Avent 2022
Encore un texte d'introduction à l'Avent ? Comme on dit dans la presse, c'est un fameux marronnier ! N'y-a-t-il pas une certaine lassitude avec cet "éternel recommencement" lié à l'année liturgique ? Notre vie chrétienne tournerait -elle donc en rond, finalement sans espérance, chaque année ça recommence ! Après la suite interminable des "dimanches du temps ordinaire", autrefois dits "dimanches après la Pentecôte", n'éprouvons-nous pas un certain endormissement qu'il serait temps de réveiller ? De l'Avent à la Pentecôte les fêtes ne manquent pas qui nous appellent à renouveler notre foi, mais après c'est le calme plat, avec une petite pointe pour l'Assomption, en pleine canicule et au milieu des vacances...Ou alors l'Avent annoncerait-il pour chacun de nous un vrai renouveau, l'irruption de Dieu dans nos vies?
Pour méditer sur l'Avent, revenons au Prologue de l'évangile de Jean : un événement risque d'advenir. Annonce du Verbe, la Parole, par qui tout est "advenu" (terme exact utilisé par Jean)*. Continuons : est "advenu" un homme, Jean le Baptiste. Il annonce la Lumière par laquelle le monde est "advenu". Ceux qui reçoivent la Lumière peuvent "advenir" enfants de Dieu. La Parole est "advenue" chair. Et enfin "la Grâce et la Vérité sont“advenues” par Jésus-Christ" (qui est la Vérité). Ainsi Jean l'évangéliste annonce un avènement qui est le cœur de son évangile. Tout est dit, la suite sera l'illustration de cet événement advenu. Le temps de l'Avent (du verbe latin "advenire", "advenir") nous propose (avec insistance) de recevoir cet événement, de nous y ouvrir.
Parcourons cet évangile de Jean. Curieusement Jésus ne nous demande aucune action, même pas celle de nous convertir. Se convertir consiste à se retourner vers notre passé pour lui donner une direction différente dans le futur. Dans ce quatrième évangile, le Baptiste demande : "aplanissez le chemin du Seigneur", c'est surtout Mathieu qui insiste sur la conversion, Marc et Luc parlent bien de repentir, mais pour avancer. "Aplanissez le chemin du Seigneur" résonne comme un appel à se mettre en route pour aller de l'avant avec lui. Jésus, lui, se contente de nous appeler à renaître de l'eau et de l'Esprit :"Personne, à moins de naître de l'eau et de l'Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des Cieux" (Jn 3, 5). Il nous appelle à nous projeter, à nous ouvrir à ce qui peut advenir. Il ne s'appesantit pas sur nos lourdeurs, nos renoncements, il veut nous tirer vers le Royaume. En termes théologiques, on pourrait dire que c'est l'avenir eschatologique qu'il nous ouvre, qui doit nous orienter. Jésus ne condamne ni la Samaritaine aux cinq maris, ni la femme adultère. A la première il annonce que "l'heure arrive, - déjà même elle est là! - où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité" (Jn 4, 23) (rappelons encore que c'est lui la Vérité), et à la seconde "moi non plus, je ne te condamne pas. Va; désormais ne pèche plus" (Jn 8, 11). C'est une injonction pour avancer, le passé est derrière elle. On retrouve dans l'évangile de Luc cette même disposition de Jésus. La parabole du fis prodigue est de la même veine, si le fils fait retour sur lui-même, son père n'y revient pas, il l'appelle à la joie, c'est tout. Même chose avec Zachée, car "le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19, 10), c'est à "ce qui était perdu" que le Fils est venu annoncer l'événement du don de la Vie. La Bonne Nouvelle s'adresse à tous.
Tant par ses miracles que par ses gestes symboliques, Jésus annonce l'événement inouï : le Père m'a envoyé pour donner la Vie, qui est la Vie de Dieu. Le Royaume de Dieu est alors parmi nous. Dans sa réponse aux disciples de Jean-Baptiste, Jésus donne les signes annonciateurs de l'advenue du Royaume qui éclairent le sens de ses miracles : "les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres" (Mt 11, 5 et Lc 8, 22), en référence à Isaïe en (Is 35, 5-6). Et ses colères, contre les marchands du Temple ou contre ses adversaires, scribes, pharisiens, sadducéens, sont toujours signes d'une révolte contre ceux qui ne veulent pas s'ouvrir à cet événement, qui s'enferment dans leur sécurité, matérielle, intellectuelle, spirituelle : "vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la Vie!" (Jn 5, 40).
Tout au long des liturgies dominicales de ce temps, nous serons appelés à nous ouvrir à cet événement : l'irruption du Seigneur dans nos vies. Il y a urgence, c'est maintenant que cela se passe : "L'heure est venue désormais de sortir de votre sommeil. Maintenant en effet le salut est plus près de nous...Rejetons donc les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière" (Rm 13, 11-12). Remarquons que Paul, lui, demande la conversion (il y a à rejeter, mais c'est surtout pour revêtir les armes de lumière). Jésus a annoncé l'événement fondamental, Paul se préoccupe des moyens à mettre en œuvre pour l'accueillir. Sa pensée est marquée par la conversion, la césure entre l'avant et l'après.
Et nous ? Qu'attendons-nous, qui attendons-nous? "Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?" (Mt 11, 3). La réponse de Jésus en (Mt 11 ,5) citée ci-dessus est-elle satisfaisante, où cherchons-nous en fait autre chose, une tranquillité dans la vie, un confort sécurisant de notre religion (comme jadis le "je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver")? A quelle vie sommes-nous appelés ? Pour Paul, obsédé par le besoin de conversion, la chose est claire, nous sommes appelés à être saints, c'est-à-dire à vivre de la Vie de Dieu :
"Pour que son nom soit reconnu, nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre, afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes, dont vous faites partie, vous aussi que Jésus Christ a appelés. À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ" ( Rm 1, 5-7).
Nous aurons par la suite l'occasion de méditer sur le mystère de l'Incarnation, de Noël, puis sur les autres mystères. Mais que l'approche de Noël n'occulte pas la première question posée dans le terme même d'Avent : accueillons-nous l'événement annoncé ? Sommes-nous ouverts à cette réception ? Qui (et que?) attendonAvent 2022s-nous?
Marc Durand
* Le verbe grec utilisé est différent des verbes "paraître", "venir" ou "devenir" utilisés par les traducteurs pour alléger le texte, mais avec perte de sens. Ces verbes aussi sont utilisés dans le texte, mais là il s'agit de "égeneto" ("ἐγένετο" pour les hellénisants : 3ème personne de l'aoriste moyen) : verbe avec un sens réfléchi et de forme perfective, action accomplie.