Dieu, la Science, les preuves – À propos du livre de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies
Préliminaires
Puisque la fin du titre de cet ouvrage (1) est « les preuves » il convient d’abord de poser une question que les auteurs n’abordent que dans le chapitre 2 : « Qu’est-ce qu’une preuve ? », car c’est à mon sens le point essentiel dans ce type d’argumentation. En effet, dans une langue donnée, ici le français, les diverses communautés professionnelles ont, en plus de mots spécifiques qui constituent ce qu’on appelle communément leur « jargon », l’habitude d’utiliser des mots de la langue commune auxquels elles donnent un sens particulier précis qui n’est d’ailleurs pas toujours le même d’une communauté à l’autre. Ainsi en est-il du mot « preuve ».
Par exemple, dans le Droit, les magistrats (juges, procureurs, greffiers, …) et les avocats disent d’un même accord : « nul accusé ne peut être condamné sans preuve ». Ils distinguent ainsi les « preuves » dont la présence ou l’absence seraient établies lors du débat public et contradictoire d’un procès, des « charges » qui justifient la mise en examen, l’instruction à charge et à décharge par un juge et le renvoi éventuel pour un jugement par la chambre d’accusation. Pour ces preuves, sont admis les témoignages (publics) et les indices matériels (arme du crime ou du délit, empreintes digitales, images de vidéosurveillance et depuis peu traces d’ADN).
Par contre dans les Sciences ne sont admises que les preuves dites autoscopiques (c’est-à-dire celles que tout le monde, au moins théoriquement, peut voir par soi-même). Celles-ci peuvent être de deux natures :
- Soit l’évènement est, compte tenu de la précision limitée de nos moyens d’observation ou de mesure, assez indépendant de ses conditions de réalisation pour pouvoir être reproduit à volonté (exemple : si dans une expérience faite au sein de l’air ambiant on verse de l’acide nitrique sur du cuivre, il se dégage des vapeurs rousses dont on pourra prouver ensuite que c’est le peroxyde d’azote qui leur donne cette couleur).
- Soit l’évènement est trop bref pour pouvoir être observé à sa vitesse réelle, soit a eu lieu dans un passé reculé et l’on n’en voit que les conséquences. Dans ces cas, un enregistrement spontané par la Nature (archives géologiques ou paléontologiques) ou prévu par un protocole décidé à l’avance tient lieu de preuve (exemples récents : détection des ondes gravitationnelles, « image » d’un « trou noir » ou plutôt de son ombre…).
Si on applique dans les jugements selon le Droit la définition de la preuve que donnent les scientifiques, tout accusé sera acquitté, car, au sens de la Science, sa culpabilité ne peut être « prouvée » : tout au plus peut-on construire un modèle vraisemblable où cette culpabilité est un élément plausible de la Réalité. Si on applique en Science la notion de preuve du Droit, alors on doit accepter, ce que ne font pas les scientifiques, comme espèces animales authentiques le Yeti de l’Himalaya ou le monstre du Loch Ness pour lesquels il y a de très nombreux témoignages et des indices matériels.
Au sens de la Science, les « preuves » juridiques ne sont que ce que le Droit appelle des indices concordants qui constituent ce qu’on appelle alors en général des « charges ». Inversement, pour qu’en matière pénale on ait une « preuve » au sens de la Science, il faudrait qu’au cours d’un procès le juge voit l’accusé commettre un crime ou un délit ; mais nul ne pouvant être en Droit « juge et partie », le juge deviendrait un témoin et on retomberait sur un témoignage…
On doit d’ailleurs dire si l’on veut être précis que les diverses sciences, Physique, Chimie, Biologie… ne fixent pas exactement la même règle à suivre pour conclure, par exemple, qu’un fait nouveau remet en cause une théorie existante. On trouvera en Annexe 1 quelques détails sur ce point.
La question est donc de savoir si, lorsqu’on parle de l’existence de Dieu, c’est le sens du mot « preuve » qu’utilise le Droit (plus proche d’ailleurs de la notion commune) ou celui de la Science qui doit servir. Pour la Théologie catholique c’est manifestement le premier.
En effet le concile Vatican I affirme :
- « La même sainte Église, notre Mère, tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées, car “depuis la création du monde, ce qu’il a d’invisible se laisse voir à l’intelligence grâce à ses œuvres ” (Rom 1, 20).
De même le concile Vatican II déclare :
- Le saint Concile confesse que “Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées” [Vatican I, Const. Dei Filius, ch. 2]
Enfin on trouve dans le Catéchisme de l’Église catholique :
- Ainsi, […] l’homme peut accéder à la connaissance de l’existence d’une réalité qui est la cause première et la fin ultime de tout, “et que tous appellent Dieu” (saint Thomas d’Aquin, Sum. theol. I, q. 2, a. 3).
Mais on peut remarquer que toutes ces affirmations reposent en définitive sur le texte de l’épitre de Saint Paul aux Romains écrite à une époque où la Science au sens moderne du mot n’existait pas encore. Certes les Anciens avaient déjà sur le Monde de nombreuses connaissances mais, en l’absence d’une « méthode » qui ne commencera à émerger qu’au 16ème siècle, celles-ci relevaient plus de ce qu’on appellerait aujourd’hui « Érudition » que de la Science. Or nous sommes au 21ème siècle et la Science au sens moderne existe. On peut donc légitimement s’interroger : est-ce le sens traditionnel de preuve qui doit être utilisé dans un ouvrage dont le titre commence par « Dieu la Science… » ?
D’autre part une preuve quelle que soit sa nature doit avoir une valeur définitive, sinon c’est simplement un indice nous poussant à penser que quelque chose est vrai. Dès lors peut-on espérer raisonnablement trouver une preuve de l’existence de Dieu en se basant sur l’état des connaissances, même scientifiques, au moment où l’on cherche à établir cette preuve, sachant que celles-ci seront toujours incomplètes et que ce que l’on croyait être une certitude peut se révéler être erroné. En d’autres termes se pose la question fondamentale : peut-on prouver l’existence de Dieu ? On peut rappeler que Pascal qui, au 17ème siècle, avait déjà réfléchi à cette question, pensait que la croyance en Dieu ne relève pas de la Raison mais d’une adhésion de la personne car « le Cœur a ses raisons que la Raison ne connait pas ».
Une autre question se pose : lorsque le livre parle de Dieu de qui parle-t-il ? Est-ce comme Einstein du Dieu de Spinoza, est-ce du « Dieu des philosophes et des savants » dont Pascal disait qu’il n’était pas le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » ou est-ce du Dieu d’Amour que nous a révélé le Christ ? Bien que cette question soit fondamentale, elle n’est pas clairement abordée dans l’ouvrage qui d’un chapitre à un autre semble changer le sens qu’il donne à ce qu’il nomme Dieu. Ainsi dans les chapitres 4, 5, 8 9 et 11 où les auteurs évoquent des supposées « preuves scientifiques », c’est à un Dieu créateur et ordonnateur du monde qu’ils font référence, alors que dans les chapitres 16 à 20 c’est manifestement du Dieu de la révélation biblique dont ils parlent.
Néanmoins il est intéressant, et c’est ce que fait l’ouvrage, d’examiner d’abord ce qu’en scientifique j’appellerai des indices, du moins pour la première partie consacrée aux « preuves » scientifiques, puis éventuellement d’étudier les autres propositions de preuve, celles qui ne sont pas censées provenir de la Science. Venons-en donc à l’ouvrage lui-même…
Critique factuelle
Préface et chapitres d’introduction
La préface de Robert W. Wilson (Prix Nobel de Physique en 1978) exprime quelles sont en 2021 les convictions de celui-ci.
Il croit à un commencement de l’Univers ; il évoque l’idée d’un Multivers, mais aussi celle d’un Dieu créateur. Mais en tant que scientifique, il ne s’intéresse qu’aux « causes secondes », c’est-à-dire aux causes qui sont elles-mêmes l’effet d’une cause antécédente, donc s’il s’interroge sur la raison d’être d’un Multivers, il pose aussi la question « Comment Dieu est-il apparu ? ». Or cette deuxième interrogation n’a aucun sens pour un croyant monothéiste ou pour un métaphysicien déiste pour lesquels Dieu, « cause première », possède par essence « l’Être en soi ».
Les trois premiers chapitres sont une « Introduction » à l’ouvrage.
Dans le chapitre 1, « L’aube d’une révolution », les auteurs énoncent que l’évolution des idées provoquée par les développements scientifiques, après avoir pendant quelques siècles sembler favoriser le courant matérialiste, parait maintenant pousser vers son déclin. Mais dans la représentation graphique des pages 30 et 31 ils sont obligés de distordre quelque peu la chronologie puisque la partie gauche (en rouge : progrès du matérialisme) va selon eux jusqu’en 1896 (Psychanalyse de Freud) alors que dans la partie droite (en vert) son déclin commence, toujours selon eux, dès 1824 (Thermodynamique de Carnot).
Le chapitre 2, « Qu’est-ce qu’une preuve », exprime ce que pensent les auteurs sur cette question, mais l’étude critique faite dans la partie « Préliminaires » de cet article justifie qu’on ne s’y attarde pas davantage.
Dans le chapitre 3, « Les implications des deux théories », les auteurs présentent ce qui leur semblent être les deux seules possibilités : soit l’Univers est exclusivement matériel (modèle moniste), soit il y a un Dieu créateur (modèle dualiste). Les conclusions qu’ils en tirent semblent correctes si ces deux hypothèses sont les seules possibles, mais cela n’est pas nécessairement le cas.
En effet, on peut remarquer que les auteurs ne parlent pas d’autres modèles qui ne figurent pas en général dans la Philosophie « occidentale » (au sens élargi) mais qu’on trouve dans l’Iran ancien (Zarathoustra, Mani…) ou dans l’Inde. Des versions de ces philosophies ont été transposées en Occident par certains penseurs, mais sont souvent ignorées. Par exemple :
- Athéisme « ternaire » : il n’y a pas de dieu, mais le Bien et le Mal ont un fondement objectif qui est la source de l’Éthique.
- Dieu non créateur : Dieu existe et apporte son Amour infini au Monde, mais ce dernier (avec les lois qui le régissent) est et existe par lui-même (C’est une solution proposée au problème du Mal).
- Et bien d’autres…
D’autre part, à la fin de la page 48 les auteurs expliquent que si l’Univers est exclusivement matériel il ne peut pas avoir de début et la raison donnée sur le plan scientifique est que « rien ne se perd, rien ne se crée » (forme ancienne d’expression : aujourd’hui on parle plutôt en Science de lois de conservation).
Dans cette perspective la remarque 8 de la page 49 qui semble dire que ces lois de conservation ne sont pas tout à fait exactes à cause de l’expansion de l’Univers, de la création d’une énergie du vide ou du décalage vers le rouge des photons sur une longue distance (?) a un énoncé qui est incorrect sur le plan scientifique. On peut en voir la raison en Annexe 2.
Je ne vois donc pas l’intérêt de la remarque évoquée plus haut. Par contre l’argumentation des auteurs ne vaut pas dans le cadre d’un Big-Bang modifié qui inclurait, outre les prédictions de la théorie relativiste générale de la Gravitation, celles de la théorie quantique des champs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Les preuves liées à la Science
C’est à partir du quatrième chapitre que les auteurs exposent ce qu’ils appellent « Les preuves liées à la Science »
Dans le chapitre 4, « La mort thermique de l’Univers », les auteurs tentent en vain une argumentation dont une bonne compréhension de la notion d’infini au sens de la Science montre qu’elle ne peut rien prouver. Il est navrant de constater que les auteurs qui ont pourtant dans leurs études universitaires reçu avec succès une formation scientifique de haut niveau aient à ce point oublié des résultats essentiels que pourtant à un certain moment de leur vie ils ont dû parfaitement maîtriser.
Dans leur raisonnement, ils font appel à ce qu’on appelle les principes de la Thermodynamique pour nous persuader d’un élément qu’ils jugent eux-mêmes essentiel dans leur thèse. Or leur raisonnement contient des erreurs manifestes sur le plan scientifique. Ne tenant pas compte de ces erreurs, les auteurs tirent de leur raisonnement une « conclusion métaphysique explosive : l’Univers a forcément un début » (page 61). Cette conclusion est peut-être vraie mais elle n’est pas démontrée car, contrairement à l’argument des auteurs, il n’y a aucune nécessité scientifique, sur la seule base de la Thermodynamique, à un commencement de l’Univers. On en trouvera une explication technique détaillée en Annexe 3.
Ceci n’a d’ailleurs rien à voir avec le fait de croire que l’Univers soit créé ou non, et le fait que de nombreux scientifiques athées aient dans le passé refusé le second principe de la Thermodynamique, et ceci même après sa justification statistique par Boltzmann (20/02/1844 - 05/09/1906) n’est en rien un argument.
Dans le chapitre 5, « Une brève histoire du Big-Bang », les auteurs nous racontent comment est né le concept de Big-Bang. Ce terme se voulant moqueur a été inventé en 1949 par le cosmologiste et astronome britannique Fred Hoyle (24/06/1915 - 20/08/2001) pour ridiculiser la théorie dite d’expansion de l’Univers émise d’abord par le mathématicien et physicien russe Alexandre Friedman (16/06/1888 - 16/09/1925) dès juin 1922, puis développée par le chanoine, astronome et physicien belge Georges Lemaître (17/07/1894 - 20/06/1966) d’abord dans un article de 1927, complétée ensuite en 1931 par la notion « d’atome primitif ».
L’aspect historique, que je ne peux critiquer car je ne suis pas historien, me semble clair à la fois dans l’exposition succincte des modèles et dans les péripéties de leur refus au début par certains scientifiques, suivi aujourd’hui par leur acceptation unanime à la suite de nombreuses confirmations observationnelles. Néanmoins, et on y reviendra plus loin, pour tirer des modèles la conclusion d’un début absolu de l’Univers, il faut remonter jusqu’à l’instant zéro ou du moins très près, ce qui suppose qu’ils soient conformes au Réel jusqu’à cet instant. Or dans cette remontée vers le passé les modèles font intervenir la notion « d’inflation » de l’Univers (expansion gigantesque en un temps extrêmement court), ce qu’indiquent clairement les auteurs vers le bas de la page 95. Or cette hypothèse étant celle qui conduit naturellement à la notion, expliquée plus loin, de « Multivers » est présentée dans le chapitre 7 (page 165, proposition 7) comme une théorie sans confirmation expérimentale à ce jour. Par ailleurs ils la réfuteront pour d’autres raisons dans un chapitre ultérieur. Bien que ceci n’apparaisse pas directement, cela traduit une incohérence certaine dans l’argumentation. La référence au temps de Planck dans les pages 90 à 95 est quant à elle l’objet de discussion entre les spécialistes de ces questions et aucune affirmation péremptoire ne devrait en attente d’éclaircissements ultérieurs servir de base pour une réflexion. Des explications de cette notion sont donnée en Annexe 4. Pour ce qui est de faire référence (page 101) aux très contestés frères Bogdanov (décédés depuis) je n’en dirai pas plus…
Le chapitre 6, « Le roman noir du Big Bang », est purement historique et relate les persécutions que les régimes hitlériens et staliniens firent, chacun pour leurs propres raisons idéologiques, subir aux scientifiques de leurs pays respectifs qui étaient convaincus de la validité de ce modèle pour décrire les grandes lignes de l’histoire de l’Univers observable. Quitte à me répéter je dirai que je n’ai pas les compétences pour en parler.
Dans le chapitre 7, « Tentatives d’alternatives au Big Bang », les auteurs passent brièvement en revue des alternatives au modèle standard du Big-Bang, mais ils ont à mon sens trop tendance à mettre sur le même pied des théories qui ont été réfutées par des observations, d’autres qui sont pour le moment des hypothèses dont on cherche des confirmations (ou une éventuelle réfutation) et enfin des projets de recherche se proposant d’aller plus loin que le cadre de la Physique actuelle et qui si l’un de ces modèles se révélait conforme au Réel remettrait en cause les modalités du Big-Bang dans ses premiers instants.
Mais c’est dans le chapitre 8, « Le principe anthropique … », que les auteurs, voulant là encore trop prouver, se laissent entrainer à écrire des choses qui sont manifestement erronées. Rappelons que le « principe anthropique », que certains préfèrent appeler « principe cosmologique observationnel », consiste à dire que les observateurs que nous sommes (et plus généralement tout observateur autre que nous les humains si nous ne sommes pas seuls dans l’Univers) sont des éléments de l’Univers produits (au moins sur le plan physique) par les lois qui régissent cet Univers. Donc les lois de l’Univers doivent nécessairement être telles que nous soyons présents pour chercher à les connaître. Les scientifiques qui en général répugnent à la téléologie sont confrontés à la difficulté de trouver une explication non finaliste de cette affirmation.
En fait le problème se situe dans ce que les physiciens appellent le « réglage fin » des paramètres fondamentaux. Rappelons que le Modèle standard de la Physique des particules utilise dix-neuf paramètres qu’à ce jour elle juge indépendants et que la Cosmologie en rajoute six de plus vérifiant cette même indépendance présumée. Ce chapitre serait plus convaincant s’il n’était émaillé de trop d’erreurs. On en trouvera le détail en Annexe 5.
Il est dommage que ces manques de rigueur gâchent une réflexion dont pourtant l’intérêt est très grand, car il est vrai que les valeurs de ces vingt-cinq constantes sont à ce jour inexpliquées. Certains pensent que des progrès ultérieurs pourront peut-être le faire ou du moins pourront réduire le nombre de paramètres indépendants : par exemple, dans le modèle géométrique de l’espace-temps riemannien, on peut espérer descendre à quatorze, mais il en resterait donc toujours à expliquer. L’autre possibilité est la théorie du Multivers évoquée dans le chapitre suivant.
Dans le chapitre 9, « Le multivers : théorie ou échappatoire », les auteurs évoquent la théorie qui prétend expliquer les réglages fins de notre Univers en supposant que le Réel est ce qu’on nomme habituellement par le néologisme Multivers signifiant une multitudes d’Univers disjoints causalement avec chacun ses propres lois physiques et ses valeurs des paramètres fondamentaux. Dans ce cadre, ce serait seulement par hasard que nous serions dans une des composantes de ce Multivers, que nous nommons Univers, et dont les paramètres ont des valeurs telles qu’elles ont permis notre apparition. Ils essaient de critiquer cette hypothèse alternative mais malheureusement, comme on l’a dit plus haut, le mécanisme dit « d’inflation » est utilisé par le modèle du Big-Bang. Cela est fait pour expliquer la grande homogénéité de l’Univers au moment de l’apparition du rayonnement de fond cosmologique (apparu environ 380000 ans après le Big-Bang) qui se manifeste par des fluctuations relatives de l’intensité de ce rayonnement d’une amplitude relative aussi faible que 1 sur 100000. Or ce mécanisme est celui qui conduit naturellement au Multivers.
Il se lancent alors dans une utilisation de résultats qui dans l’état présent de la Physique semblent montrer la nécessité d’un commencement même s’il y a un Multivers. On peut objecter que des progrès ultérieurs pourraient montrer qu’il n’en est pas ainsi, mais ils auraient pu aussi dire qu’on pourrait plus tard trouver un modèle de Big-Bang ne nécessitant pas l’inflation. Il est vraiment dommage qu’ils n’aient pas attaqué les partisans du Multivers en remarquant que ceux-ci font en évoquant d’autres univers par définition inobservables, ce qu’ils reprochent en général aux croyants : expliquer l’existence du Monde par un Dieu créateur qu’on n’observe pas davantage.
Le chapitre 10, « Premières conclusions … », fait le bilan des arguments qui ont pu être tirés des chapitres précédents concernant les faits tirés de la Physique et de la Cosmologie. Il n’y a rien à ajouter par rapport aux critiques faites sur les chapitres précédents.
Le chapitre 11. « Biologie : le saut vertigineux de l’inerte au vivant » est pour moi plus délicat à critiquer car je ne suis pas biologiste mais mathématicien, mais puisqu’il y est question de probabilités, je vais m’y essayer. Les auteurs évoquent en effet des calculs de probabilité montrant selon eux l’extrême improbabilité de l’apparition du premier être vivant à partir de la matière inerte. Ils en tirent (dernier paragraphe de la page 247) : « la nécessaire existence d’un dieu créateur ». Rappelons qu’avec les mêmes calculs de probabilité, Jacques Monod (09/02/1910 - 31/05/1976) en tirait en 1970 dans son ouvrage Le Hasard et la Nécessité la conclusion : « l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part », c’est-à-dire une idée diamétralement opposée. »
En fait la difficulté, lorsqu’on veut essayer d’utiliser la théorie mathématique des probabilités dans une argumentation, provient du fait que, surtout lorsque ces probabilités sont très petites, les résultats des calculs sont extrêmement sensibles au modèle de travail. Ainsi il est vrai que l’écart entre « l’inerte le plus complexe obtenu par expérience » (page 222) et « le vivant le plus simple » (page 225) tels qu’ils sont décrits par les auteurs est effectivement si gigantesque que la probabilité d’un passage spontané de l’un à l’autre est si faible que l’une des conclusions évoquées ci-dessus est nécessaire.
Mais, d’une part, la Nature a eu pour fabriquer l’inerte le plus complexe des centaines de millions d’années alors que les recherches expérimentales n’en ont eu que quelques dizaines et il semble naturel que la Nature ait donc fait bien mieux que ces derniers. D’autre part les premiers êtres vivants dont il ne reste aucune trace aujourd’hui ont pu être à l’inverse incomparablement plus simples que le plus rudimentaire des êtres vivants actuels. Il est évident que si de tels êtres apparaissaient aujourd’hui on n’aurait pas le temps de les observer car ils serviraient immédiatement de nourriture aux êtres bien plus efficaces qui existent maintenant : on sait qu’il n’y a pas (ou mieux il n’y a plus) de génération spontanée. Du coup le saut à franchir étant bien plus faible, même si sa probabilité reste très petite à chaque instant, peut se réaliser spontanément si on lui donne des millions d’années pour le faire. Ceci rend non concluante l’argumentation des auteurs.
Le chapitre 12, « Ce qu’en disent les grands savants… », rapporte cent prises de position personnelles de scientifiques qui rejoignent plus ou moins les vues des auteurs. Mais l’argument d’autorité ne constituant en aucun cas une preuve pour un scientifique, je n’en dirai pas davantage.
Le chapitre13, « En quoi croient les savants ? » ,comme les chapitres 14, « En quoi croyait Einstein ? », et 15, « En quoi croyait Gödel », sont du même type que le chapitre 12. Tout au plus peut-on signaler que le logicien et mathématicien Kurt Gödel né autrichien puis naturalisé américain (28/04/1906 - 14/01/1976), plus connu pour ses théorèmes « d’incomplétude » publiés en 1931, a rédigé deux ans avant sa mort une « preuve ontologique de l’existence de Dieu » dont la validité a été vérifiée en août 2013 dans le cadre de « la logique modale supérieure ». Mais là encore pourquoi cette logique plutôt qu’une autre serait-elle la bonne pour prouver l’existence de Dieu ?
Les preuves hors Science
Du seizième au vingt-troisième chapitre, il est question des « Preuves hors Science ».
Ainsi le chapitre 16, « Les vérités humainement inatteignables de la Bible », les auteurs dressent, après avoir proposé une définition de ce qu’ils appellent une vérité humainement inatteignable, une liste de 10 « connaissances » qu’avaient les Hébreux grâce à la Bible, car d’après eux ils ne pouvaient les avoir acquises autrement étant donné leur faible niveau de développement comparé à celui de leurs voisins, ce qui aurait dû les amener à adopter leurs croyances erronées. Je laisse aux historiens le soin de vérifier si ces affirmations ont quelque fondement.
Puis le chapitre 17, « Les ‘erreurs’ de la Bible qui en réalité n’en sont pas », les auteurs développent la thèse à laquelle je n’ai rien à reprocher que pour chaque texte de la Bible qui semble contenir une erreur si on le lit en le comprenant littéralement, il y a une lecture possible qui lui redonne son vrai sens souvent de nature théologique.
Ensuite, le chapitre 18, « Qui peut être Jésus ? », après avoir examiné successivement six hypothèses qu’ils réfutent, les auteurs concluent « C’est le Messie et Dieu fait homme ». C’est bien ce que nous dit notre foi au Christ, mais l’ont-ils vraiment prouvé ?
Plus tard, dans le chapitre 19, « Le peuple juif : un destin au-delà de l’improbable », les auteurs semblent tirer du fait que le peuple juif malgré tout ce qu’il a vécu de tragédies au cours de son histoire, survive, ait pu retrouver un État, … doit provenir d’une « élection » particulière ce qui indirectement prouverait l’existence de Dieu. Là encore je laisse aux historiens l’éventuelle critique de cette argumentation.
Enfin le chapitre 20, « Fatima : illusion, supercherie ou miracle » les auteurs disent que ce qui a été constaté par de très nombreux témoins qui regardaient le ciel le 15 octobre 1917 à Fatima, et qui avait été annoncé à l’avance, est un miracle « prouvant » l’existence de Dieu. Ce qui est dommage c’est que les photographies relatives à ce jour-là qui sont reproduites dans l’ouvrage montrent les spectateurs et non le ciel lui-même.
Le chapitre 21, « Tout est-il permis ? » prétend tirer de la conscience morale supposée être présente en chaque être humain une preuve que Dieu existe. C’est là aux psychologues et aux anthropologues de dire ce qu’ils pensent de ce raisonnement.
Le chapitre 22, « Les preuves philosophiques contre-attaquent » reprend les « preuves » philosophiques classiques dont n’étant pas philosophe, je ne suis pas compétent pour en estimer leur niveau de valeur.
Le chapitre 23, « Les raisons de croire à l’inexistence de Dieu selon les matérialistes » tente une réfutation des idées matérialistes, mais comme, à mon sens, on ne peut pas plus au sens scientifique de la notion de preuve prouver l’inexistence de Dieu que son existence, je dirai que ce n’est pas parce que des adversaires disent des choses inexactes que cela rend ce que nous disons plus exact.
Le vingt-quatrième chapitre sert de conclusion à l’ouvrage en affirmant : « Le matérialisme : une croyance irrationnelle ». Il reprend ce qui a été écrit jusque-là sans véritablement une nouvelle argumentation. Il convient donc maintenant de faire un bilan global de l’ouvrage, ce que je vais essayer de faire.
Conclusion
Si le but de ce livre était d’être lu et relu par des scientifiques pour éventuellement en faire la critique, on peut dire que ce but a été atteint. En effet une seule lecture « superficielle » au fil des pages ne permet pas de voir directement toutes les imperfections de l’ouvrage et je dois reconnaître que c’est pour préparer cet article qu’après avoir lu le livre cet été, je l’ai relu beaucoup plus attentivement et c’est là que j’ai pu y repérer les quelques erreurs que j’ai signalées.
Si l’intention était de fournir à des chrétiens certes cultivés mais de formation non scientifique des informations montrant que, contrairement à ce qu’affirment certains scientifiques athées ou agnostiques qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie professionnelle ou ailleurs, il n’y a aucune incompatibilité entre la Science et la Foi ; ceci, bien sûr pour peu qu’on ne se limite pas à une lecture littéraliste de la Bible et qu’on sache lire avec une compréhension moderne les textes du Magistère.
Mais si ce que cherchait à faire cet ouvrage c’était de donner à des scientifiques chrétiens un argumentaire face à d’autres scientifiques ne partageant pas leur Foi, afin de convaincre ceux-ci que, contrairement à ce qu’ils pensent souvent, la Science peut et même doit mener vers la croyance en un Dieu créateur et ordonnateur du Monde, alors c’est clairement un échec. En effet face à des scientifiques qui connaissent les résultats réels de la recherche scientifique actuelle et pas seulement des descriptions approchées telles qu’en donne la vulgarisation, je pense que beaucoup d’arguments de l’ouvrage, à cause de leur imprécision voire parfois de leur inexactitude, seraient tournés par ceux-ci en ridicule. Et c’est pour cela que malgré certaines qualités que je lui reconnais, cet ouvrage m’a déçu. J’espère que l’exposé des critiques que j’ai pu en faire et qui sont développées dans l’annexe convaincront les lecteurs de bien-fondé de cette opinion.
Annexes
1. En fait on considère d’une part l’écart entre la valeur observée du fait nouveau et la prédiction de la théorie à tester, et d’autre part la précision des mesures. C’est la valeur du rapport entre ces deux quantités qui est comparée à un certain nombre : s’il est plus grand que ce nombre on considère qu’il est prouvé que la théorie existante est mise en défaut. Mais le nombre qui sert pour la comparaison n’est pas le même dans les diverses sciences : généralement c’est 5 en Physique, 3 en Chimie, 2 en Biologie…
2. En effet depuis les travaux de la mathématicienne allemande Emmy Noether (23/03/1882 - 14/04/1935) spécialiste d’Algèbre et de Physique théorique, on sait par les théorèmes qu’elle a démontrés que l’invariance des lois de la Physique par certaines opérations sont indissociables des lois de conservation qui leurs sont associées (Énergie, Impulsion et Moment cinétique). Or ces invariances (indépendance des lois de la Physique des choix arbitraires faits par les physiciens et qui sont d’une part les points d’origine choisis pour mesurer les durées ou les déplacements et d’autre part l’orientation des axes des repères spatiaux) sont des conditions nécessaires pour qu’une Science physique soit possible.
Dès lors on peut énoncer : si la Physique est possible, alors les lois de conservations précédentes ont un caractère absolu. Ceci signifie que si une observation ou une expérience mettait l’une de ces lois de conservation en défaut ce serait la fin inexorable de tout espoir d’existence de la Physique en tant que Science. Avec optimisme je dirais que cela me semble très improbable.
D’ailleurs les équations de la théorie einsteinienne de la Gravitation partent de l’hypothèse que ces lois de conservation sont vraies. Or l’application de cette théorie à la Cosmologie conduit pour certains modèles d’Univers à la violation de ces lois de conservation. Mais cette apparente contradiction ne provient ici ni d’une erreur dans les équations, ni d’une découverte révolutionnaire de l’expérimentation mais simplement du fait que ces équations étant extrêmement compliquées, on fait souvent pour tenter de les résoudre des simplifications ou approximations qui sont la cause des contradictions constatées.
3. Rappelons brièvement les principes de la Thermodynamique :
Principe 0 : deux corps en équilibre thermique l’un par rapport à l’autre sont à la même température.
Principe 1 : l’énergie interne d’un système physique isolé se conserve absolument.
Principe 2 (Clausius) : l’entropie d’un système physique isolé ne peut qu’augmenter au cours du temps.
Principe 3 (Nernst) : l’entropie de tous les corps tend vers zéro quand leur température tend vers le zéro absolu.
Ces principes, qui sont tenus pour vrais par tous les physiciens dans le cas des systèmes physiques finis, posent, ce que semblent ignorer les auteurs, un problème de cohérence quand on les applique à l’Univers tout entier dont on ne sait pas s’il est fini ou infini.
En effet s’il est infini (ce qu’on ne pourra jamais prouver, puisque de toute façon on ne connaîtra toujours qu’une partie finie de l’Univers), puisqu’ayant toujours été baigné, comme il l’est aujourd’hui, dans le rayonnement de fond cosmologique, il n’a jamais été à température nulle et donc son entropie a toujours été infinie. Donc le fait qu’on ajoute ou que l’on soustraie une quantité finie ou infinie à une quantité déjà infinie ne changera rien à son caractère infini. Il en est de même que l’on aille vers l’avenir ou que l’on remonte vers le passé.
Si au contraire, il est fini le principe 2 dit que son entropie qui est finie ne peut qu’augmenter, alors que les modèles d’Univers en « expansion », conformes aux observations, indiquent que la température de l’Univers (et donc de ses constituants) décroit et tend vers zéro ce qui signifie que l’entropie de chaque constituant de l’Univers tend vers zéro et donc aussi celle de l’Univers entier. Il y a là pour l’avenir de l’Univers une contradiction logique car en Mathématiques une quantité positive ne peut à la fois croître et tendre vers zéro. Par contre, si l’on remonte vers le passé, on peut remarquer qu’une quantité peut croître depuis un temps infini et garder une valeur totale finie : on peut citer comme exemple la fonction exponentielle qui est toujours strictement croissante et ceci depuis « moins l’infini » et qui pourtant prend la valeur finie 1 pour la valeur 0 de la variable.
On peut rappeler que les Mathématiques, par exemple, contiennent de nombreuses situations où de telles apparentes contradictions proviennent simplement de l’erreur commise en appliquant un raisonnement ou un résultat toujours valable dans le cas fini dans une situation où l’on n’est justement pas dans un tel cas. C’est une erreur de ce type qui a longtemps empêché les mathématiciens d’aborder correctement le problème de l’infini. Il a fallu le génie de Georg Cantor (03/03/1845 - 06/01/1918), créateur de la théorie des ensembles, pour comprendre par exemple que la correspondance bijective des nombres cardinaux et ordinaux (un-premier, deux-deuxième, trois-troisième, …) toujours vraie dans le cas fini ne s’étend pas si les ensembles considérés sont infinis.
4. Le physicien allemand Max Planck (23/04/1858 - 04/10/1947) fut le premier à introduire dans la Physique la notion de quantum sous la forme de ce qu’on appelle aujourd’hui en son honneur la constante de Planck lors de la présentation à la Société physique de Berlin, le 14 décembre 1900, de ses travaux sur la loi de répartition spectrale du rayonnement thermique du « corps noir ». À l’aide de constantes fondamentales de la Physique que sont la vitesse de la lumière dans le vide, la constante de la gravitation newtonienne et la constante de Planck « réduite » (c’est dire divisée par deux fois la valeur de ) il a pu construire trois unités de mesures universelles qui sont la masse, la longueur et le temps dits de Planck. La valeur du temps de Planck est extraordinairement petite mais on admet en général qu’on ne peut pas remonter vers l’instant zéro plus tôt que cette durée, car elle semble correspondre au moment où une théorie conciliant les modèles de la Théorie quantique avec le principe de Relativité générale apparaît nécessaire.
5. Passons sur les « coquilles » comme celle de la page 173 où dans l’expression de la constante de gravitation, il manque le signe – dans l’exposant ou encore pour la constante de Planck (page 174) où les derniers chiffres significatifs devraient être 15 et non 040. Parfois certains chiffres terminaux sont oubliés par exemple 2369 pour la masse du proton ou pour celle de l’électron pas à jour : les chiffres terminaux devraient être 7015 et non 56. Remarquons aussi qu’aucune indication précise de leur intensité n’est donnée ni pour « l’interaction forte » ni pour « l’interaction faible ».
Plus sérieuses si l’on est comme les auteurs férus de précision, sont les erreurs du haut de la page 175. Dans la masse et la longueur de Planck ils rajoutent après les 7 premiers chiffres significatifs corrects les chiffres 1 puis 8 pour la première et 2 puis 4 pour la deuxième de ces quantités, alors que 18 et 24 sont les incertitudes respectives dans chaque cas à un écart standard sur les deux derniers des 7 chiffres qu’on vient d’évoquer. Cette confusion entre valeur et incertitude est grave comme on le verra plus loin. Pour le temps de Planck (qui est le quotient de la longueur de Planck par la vitesse de la lumière) ils oublient tout simplement d’indiquer les chiffres significatifs sans parler de l’incertitude.
Beaucoup plus grave car cela détruit en partie leur argumentation, après avoir rappelé la valeur, cette fois-ci correcte, de la constante de gravitation, ils prétendent que toute vie serait impossible s’il y avait eu un écart d’une unité sur les derniers chiffres significatifs (429 ou 431 au lieu de 430). Or les données actuelles (« Particle Data Group 2022 ») indiquent que l’écart standard pour cette constante est 15. Si l’on se souvient de ce qui a été plus haut à propos de la notion de preuve en Physique (le coefficient 5), cela signifie que les Physiciens ne considèreraient qu’il y a un changement significatif nécessitant de revoir le modèle que pour un écart de 75 (soit pour les trois derniers chiffres en dessous de 355 ou au-dessus de 505, pour une valeur indiquée de 430).
Jean Palesi
(1) MicheYves Bolloré et Olivier Bonnassies, Dieu, la Science et les preuves. L'aube d'une évolution, Paris, éd. Tresaniel-La Maisnie, 2021.