Et pourtant, je continue à appartenir à l’Église catholique

Publié le par Garrigues et Sentiers

Et pourtant… les objections sont nombreuses, avec les scandales actuels de la pédophilie qui révèlent un malaise venant de plus loin : quelque chose « ne tourne pas rond », car le fonctionnement individuel ou collectif de la sexualité témoigne d’un bien-être ou d’un mal-être plus profond. Ce mal-être provient en partie d’un mode de management et d’exercice du pouvoir issu d’un modèle patriarcal où le pouvoir était tenu par une petite caste d’ hommes : c’est encore le cas dans l’Église officielle, même si la pratique sur le terrain peut être différente, où les décisions importantes sont prises par des hommes (quelle que soit leur valeur individuelle) en conclaves ou conciles (pape, cardinaux, évêques, prêtres soumis à l’obligation de célibat) et sont à exécuter par les « fidèles laïcs ». J’ai personnellement pu constater la fermeture de la Curie, au moment du concile Vatican II ; la même opposition, même si les hommes ont changé, se dresse contre le pape François, qui, avec ses propres limites, essaie d’être témoin d’une autre Église. Dans la plupart des autres églises,  les femmes peuvent avoir des postes de commandement. C’est ici que je fais le lien entre célibat et pédophilie, non pas qu’il y ait un lien automatique, mais la psychanalyse nous dit que lorsqu’on veut imposer autoritairement un seul mode pour vivre sa sexualité, celle-ci se venge toujours.

Mais plus encore, ce malaise vient du décalage culturel qui existe entre l'Église officielle et le monde d'aujourd'hui, concernant une certaine conception du « dépôt de la foi » consistant en vérités révélées dont l’Église aurait la clé : « hors de l’Église pas de salut », comme si la vérité consistait d’abord en des savoirs ou dogmes : on parle « de Dieu » comme d’un objet qu’on connaitrait, d’un « droit naturel » valable quelle que soit l’époque. Le décalage  semble très rapide entre la communauté que Jésus Christ a voulu fonder et l’institution de plus en plus centralisée qui en a découlé. Celle-ci s’est appuyée surtout sur Mathieu 16,18 ss, « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », dont les études actuelles montrent que ces versets ne relèvent très probablement pas du Jésus historique mais de la communauté mathéenne plus tardive. À force de parler de « Dieu » et de sa volonté, l’institution risque de ne plus l’écouter et de ne plus parler « à Dieu ».

Et pourtant je me sens profondément solidaire de l’Église Catholique.

D’abord parce qu’aucun mouvement important concernant des hommes ne peut se réaliser sans organisation et institution même si, par leur nature institutionnelle, elles s’écartent des intuitions du fondateur ; ces institutions, avec leurs rites et règlements sont nécessaires ; il faut vivre avec ces tensions entre les intentions du fondateur qu’on ne connaîtra jamais qu’à travers les témoignages de ses disciples et leur incarnation dans des réalités historiques ; c’est une autre forme de la tension entre morale de convictions et morale de responsabilité

Car, malgré tous ses défauts, c’est par cette Église que j’ai reçu, à travers mes parents et tous ceux qui l’ont permis de se développer, cette foi en Jésus-Christ et par elle de découvrir la bonne nouvelle de l’Évangile.  Ils m’ont communiqué une parole de vie que je n’ai jamais trouvée ailleurs. De même que je me sens, malgré tous ses défauts et limites de ma famille humaine, profondément solidaire de celle-ci, parce qu’elle m’a donné la vie, de même je reste profondément attaché à l’Eglise parce qu’elle m’a donné la Vie.

Son histoire, en même temps que celle de scandales, est jalonnée par une série de figures, saints (canonisés ou non), mystiques, docteurs réfléchissant leur foi, hommes et femmes ordinaires essayant de vivre et de faire vivre autour d’eux cet amour de Dieu et cet amour du frère révélé dont l’Évangile voit la source dans l’amour même de Dieu pour les hommes. En regardant tout l’apport de la chrétienté à l’humanité, malgré toutes ses déviations et perversions, notamment en faveur des pauvres, des malades, de l’éducation ; en étant témoin aujourd’hui encore de la qualité de l’engagement de nombreux chrétiens, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, hommes et femmes ; en relevant comment dans beaucoup d’associations en faveur des pauvres des migrants des malades des vieux, beaucoup sont de conviction chrétienne ; en voyant aujourd’hui la figure d’un pape François, malgré ses limites, je ne rougis pas de me dire membre de l’Église catholique. Car l’Église n’est pas d’abord le Vatican ni la Curie, mais d’abord ces communautés de croyants, animés par l’Esprit de Jésus-Christ, qui ont foi dans cet Amour qui les travaille et qui vient de plus loin. À ce niveau de croyants en Jésus-Christ, je ne fais pas de distinction entre Église Catholique et autre Églises chrétiennes

Personnellement cependant je ne crois pas que dans l’immédiat, l’Église officielle puisse entreprendre les réformes structurelles nécessaires que j’évoquais plus haut ; je n’épuiserai plus mon énergie à chercher à faire évoluer les structures car ces évolutions permettraient sans doute à l’Église d’être plus crédible dans le monde actuel mais ne régleraient pas le problème de la foi dans le monde d’aujourd’hui. « Le lieu du combat » est ailleurs : comment annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile dans un monde sécularisé où « "Dieu" étant aux abonnés absents" » ne peut plus être la référence, mais où les hommes de bonne volonté cherchent néanmoins un sens à leur vie.

Par contre je souhaite participer à l’avenir de l’Église, là où je suis, par des communautés vivantes qui témoignent concrètement de cet Amour révélé par la bonne nouvelle de l’Évangile. Car je pense que cela a un sens, dans un monde de plus en plus individualiste où le Dieu suprême risque de devenir l’argent avec le pouvoir qu’il donne, d’ être témoin de ce que  la vie véritable est d’abord dans la relations au frère, notamment le plus démuni. Dans ce sacrement du « frère »et dans des célébrations eucharistiques toujours plus conviviales, les croyants  se ressourcent au geste fondateur de Jésus-Christ donnant sa vie pour que le monde vive et que dans cet amour partagé se trouve la signature d’un Amour qui vient de plus haut, que mon Église m’a appris à nommer avec les mots de sa culture, Dieu Père Fils, Esprit.

Antoine Duprez
Membre du comité de rédaction de G & S

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