" Tu penses devoir sortir de l'Église catholique, moi je suis heureux d'y être " : Antoine Duprez répond à Pierre Castaner
Les échanges que nous avons ouverts entre nous avec notre dossier n° 41 Rester dans l’Église catholique ? donne lieu aussi à un dialogue entre contributeurs, et c’est une bonne chose !
À Antoine Duprez qui avait dit continuer malgré tout à appartenir à l’Église, Pierre Castaner avait répondu Et pourtant, je sors de l’Église catholique, ce qui conduit aujourd’hui Antoine Duprez à lui adresser la lettre fraternelle que nous publions ci-dessous.
Merci, amis internautes, de contribuer vous aussi à nourrir ce débat : notre blog vous est librement ouvert !
G & S
Bonjour Pierre,
Je suis tout à fait d'accord pour que nous nous tutoyons car je pense que, paradoxalement, nous cheminons l'un et l'autre sur un « chemin sans chemin » sans doute différent, mais pour nous deux souvent hors-piste : j'ai quitté le sacerdoce après 15 ans d’années heureuses et me suis marié, pour cinquante ans de bonheur, avec ma femme qui était divorcée. Maurice Bellet, un ami de 30 ans m'a aidé sur ce chemin à garder la foi en l'amour de Jésus-Christ et à garder des liens étroits avec l’Église catholique. Il m’a fait découvrir que l’important n’était pas mon identité religieuse, ni que je reste ou je sorte de l’Église catholique, mais que le vrai « lieu du combat » (1) était de croire en Jésus Christ et de vivre par son Esprit de l’amour du Père et du frère.
Pourquoi je reste dans l'Église catholique et toi, tu penses en sortir ? Je ne veux pas reprendre nos précédents échanges. Beaucoup de tes griefs contre l’Église nous sont communs : exclusion des femmes, importance du sacré et en conséquence de la caste sacerdotale, avec la notion de sacrifice. Merci de ta colère, de tes convictions profondes. Elles font avancer. Je n'essaierai pas de t’en faire changer. Ce serait très probablement inutile et un principe essentiel de la foi catholique est de suivre sa conscience.
Il est possible que nos différences de points de vue viennent de ce que nous n’ayons pas la même expérience de l'Église. Tu parles, et je te crois profondément, d'une Église qui « mettait la poussière sous le tapis, avec toujours des coups de crosse, toujours des coups de massue ». Personnellement je n'ai pas eu cette expérience, mais au contraire celle d'une hiérarchie avec laquelle j’ai pu parler. Mon départ du sacerdoce s'est fait en lien réel avec mon évêque et avec l'Église locale, non sans tensions normales. Je trouve aujourd’hui, dans l'Église catholique et dans la communauté protestante d’Aix-en-Provence, des communautés croyantes qui nourrissent ma foi. L'équipe de Garrigues & Sentiers est aussi l’un de ces lieux ainsi que d’autres groupes chrétiens. Pour moi, il est nécessaire d'appartenir à une Église, à une communauté pour vivre sa foi en Jésus Christ. Car, en appelant les 12 apôtres, le chiffre symbolique des 12 tribus d’Israël, Jésus a pour moi indiqué sa volonté de former un nouveau peuple auquel Paul contribuera de donner une dimension universelle.
J'ai beaucoup d'admiration pour notre pape François qu’Edgard Morin qualifiait de grand homme politique actuel, pour sa lettre Laudato si’’. J'espère qu'il entreprendra les réformes nécessaires concernant l'organisation, la place des femmes dans l’Église et autres réformes. Je crains, comme toi, un retour probable du cléricalisme et du sacré notamment chez les jeunes prêtres. Je pense que dans l’Église catholique actuelle il y a de réelles différences de formulations de la foi. Peut-être sommes-nous au bord d'un schisme. Personnellement je le regretterais, car l'Église n'a pas d'abord à vivre des crises identitaires où chacun suspecte la foi (2). Comme le dit Christoph Théobald, théologien jésuite, quand Jésus dit à un homme « du tout-venant » « Ta foi t'a sauvé », il ne lui demande pas son identité religieuse : « Es-tu Juif ou Samaritain… ? », ni s'il croit en Jésus-Christ Fils de Dieu, mais si cet homme croit que Jésus, cet homme qu’il aborde, peut lui apporter quelque chose, s’il a foi en lui. On dira que c’est insuffisant, mais cela suffit à Jésus ! Qui suis-je pour penser ou dire que tel chrétien traditionaliste ou autre a une foi moins valable que la mienne ? Aujourd'hui, si les chrétiens, catholiques notamment, pouvaient reconnaître réellement leurs différences et que, malgré celles-ci, il pouvaient se dire frères en Jésus-Christ, l’Église catholique pourrait donner un exemple concret aux sociétés civiles où le vivre ensemble est de plus en plus menacé car la confiance spontanée en l'autre diminue sans cesse. La vraie question que nous devrions nous poser à nous-mêmes et à nos Églises et y consacrer tous nos efforts : nous aides-tu à vivre aujourd’hui l'amour de Dieu et l'amour du frère, comme soi-même ?
Je ne voudrais pas allonger ce partage, mais ces quelques mots voulaient prolonger notre échange fraternel : tu penses devoir sortir de l’Église catholique, moi je suis heureux d'y être.
Avec mes amitiés.
Antoine Duprez
(1) Cf. M. Bellet, Le Lieu du combat, Paris,1976.
(2) Cf. les critiques de théologiens comme J. Moingt, L. de Kermadec et les analyses de D. Hervieu-Léger.