À l'écoute de la Parole de Dieu

Publié le par Garrigues et Sentiers

Fresque de Giotto dans la chapelle des Scrovegni à Padoue (1303-1306)

Fresque de Giotto dans la chapelle des Scrovegni à Padoue (1303-1306)

Dimanche des rameaux et de la Passion 2 avril 2023

Ev Mt21, 1-11  ; Is50, 4-7  Ps21  ;  Ph2, 6-11  ;  Passion selon Saint-Matthieu 26, 14-27, 66

 

C’est traditionnellement le dimanche qui rassemble le plus de fidèles comme la Toussaint, plus que Pâques, pourtant la fête principale. Ce dimanche comporte deux parties : la procession des rameaux et la lecture de la passion. La procession des rameaux, attestée en Orient dès le quatrième siècle, célèbre l'entrée de Jésus à Jérusalem. Dans toutes les civilisations du Moyen-Orient, l'entrée solennelle d’un roi et de sa cour dans une ville, était l'occasion de largesses royales et de manifestations joyeuses de la population. Jésus est roi, mais non à la façon des monarques politiques. Mathieu souligne l’écart entre les deux entrées : « Voici que ton roi vient à toi sur l’ânon, petit d'une bête de somme » (1) alors que les rois paradaient sur des montures caparaçonnées. Jésus reste le maître des événements : il ordonne à ses apôtres d'aller chercher une ânesse préparée pour la foule nombreuse (Matthieu le souligne) qui l'acclame comme un roi avec des branches coupées et des vêtements. « ?… Qui est cet homme ?… C'est le prophète Jésus de Nazareth. »

 

Suit la messe de la passion. En première lecture, un texte d'Isaïe 50,4-7 (2) présente le serviteur de Dieu qui, du fait de sa mission, ne « se dérobe pas aux outrage et crachats ».

 

La Passion lue cette année est selon Saint Matthieu, singulière par rapport à celle des autres évangélistes. Enfant, je l’avais en horreur à cause de sa longueur. En fait c’est un des grands récits de l’humanité, comme l'Odyssée et d’autres chefs-d'œuvre La foule de personnages qui s’agitent décrit l’homme, avec ses lumières et ombres, ses courages et lâchetés.

 

D’abord le traître Judas : Matthieu nous fait assister à la « combinazione » entre Judas et les grands prêtres : « Combien me donnez-vous ?.. 30 pièces d’argent » (3). Ce n’est peut-être pas uniquement pour des questions d’argent que Judas a trahi. D’après certains, il aurait été proche des « sicaires », hommes armés pour chasser les romains de Palestine. Pour lui, Jésus n’aurait pas dû se laisser prendre comme un looser alors qu’il avait l’étoffe d’un leader révolutionnaire pour chasser les romains. Matthieu est seul à rapporter la réponse de Judas à l’annonce de sa trahison par Jésus : (Serait-ce moi Rabbi ? – Tu l’as dit), insistant sur la clairvoyance de Jésus.

 

À la Cène, Matthieu ajoute à la demande de Jésus « buvez-en tous, car ceci est le sang de l’ alliance », en rémission des péchés.

 

Au jardin des oliviers le Jésus matthéen multiplie les dialogues avec ses disciples et avec son Père. « Avec eux (verset 36)… veillez avec moi (38), vous n’avez pas pu veiller une heure avec moi (40). Il nomme son père « mon Père si cette coupe…) il mentionne explicitement les trois éloignements de Jésus (40, 42, 44) comme si en cette heure d’angoisse, il avait besoin de présence auprès du Père et de ses disciples, présence qu’il n’a pas trouvée.

 

Lors de l’arrestation, Jésus, en union avec son Père est maître des événements annoncés par l’ Écriture : il remet vertement en place Pierre : « Remets ton glaive à ta place… penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père : il me fournirait maintenant plus de douze légions d’anges ». Tout se déroule pour que « s’accomplissent les Écritures des prophètes » (56).

 

Matthieu donne toute la solennité au dialogue de Jésus avec le grand prêtre : celui-ci l’adjure « par le Dieu vivant  de nous dire si tu es le Christ fils de Dieu  – Tu l’as dit et vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel ». C’est une des rares affirmation solennelle de Jésus de son identité. Le grand prêtre matthéen ne s’y trompe pas : il déchire ses vêtements en déclarant qu’il a blasphémé... et mérite la mort .

 

Matthieu suit la trame de Marc tout en insistant sur l’hostilité radicale des Juifs. Les gardes lui donnent à boire du vin mêlé de fiel (4). Il développe la scène de dérision avec les passants : « Toi qui détruis le Temple…, sauve-toi toi-même si tu es le Fils de Dieu », les railleries des grands prêtres, scribes et anciens : « Il a compté sur Dieu, qu’il le délivre maintenant, s’il s’intéresse à lui. Car il a dit : Je suis le Fils de Dieu » (5).
 

Après la mort de Jésus, seul Matthieu signale, en plus des ténèbres et du déchirement du voile du temple commun aux trois évangélistes, « des tremblements de terre, des résurrections de morts après sa Résurrection, avec des apparitions de saints ressuscités dans Jérusalem ». Matthieu, de culture judéo-chrétienne, indique que la Résurrection de Jésus a une dimension eschatologique : avec elle, la fin des temps est inaugurée. Marc insiste sur la conversion du seul centurion. Matthieu mentionne que « ceux qui avec lui gardaient Jésus, ayant vu le séisme et ce qui se passait, eurent vraiment très peur, disant : « celui-ci est vraiment le Fils de Dieu » (6) .

Avec Marc il précise aussi la présence « de nombreuses femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, le servant ». Matthieu souligne l’aspect ecclésial de la scène : les deux premières communautés chrétiennes sont celle du centurion et des gardiens convertis en voyant la mort de Jésus et celle des femmes. Les termes sont forts (7). Le terme « suivre », avec le mot « servant » est le terme technique pour « suivre Jésus » (8), marquant la conversion des apôtres, du disciple.

 

Laissons-nous interpeller par ces textes. C’est une histoire qui devrait faire la première page de la presse : dans un autre langage que celui de Paul, Matthieu souligne l’importance de la croix et de la résurrection. Pour eux, c’est l’événement central de l’histoire de l’humanité, le début de l’ère eschatologique et de la fin des temps pour parler le langage de l’époque. Ils nous disent qui est Dieu, sa « folie », un dieu qui aime les hommes, envoie son fils à un peuple bien-aimé pour leur manifester cet amour par toute son attitude : il est ouvert à tous, soigne les malades, nourrit les foules de pain et de vin. Car ses paroles donnent la joie et la vie à ceux qui l’écoutent, et encore à ceux qui l’entendent des siècles plus tard. Car il « ne vient pas pour être servi mais pour servir ». Or les responsables religieux et politiques s'entendent avec un peuple de suiveurs, pour le condamner et le faire mourir en croix, comme un esclave. C'est vraiment une histoire de « fou » de la folie des hommes, mais aussi de la folie de Dieu.

 

Restons pantois et silencieux devant cette histoire sacrée de l'homme et de Dieu. Réentendons l’inouï de ces textes, non pas d’abord comme un récit purement historique à la recherche de chaque détail, mais comme un récit de foi de la première communauté croyante. Comment ne pas se sentir frères de toute notre humanité, avec ses grandeurs et ses petitesses ? dans quel camp aurions-nous été ? dans quel camp sommes-nous ? avec quelle attitude ? Non pas pour nous laisser envahir par une culpabilité mortifère, mais au contraire pour se laisser convertir et appeler à la vie par Dieu qui bouscule toutes nos représentations. Laissons-nous envahir par la joie d’être de ce peuple de frères humains et de cette famille plus restreinte de croyants dont la vie est transformée par ce Dieu qui donne sa vie pour que nous soyons tous des vivants.

 

Antoine Duprez

 

(1) Sans doute est-ce la bénédiction des rameaux, qui, en milieu agricole attirait beaucoup de monde pour les rameaux. Car chacun emportait chez lui un rameau d'olivier qu'il fixait dans la pièce principale, censé être source de bénédiction. Brûlés en fin d’année, ils formaient les cendres du mercredi des cendres suivant. Même si elles ne sont plus entièrement nos traditions, elles sont respectables car elles ont marqué grand nombre de générations chrétiennes.

 

(2) Seul avec Jean il cite Isaïe 62,11 et Zacharie 9,9.

 

(3) C’était le prix donné pour la vie d’un esclave Ex 21,32 !

 

(4) De la myrrhe chez Marc; le fiel de Matthieu augmente la cruauté des participants et souligne la similitude avec la mort du Juste décrit en Ps 68(69), 22.

 

(5) Ps 21(22) 19 et 8 montrant en Jésus le prophète persécuté et montrant que la question fondamentale est celle de l’identité de Jésus : imposteur ou Fils de Dieu ?

 

(6) Invocation que l’on ne retrouve qu’en Matthieu 16 16 dans la réponse de Pierre : « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant. »

 

(7) L'usage des termes : suivre, akoloutein, servir, diakoneuein chez Matthieu a un sens précis de service de Jésus. Il sera à l’origine des mots diacre, diaconie, diaconesse. Il n’est utilisé que 5 fois, en 4,11 pour les anges, lors de la tentation, en 8,15 pour la belle-mère de Pierre, en 20,28 Jésus se l’applique : «  Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir, pour les réprouvés du jugement « Quand donc t’avons-nous vu malheureux et ne t’avons-nous pas «  servi ». Alors que les apôtres ont fui, les femmes sont restées au loin. À l’époque (qui dura long temps !) sous l’Empire Romain, une femme ne pouvait témoigner ; elles ne pouvaient donc être « apôtres » (il n’y a pas de femmes dans les 12 apôtres), mais elles ont été parmi les disciples les plus anciens et les plus fidèles. Aujourd’hui, Jésus aurait certainement choisi des femmes parmi les apôtres. C’est un des points sur lesquels l’Église devrait  « suivre » la société moderne, quand elle évolue positivement.

 

(8) Il peut indiquer l’accompagnement temporaire de Jésus par les foules.

 

N.B. :Vous pouvez relire aussi l'article de René Guyon Les tentes des rameaux de notre rubrique "D'une Alliance à l'autre"

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