle ? Le pouvoir du clergé ? Ce serait ridicule...
Il n'y a pas eu de distribution de la communion. Pourquoi ? On peut imaginer une peur de "singer" la messe. Cette peur semble bien regrettable. Des membres de leur entourage portent la communion aux malades, et au cœur d'un monastère l'absence de "prêtre consacré" interdirait de communier…
Et pourquoi ne pas avoir prolongé le partage de la Parole par un partage de la Cène ? Il n'était pas besoin de "singer" la messe, mais il me semble que les paroles des Évangiles ou de Saint Paul (chapitre 11 de la première lettre aux Corinthiens) ne sont pas la propriété de la cléricature... On peut bien construire un texte, des gestes appropriés qui évitent toute confusion avec l'ordinaire de la messe et permettent aux participants de réellement célébrer la mort et Résurrection du Christ, de partager le pain. Son Corps, pain partagé, n'est pas le résultat d'une formule magique mais du fait de faire mémoire de la Cène, elle-même image de la Passion et Résurrection, nous devenons alors le Corps du Christ.
Il n'est pas le lieu, ici, de discuter de la question du sacerdoce réservé à des hommes consacrés (institué depuis fort longtemps, mais pas par Jésus-Christ qui justement s'est opposé au sacerdoce et aux sacrifices de son temps), alors que nous sommes tous prêtres, ou bien il n'y a qu'un prêtre, Jésus-Christ, selon le choix des références néo-testamentaires. Disons simplement qu'il serait temps que ces questions soient réfléchies de manière ouverte et non avec des interdits préalables. Mais en laissant de côté cette question si importante, de toute façon il y a un champ immense qu'il serait temps de parcourir. Il permettrait de célébrer en vérité, en profondeur, la Cène du Christ, avec ou sans prêtre consacré. Ou attendons-nous l'absence totale de prêtres (pour le moment on les "importe" d'Afrique ou d'ailleurs lorsqu'il en manque !!!) pour constater que vu les lourdeurs et les interdits, il n'y aura plus de fidèles pour souffrir de ce manque ?
Alors, si j'osais, pour conclure, je m'adresserais aux religieuses de ce monastère :
"Mes sœurs, encore un pas, poussez plus loin, dépassez les lourdeurs institutionnelles qui n'ont aucune légitimité pour vous empêcher de célébrer dignement l'Eucharistie, c'est-à-dire l'action de grâces envers Dieu, Père du Christ mort et ressuscité. Nous sommes membres de son Corps partagé".
Marc Durand
(1) Cette proposition de la Prieure a été faite un dimanche sans prêtre, mais en semaine, quand il n'y a pas de célébrant, la messe est simplement supprimée. Pourquoi ne pas faire aussi ce type de partage ?