Jésus : quel sens donner à sa mort ? – Un autre point de vue

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’article de Paul Fleuret, Jésus : quel sens donner à sa mort ? a suscité ce commentaire très fourni de l’un de nos internautes, Jean Guichené, que nous publions sous forme d’article afin d’en faciliter la lecture.
                                                                                                                        G & S

Préalable

Vis-à-vis de la Bible ma position est que je la reçois de l’Église comme inspirée par Dieu. La part culturelle humaine dans la rédaction va être dans le style et les images utilisées. Mais le message fondamental sous-jacent vient de Dieu et ne peut être trompeur.

Je vois aussi une progression du message au long des siècles pour aboutir à un parachèvement dans le Nouveau Testament. Cette fois, Jésus nous dit : « Comme je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34 et 15, 12). Il s’agit maintenant d’aimer à la mesure même de Dieu ; Jésus ne nous dit-il pas ailleurs : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Jn 5, 48). Il n’y a plus de concession à la dureté de cœur, à la faiblesse des humains. Il s’agit donc de devenir parfait dans l’ordre de l’amour : c’est l’affaire de toute une vie ; nous sommes dans le temps pour grandir dans l’ordre de la Foi, de l’Espérance etn surtout, de la Charité pour devenir semblables à Dieu dans la Vie éternelle, à Dieu qui est Amour (1 Jn 4, 8 et 4, 16).

Maintenant, devant un passage de l’Écriture, je peux être surpris, voire gêné, voire encore choqué par rapport à ce que je pense spontanément. Je crois qu’alors il ne faut pas rejeter le texte mais y revenir dans le calme, en demandant à l’Esprit de me faire voir le message qu’il a inspiré à l’auteur biblique. Et je peux rester surpris, dans l’incompréhension, pris à contre-pied. Mais je suis appelé à rester dans la confiance en Dieu qui ne peut faire que de très bonnes choses quand l’être humain est en cause (cf. Gn 1, 31). Je ne suis pas Dieu et dois avoir l’humilité d’accepter de ne pas tout voir dans le temps de ce monde.

De nombreux passages du Nouveau Testament disent explicitement que Jésus est mort pour tous, pour la réconciliation de l’humanité avec Dieu, pour la rémission des péchés, pour la justification de l’humanité, qu’il s’est offert au Père en sacrifice pour les péchés, qu’il est venu pour sauver ce qui était perdu. En fait, la notion de Salut de l’humanité par Dieu court la Bible, 1er (Ancien) et Nouveau Testament. Je ne ferai qu’une citation de saint Paul : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures » (1 Co 15, 3).

Comment comprendre alors la notion qui me paraît impossible à rejeter de « sacrifice pour les péchés », de « mort pour nos péchés » ? C’est ce que les lignes qui suivent vont essayer de faire.

Dès le chapitre 2 de la Genèse, Dieu commande à l’être humain de manger de l’arbre de la vie qui doit communiquer ce que le Nouveau Testament appelle la Vie éternelle.

Dans le Nouveau Testament il apparaît clairement que la volonté de Dieu est la Vie éternelle pour tous les humains :

  • Saint Pierre nous dit : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion » (2 P 3, 9).
  • Jésus nous dit : « Telle est en effet la volonté de mon Père : que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la Vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 40)
  • Jésus prie son père : « … Or, la Vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

Tout l’enseignement des Évangiles est orienté vers la Vie éternelle comme but vers lequel tendre. Mais Jésus en est « le Chemin ». Zachée cherche à voir Jésus et ne se regarde pas lui-même ; c’est alors que Jésus viendra chez lui et que, sortant de lui-même, Zachée se convertira et que Jésus pourra dire : « Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison » (Lc 19, 9).

Dans le Jardin d’Éden, l’être humain est appelé à obéir à Dieu, dans une confiance croissante et de plus en plus amoureusement. Mais il est libre et peut refuser d’obéir, ce qui doit le mener à la Mort éternelle, à la damnation.

Il apparaît alors qu’au moins un être humain va désobéir et donc se damner. Dieu voulant l’éviter, même pour une seule brebis, le Jardin d’Éden n’est pas porté à l’existence, mais notre monde blessé par des conséquences logiques de la désobéissance. Dans ce monde, saint Paul nous dit que « Dieu a enfermé tous les humains dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rm 11, 32).

Si la désobéissance mène à la Mort éternelle, l’exercice par Dieu de la miséricorde pour donner la conversion et l’entrée dans la Vie éternelle correspond à un salut qui est offert.

Cela me conduit à dire qu’il y a bien un plan de salut qui existe de toute éternité.

Sachant que la désobéissance se fait sous la tentation d’un ennemi du genre humain, Zacharie, inspiré par l’Esprit Saint, dira : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’il a visité son peuple, accompli sa libération, et nous a suscité une force de salut dans la famille de David, son serviteur. » Et la Bible de la Liturgie catholique continue : « Salut qui nous arrache à l’ennemi, à la main de tous nos oppresseurs. » (Lc 1, 68-69 ; 71).

Le 1er comme le Nouveau Testament nous disent que c’est Dieu qui sauve : la force de nos propres bras ne peut rien, quelle que soit notre bonne volonté. Et Dieu dira, par la bouche de son prophète Isaïe : « Un Dieu juste et qui sauve, il n’en est pas, excepté moi » (Is 45, 21).

Dans le Nouveau Testament, Dieu apparaît comme le sauveur en la personne de Jésus, le Fils incarné. Celui-ci ne dit-il pas de lui-même : « En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10).

Dans sa lettre aux Romains, saint Paul va opposer la désobéissance du premier Adam à l’obéissance de Jésus, le dernier Adam : « De même en effet que, par la désobéissance d’un seul humain, la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, la multitude sera-t-elle rendue juste » (Rm 5, 19).

Jésus sauve l’humanité enfermée dans la désobéissance en la rendant juste vis-à-vis de Dieu par son obéissance parfaite.

Cette obéissance est son engagement de vie.

C’est ainsi qu’il dira à ses disciples le pressant de manger du pain du boulanger : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre » (Jn 4, 34).

Et tout le Nouveau Testament converge pour dire que la mort du Christ sur la Croix est voulue par le Père. Le Fils obéissant dans son humanité, obéissant dans la confiance et amoureusement et non servilement, va s’offrir tout entier en étant « obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » comme le dit saint Paul (Ph 2, 8). Il s’offre tout entier, jusqu’à rendre au Père tout lui-même : c’est ainsi que sur la Croix il dira : « Père, entre tes mains, je remets mon Esprit » (Lc 23, 46), cet Esprit qu’il avait reçu pleinement au baptême de Jean et qui l’a accompagné tout au long de sa vie publique. Si un sacrifice est une offrande, il y a bien là un sacrifice où Jésus, renonçant à lui-même comme il enseigne aux humains à le faire dans l’Évangile, offre tout lui-même au Père dans une obéissance totale au Père.

Mort sur la Croix pour attirer les humains à Lui

Souvenons-nous que par la bouche du prophète Osée Dieu dit vouloir ramener à lui son épouse adultère, Jérusalem, symbole du peuple qui s’est détourné de lui. Pour ce faire, il dit « C’est pourquoi, voici que je vais la séduire ; je l’emmènerai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2, 16). Il ne s’agit pas de vilipender l’épouse infidèle mais de la séduire : Dieu cherche à séduire l’humanité.

Plus tard, Jésus dira : « Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les humains à moi » et l’évangéliste poursuit : « Par ces paroles il indiquait de quelle mort il allait mourir » (Jn 12, 32-33). Il s’agit d’attirer à Jésus qui mène au Père les humains qui avaient été enfermés dans la désobéissance.

Au sujet de la pécheresse qui baigne les pieds de Jésus de ses larmes, Jésus dira à Simon le Pharisien : « Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. »

C’est donc quand on a été pardonné de beaucoup que l’on peut montrer beaucoup d’amour.

Or que nous montre la mort de Jésus sur la Croix, quand on se souvient que Jésus est une personne divine ayant revêtu la nature humaine ? Il me semble que l’on peut dire que la crucifixion montre que la nature ultime du péché, sous l’influence de Satan, est de vouloir « clouer Dieu au poteau », de vouloir tuer Dieu pour rester seul, dieu à la place de Dieu. Et devant cette énormité a priori insurpassable, la réaction du Christ sur la Croix est de dire : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

Ce faisant Jésus intercède pour les humains : c’est Dieu qui intercède Lui-même auprès de Lui-même pour ses créatures humaines.

Le pardon d’une telle énormité devrait susciter un très grand amour de telle sorte que la liturgie catholique dira : « le rappel de sa (Jésus) mort provoque notre amour, l’annonce de sa résurrection ravive notre foi, et la promesse de sa venue nourrit notre espérance » (5ème Préface commune).

Nous avons donc vu que :

  • les humains avaient été enfermés dans la désobéissance, le rejet de Dieu.
  • Dieu veut ramener à Lui cette humanité, en exerçant la miséricorde, en la séduisant, en lui parlant au cœur.
  • Jésus a été totalement obéissant à son Père, dans la confiance et amoureusement et non servilement, jusqu’à s’offrir tout entier sur la Croix. Cette obéissance parfaite constitue l’offrande de lui-même et est son sacrifice offert au Père.
  • si le Christ est mort sur la Croix, à la face du monde, et non autrement, c’est pour attirer tous les humains à Lui pour les emmener avec Lui à travers la Résurrection jusqu’au Père dans la Vie éternelle.

Jésus est alors bien mort sur la Croix pour les péchés des humains, et ce, selon la volonté de son Père des cieux à qui il s’est offert en sacrifice. Il a donné au Père le moyen de séduire et parler au cœur de l’humanité pécheresse.

Et c’est ce sacrifice qui est rendu présent sur l’autel à chaque messe catholique (je m’abstiens de parler pour les autres confessions chrétiennes) au moment de la consécration, quand, par les paroles du prêtre agissant en la personne du Christ tête, le pain et le vin sont changés en corps et sang du Christ ressuscité.

Notre monde étant ce qu’il est, la Résurrection ne peut avoir lieu sans la Passion, la mort du Christ sur la Croix. Le sacrifice du Christ sur la Croix réalisant la réconciliation de l’humanité avec Dieu apparaît nécessaire pour qu’Il puisse donner aux humains son corps à manger et son sang à boire comme vraie nourriture et vraie boisson pour la Vie éternelle (cf. Jn 6, 53-54).

Quant à « selon les Écritures », Jésus ne nous a-t-il pas dit : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir » (Mt 5, 17). Jésus accomplit donc ce que dit le 1er Testament de manière plus ou moins voilée.

Jean Guichené
 

P. S. : Ces propos demanderaient de plus amples développements, mais la place manquait.
Les citations bibliques sont pour l’essentiel tirée de la TOB 2010. Trois citations sont tirées de la Bible Osty-Trinquet 1973 : Mt 19, 6 – Os 2, 16 – Mt 26, 39.
Souvent le mot grec « anthropos » a été rendu par « humain » plutôt que « homme » utilisé par les traductions citées.

Publié dans Réflexions en chemin

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A
À la lecture de l’article de Paul Fleuret, je m’étais fait cette réflexion que plus les textes étaient clairs (la mort de Jésus comme sacrifice pour les péchés) plus les chrétiens libéraux devaient absolument leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifiaient.<br /> Cet article de Jean Guichené met les points sur les i et se contente d’exposer la doctrine catholique sans crainte pour l’auteur de passer pour un affreux traditionaliste. Il est écrit simplement et ne cherche pas midi à quatorze heures. Je suis sûr qu’il sera taxé par beaucoup d’auteurs de Garrigues et Sentiers d’exemple parfait de lecture fondamentaliste…<br /> <br /> Armand Vulliet
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H
Jean Guichené écrit (dernier paragraphe) :Quant à « selon les Écritures », Jésus ne nous a-t-il pas dit : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir » (Mt 5, 17). Jésus accomplit donc ce que dit le 1er Testament de manière plus ou moins voilée.<br /> Deux commentaires :<br /> 1.Jésus est juif, imprégné de la culture juive.<br /> 2. L'évangile de Mathieu a été écrit dans le but de convaincre les juifs que Jésus est bien le Messie annoncé dans l'ancien testament : il est don logique qu'il mette ces paroles dans la bouche de Jésus. De même Matthieu s'est appuyé sue une allusion à Bethléem pour y situer la naissance de Jésus, ce dont nombre d'exégètes doutent fortement. Quant au Messie venu délivrer Israël, les juifs attendent toujours...<br /> Jésus nous a livré un message universel nous montrant le chemin du salut : aimer Dieu (qui EST amour) et son prochain. Seul l'Amour est salvateur : il n'y a pas d'autre chemin. A nous de le suivre et de l'enseigner au monde entier.
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J
Je me permets quelques précisions.<br /> Il me semble que le nombre de références de Matthieu au 1er Testament ne veut pas dire que Jésus n'a pas dit cela, mot à mot ou sous une autre forme dans son enseignement. Matthieu est inspiré par Dieu lorsqu'il rédige son Évangile (voir ce que je dis de ma réception de la Bible dans le "Préalable" à l'article).<br /> Voir aussi, dans l'Évangile selon saint Luc, Jésus "interpréter dans toutes les Écritures ce qui le concernait" pour les disciples d'Emmaûs.<br /> Concernant la citation que j'ai faite : "salut qui nous arrache à l'ennemi", par "ennemi", au-delà des romains, je vois Satan. Il semble que je n'ai pas été assez explicite.
A
après cette lecture , je ne peux que remercier : mr Paul Fleuret de nous avoir conduit par une autre réflexion théologique sur le "sacrifice " de Jésus !
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