Noël 2022

Publié le par Garrigues et Sentiers

Nous sommes habitués à cette fête, au sens que nous pouvons lui donner, voulant oublier les flonflons commerciaux qui l'ont supplantée...Et si nous revisitions ce sens auquel nous sommes tellement habitués qu'il devient souvent pour nous un discours vague et sans saveur, entendu distraitement?

 

La Nativité nous est contée par Mathieu et Luc (messes de la veille et de la nuit). Jean quant à lui, dans l'évangile du jour, nous donne un sens profond de l'Incarnation ("et le Verbe s'est fait chair"). Nous n'avons aucun récit historique, cela n'intéressait pas les évangélistes.

Mathieu s'attache à montrer la filiation de Jésus, Juif fils de David, pour le déclarer Messie, annoncé par les prophètes. Il donne d'ailleurs la clé de compréhension de la déclaration de virginité de Marie en la reliant à l'annonce d'Isaïe :"La vierge concevra, elle va enfanter un fils et lui donnera le nom d'Emmanuel" (Is 7, 14). Ce nom qui signifie "Dieu avec nous", et le vrai nom de l'enfant, Jésus, signifiant "Dieu sauve", ils ne sont pas choisis au hasard. Enfanté par la vierge comme annoncé par Isaïe, Jésus est bien le Messie.

Luc ne fait pas un travail d'historien, il l'avoue à demi-mot dans son introduction où il écrit "afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus" (Lc 1, 4). Il veut confirmer l'enseignement. Son histoire de la naissance est un véritable conte qui se veut un enseignement : il pose un cadre (on dirait actuellement le milieu social du nouveau-né) avec l'action miraculeuse de Dieu (avec Zacharie et Élisabeth, puis avec Marie), la place du Précurseur, Jean-Baptiste. Il met dans la bouche de Marie et de Zacharie des hymnes (Magnificat et Benedictus) issus du premier Testament qui donnent sens aux événements, il raconte la naissance qui indique le statut de cet enfant (né dans la paille), enfin, par l'épisode de la prophétesse Anne et surtout le cantique de Siméon lors de la présentation au Temple, il affirme que Jésus est bien le Messie.

 

Ce cadre posé par Luc est à rebours de tout ce qu'attendaient ses contemporains, y compris Jean-Baptiste. L'envoyé de Dieu est pauvre et sans pouvoir, et son peuple refuse de le recevoir. Seuls parmi les siens les plus pauvres et discriminés, des bergers, sont à même de le reconnaître. Pire, alors que les peuples lointains se déplacent pour aussi le reconnaître (les mages), sa naissance est suivie d'un terrible massacre commandé par le roi qui aurait du l'accueillir. Nous sommes loin de l'histoire "bisounours" qu'on nous ressert à chaque Noël. Cette fête, dont nous faisons une fête pour les enfants, sucrée et dégoulinante de bons sentiments, est la célébration de la venue de Dieu parmi nous dans une atmosphère de refus (pas de place pour accoucher), voire de haine (massacre par Hérode), dans la pauvreté et l'impuissance; l'enfant est posé "sur la paille", puis, selon Mathieu, doit fuir à l'étranger.

Nous célébrons un événement inouï, l'irruption de Dieu parmi nous, mais irruption dans un mode totalement contraire à tout ce qu'on attendait de Lui. Dieu s'est toujours penché sur son peuple, exigeant d'être servi, le morigénant quand il était infidèle. Les Juifs connaissaient un Dieu aimant, mais sévère et exigeant. Ils attendaient son envoyé, le Messie, plein de puissance pour bouter dehors l'étranger (ce désir bien humain qui semble se perpétuer éternellement...) et instaurer un règne de domination sur les peuples. Avec cette naissance, les cartes sont rebattues, il faut renoncer à ces rêves, tout reprendre à zéro. Ce sera le travail de Jésus tout au long de son "ministère" pour nous faire connaître un Dieu Père, aimant, n'exigeant rien si ce n'est l'amour mutuel, mais nous libérant de nos incapacités, nous libérant de nos lourdeurs, de nos trahisons envers les autres et envers nous-mêmes. On reconnaît ce qu'il est ("es-tu celui qui doit venir?") au fait que "Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle" (Mt 11, 5). Gageons que Jean-Baptiste a du être quelque peu secoué, le Messie qu'il annonçait est à rebours de ce qu'il pensait, en bon Juif pétri de l'enseignement de la Bible.


Tout cela, nous le savons bien, on nous le répète sans cesse (bien que commençant le Credo par "je crois en Dieu tout-puissant"! difficile de ne pas rêver à cette toute-puissance!), mais le croyons-nous? Il y a un pas, de géant, entre savoir et croire. Nous savons quantité de choses, avoir appris le catéchisme nous donne l'illusion que nous croyons, c'est une erreur. En cette fête de Noël, tout en nous conformant à l'usage de faire une fête chaleureuse et tournée vers les enfants - ce n'est pas une faute! nous pourrions reprendre tout ce que nous savons sans y croire vraiment, c'est-à-dire tout cela qui en réalité n'informe pas nos vies. L'année liturgique va nous faire méditer sur l'action de Jésus pour nous révéler le Père, nous faire comprendre en quoi le Royaume a commencé parmi nous (il ne s'intéresse pas uniquement au ciel), quel salut il est venu nous apporter, quel est cet amour de Dieu pour nous. Essayons que ce ne soient pas seulement les paroles d'un savoir que nous pouvons répéter, mais des paroles de vie qui vont bouleverser les nôtres.

 

Marc Durand

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A
Je ne vois absolument pas comment, en écrivant: «afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus», Luc «avoue à demi-mot» qu’il «ne fait pas un travail d'historien». Je comprends encore moins que «Son histoire de la naissance» de Jésus soit «un véritable conte». Suite à une annonce dans L’Histoire n° 169 (sept. 1993) de plusieurs publications sur Jésus, j’avais envoyé au mensuel une lettre qui a été publiée partiellement dans le n° 172 (déc. 1993, p. 89) et où je disais entre autres: «Est-il possible d’interpréter le début de l’Évangile attribué à Luc, de ne pas le prendre dans le sens obvie ? “Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement et sont devenus des ministres de la parole, il m’a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer de manière suivie, excellent Théophile, afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.” (I, 1-4)./Si ce texte n’annonce pas, de façon simple, claire, nette, directe et précise, une biographie de Jésus en bonne et due forme, je ne saisis plus ce que les mots veulent dire. À moins que les évangélistes ne racontent une vie se déroulant dans un monde parallèle au nôtre, ou qu’ils ne décrivent un mythe semblable à celui des douze travaux d’Hercule, je tiens donc comme hypothèse la plus vraisemblable qu’ils entendaient bien faire œuvre d’histoire.»<br /> La revue me répondait: «Que notre lecteur se rassure. Nous avons l’intention de revenir sur ce sujet dans un de nos prochains numéros.» Dans L’Histoire n° 186 (mars 1995) parut un entretien avec Michel Tardieu intitulé « L’historien, Jésus et les Évangiles » (p. 80-85). Le seul passage concernant la question de l’histoire est celui-ci (p. 81-82) et ne répond pas à la question que je pose: «M. T.: […] Qu’un événement relaté dans les Évangiles se soit produit ou pas importe peu. Ce qui importe, c’est la croyance qui crée le récit et le reformule différemment selon les lieux et les circonstances. L’historien ne peut postuler une continuité entre le passé et la croyance, chercher à rendre celle-ci acceptable vraisemblablement ou historisable pour obtenir une certitude. Les Évangiles sont un texte qui nous renseigne sur une croyance dont on peut essayer de faire l’histoire; on ne peut en aucun cas en faire de l’histoire./L’H.: On peut tout de même dire que Jésus a existé.../M. T.: Naturellement. L’idée qu’il n’ait jamais existé, qu’il doive être considéré comme un mythe sorti de l’imaginaire juif , c’est une spéculation de modernes. Elle n’a pas effleuré l’esprit des anciens polémistes, Celse (IIe siècle ) ou Porphyre (IIIe siècle), qui pourtant réunirent contre le christianisme une masse impressionnante d’arguments, qui avaient à leur disposition plus de sources que nous, et qui ne cessaient de fouiller dans la Bible, retournant les textes en tous sens pour y déceler des failles […] Je crois que ces gens, esprits rigoureux et s’interrogeant sur la valeur des traditions orales, n’auraient pas hésité à exploiter l’argument de la non-historicité de Jésus s’ils avaient eu le moindre doute sur la validité de la transmission entre les disciples qui connurent Jésus, et Paul, qui est le premier auteur chrétien. Je tiens donc pour décisif le témoignage paulinien, arc-bouté sur la tradition préévangélique. Ce témoignage nous apprend deux choses: que Jésus a bien existé et qu’il avait laissé dans son entourage un souvenir extraordinaire.»<br /> Le même Michel Tardieu écrivait six ans auparavant cet avant-propos (p. 7-8) aux livres Logique des sacrements (1989) et Logique des dogmes (1989) de Jean Magne (édition à compte d’auteur), qui ne croit pas à l’existence de Jésus et dont toute l’œuvre s’attache à montrer comment le christianisme a pu naître sans qu’il soit nécessaire de supposer à son origine un homme réel: «Ce travail est l’aboutissement d’une vie de recherche, et il est le résultat d’un choix. La physionomie du christianisme, qui se dégage de cet ouvrage, est nouvelle. Les choses établies depuis deux mille ans s’y trouvent singulièrement bouleversées. Non par humeur ou fantaisie. L’auteur ne spécule pas et ne donne prise nulle part à l’ésotérisme. Jean Magne est tout à fait aux antipodes de ce dernier. Son écriture n’est pas celle de la facilité, mais les représentations qui servent à construire les rituels et à organiser les récits s’ordonnent, tout au long du livre, avec une grande clarté. Ouvrage surprenant, déroutant au premier abord, toujours solide dans la méthode poursuivie, laborieux même dans le compte des étapes parcourues. Personne avant Jean Magne n’avait songé à lire Emmaüs par la Genèse, c’est-à-dire expliquer les liturgies eucharistiques et baptismales comme pièces exégétiques d’un vaste ensemble interprétatif allant des récits bibliques des origines aux exposés gnostiques et aux narrations évangéliques. Le mérite incontestable de l’auteur est de faire découvrir que ces pièces fournissent toutes sans exception les catégories qui ont servi à leur apparition et aux surcharges interprétatives. C’est donc bien de la mise en place d’une logique de la production des dogmes qu’il s’agit, considérée à partir des rites, des prières et des formules. En fin de compte, il s’agit d’apprendre à ouvrir les yeux, et cet apprentissage est mené au prix d’un effort d’analyse critique des documents, fort rare de nos jours. La nature des textes ramassés en vue de la détermination des catégories est complexe. Il fallait les traduire, les regrouper, les analyser, retenir/certains éléments, en rejeter d’autres ne convenant pas au but. De là vient que le livre ne peut être refermé parce qu’il heurte, agace ou exaspère. Il mérite lecture de bout en bout, et avec la même attention qui fut celle de son auteur pour comparer et analyser. L’examen de l’argumentation permet non seulement de nuancer ce que la théorie peut avoir d’abrupt ou d’absolu, mais encore d’enrichir d’une réflexion nouvelle la connaissance des origines chrétiennes. LA CLÉ FONCTIONNE, MÊME SI LA SERRURE GRINCE (c’est moi qui souligne).»<br /> <br /> Armand Vulliet
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