Vatican II. Un concile motivé par le déclin qui le précédait… (et non l’inverse) !

Publié le par Garrigues et Sentiers

Le 11 octobre 1962 s'ouvrait le concile Vatican II. Pour célébrer cet anniversaire passé inaperçu dans la grande presse, nous empruntons au site ami Saint-Merry-hors-les-Murs cet article qui montre l'inanité de critiques souvent faites contre Vatican II. 
                                                                         G & S
                                                                

La situation des prêtres comme leur situation vis-à-vis des laïcs a fait l’objet d’une analyse par Nicolas de Brémond d’Ars, prêtre et sociologue, dans une tribune de La Croix du 22 juillet 2022. « “C’est à cause du concile Vatican II ” que nous sommes dans cette situation, me susurre-t-on çà et là », écrit-il. « Oui, mais cela fait maintenant plus de vingt ans que je me bats à la fois pour maintenir la dynamique conciliaire originelle et démentir mes détracteurs. Deux fronts qui poussent à l’épuisement. Bientôt trente ans, c’est-à-dire une génération. Plus exactement, cela fait une génération que le concile Vatican II est soupçonné… mais qu’a-t-on construit en face ? Je n’en vois pas les fruits… ».

Le déclin de l’Église a-t-il précédé le concile Vatican II ou l’a-t-il suivi ? 

L’analyse des données dont nous disposons permet de répondre sans a priori à la question.


Certains pensent que la chute vient de ce que ce concile est allé trop loin dans l’ouverture au monde et aux autres religions, dans l’introduction de liturgies plus en accord avec l’esprit du temps. On peut débattre sur le fond en effet, mais les chiffres montrent que la désaffection des fidèles et la chute du nombre de prêtres avaient commencé depuis longtemps.

 Si on ne connaît pas facilement les chiffres pour les laïcs (encore que les recherches sociologiques sur la catégorie des « pratiquants » ne permettent pas de douter de l’ampleur de l’exode), il est plus facile de compter les prêtres. Nombre d’entre eux ont quitté la prêtrise au retour de la guerre de 40, et l’Église d’alors a tu discrètement les chiffres. Mais voici un tableau clair et significatif sur le nombre d’entrées dans les séminaires en France et leur évolution entre 1942 et 2012, présenté par Marcel Launay. (1)

Vatican II. Un concile motivé par le déclin qui le précédait… (et non l’inverse) !

Comme on le voit, la chute date d’avant le Concile, mais détaillons le tableau en le corrélant à l’histoire de Vatican II.

Jean XXIII, seulement cinq jours après son élection du 28 octobre 1958, a émis en privé l’idée d’un concile, ce qui témoigne d’un long discernement antérieur : d’après son Journal et de multiples sources, ses premiers soucis étaient l’aggiornamento, l’ouverture au monde, et la « médecine de la miséricorde » en matière de morale. Après une phase de consultation, il a annoncé en janvier 1959 ce concile oecuménique et l’a ouvert en octobre 1962. Dans son discours inaugural (2) il plaidait pour y « utiliser les remèdes de la miséricorde plutôt que les armes de la sévérité » et insistait sur son « caractère surtout pastoral »dans le but de revitaliser ainsi l’Eglise.

Sur le tableau, on voit que la simple perspective du concile et l’espoir des réformes ont ralenti la chute jusqu’en 1963 et que la courbe s’inverse même aux années 1964-1965. Parallèlement à cet accroissement, on sait que la pratique religieuse a augmenté en France et qu’il en fut de même aux USA, Espagne, Allemagne, Hollande, France, Grande-Bretagne, Italie. En effet, même si les discussions lors du concile étaient souvent ardentes, les résultats se voulaient consensuels, et même si, comme de juste, Jean XXIII n’intervenait pas, ses opinions étaient connues, faisant naître beaucoup d’espoir…. Espoir qui s’est traduit en actes, d’où par exemple ces résultats visibles (sans en évoquer d’autres ici, chiffrables ou non).

Le décès de Jean XXIII au milieu du gué, en 1963, change la donne. Certes, sous Paul VI, la réflexion continue mais les tensions s’exacerbent, conduisant parfois, faute de consensus, à l’abandon de certains sujets, le plus souvent les plus ouverts au monde. Certes, on vote et on promulgue des documents importants (Lumen Gentium en 1964, Gaudium et Spes, Dignitatis Humanae et Nostra Aetate en 1965), mais un bon nombre de fidèles n’est pas forcément intéressé par des éclairages théologiques complexes ou n’en subodore pas les fruits éventuels. Certes, il y a des changements liturgiques bien visibles, mais par contre tous, catholiques ou non, constatent progressivement la mise de côté ou la reprise sur un mode moins ouvert de pans entiers du concile, l’absence des décrets d’application et de formation ad hoc dans les seminaires. Surtout, beaucoup en mesurent bien plus vite les conséquences concrètes dans les détails de la vie quotidienne. Tout cela cause une déception croissante et l’élan retombe dès 1966 et 1967.

Humanae Vitae (25 juillet 1968) est un choc qui rend manifeste à tous que la flamme de Vatican II a vacillé. La chute s’accélère alors pour retrouver en quelques années le niveau prévisible : comme si le concile n’avait pas existé. La descente reprend exactement le rythme d’avant le concile jusqu’en 1975. Quelques frémissements ensuite, mais cette courbe baissière se poursuit actuellement. En effet, si on soustrait du tableau ci-dessus les prêtres d’origine étrangère, on serait sur une ligne théorique d’exténuation. Même constat dans des études plus larges qui concernent les « fidèles », si on prend des populations comparables (3) : leur niveau pourrait donner l’illusion d’être quasiment stable, mais ce serait une fois atteint un niveau « plancher ».  

Et aujourd’hui ? 

Actuellement, tout le monde sait que le nombre de fidèles a chuté drastiquement et que le nombre de prêtres est déjà insuffisant, et le deviendra encore plus. Et ceci d’autant plus qu’il faudrait également, pour être exact, corréler le nombre de prêtres non seulement avec le nombre d’habitants, mais aussi avec le nombre de « fidèles » par rapport aux habitants, le nombre de curés de paroisse, le nombre de prêtres qui viennent d’ailleurs, etc.

Une augmentation du nombre de clercs, même en y ajoutant les femmes ou en répartissant autrement les tâches des prêtres, ne serait d’ailleurs pas la panacée, car l’objectif n’est pas de « sauver le soldat Église » ni d’augmenter le nombre de prêtres.  En effet, ceux et celles qui quittent une Église-institution jugée dépassée, la quittent souvent avec l’Évangile au cœur… pour aller se mêler, en serviteurs et ministres, à un univers qui s’est imprégné plus qu’on ne le croit des valeurs de la Bonne Nouvelle, un univers fraternel de baptisés ou non, enfants d’un même Père…

Jean XXIII, ayant réfléchi avant même d’être élu pape, aux causes de la chute du nombre de prêtres et du déclin du nombre des fidèles, avait discerné les besoins que cela reflétait et dès qu’il en eut la possibilité, organisa en réponse un concile avec un angle de vue ni crispé ni fermé. De nos jours, 70 ans après, les besoins de notre monde et des catholiques sont devenus plus aigus et les crises actuelles font ressortir encore mieux la justesse des analyses et des propositions qui avaient été faites. Bien des aspects correspondent tellement à nos besoins criants actuels que nous pouvons les mettre au présent. 

Des diagnostics, des ressources

Le diagnostic de Jean XXIII concluait à la nécessité de réformes (voir ci-dessus ). Selon nous, les décalages irrationnels de l’Église avec le monde provoquent un differentiel qui s’accentue entre le monde et l’Église du fait de sa propre attitude, quand elle est excluante et en surplomb. La balance penche de plus en plus. Or il ne devrait pas y avoir ce genre de faille entre le monde et l’Eglise. 

Il s’y ajoute ce qu’illustre le tableau ci-dessus : l’effondrement interne, cette “implosion” dont parle Nicolas de Brémond d’Ars. L’Église n’avait pas, n’a plus, à diriger le monde, à s’y opposer, à y résister, ni à s’y adapter : mais, comme elle fait partie du monde, elle doit vivre ouvertement ce monde à la lumière de la Bonne Nouvelle.
Transposée aujourd’hui, une préoccupation pastorale plutôt que doctrinale ou dogmatique, implique que la théologie de type scolastique et les références à des textes ecclésiaux doivent être complétés bien davantage par des références puisées à l’Évangile apportant son écoute des cris du monde.

À cet égard, la Tradition n’est plus une référence suffisante ni même satisfaisante, ni rationnellement ni spirituellement. Comprendre l’esprit qui animait alors l’Évangile et l’Écriture quand ils ont été conçus et mis par écrit, permet d’en tirer des significations qui sont autant d’arguments pour adapter les réflexions de l’Église aux problèmes actuels : en effet la « bonne surprise » est alors de constater que l’Évangile incite chacun, à sa place, à l’exercice d’une liberté exigeante, de bon sens et intelligente. Ce travail (4) intellectuel de qualité ne doit pas impressionner car il n’est qu’un auxiliaire, nécessaire pour certains seulement : il appuie humblement et efficacement ce qui est primordial (et pastoral), à savoir le simple bon sens des peuples, catholiques ou non, et le sensus fidei fidelium défini par Vatican II. (5) Pour moi, c’est à l’exemple de Jésus, qui rend grâce de ce qui est révélé aux simples et aux petits

Réforme, Concile et Synodalité 

Il était intéressant de relire à la lumière des événements récents que nous venons de vivre ces objectifs du Concile Vatican II car il est frappant de voir les ressemblances avec ce que François, notre pape actuel, essaie de promouvoir malgré de grandes difficultés internes : Fratelli Tutti, Querida Amazonia, Amoris Laetitia… Promouvoir moins d’Église institution pour plus d’Église ? Oui, et surtout pour plus de Royaume. La réforme devrait commencer par diagnostiquer les erreurs passées et écouter les besoins présents : si elle s’inspire de l’esprit de l’Évangile, elle ira sans doute dans une autre direction : moins de « sacré » et de hiérarchie, plus de liberté de conscience, inconditionnalité de l’accueil, service, humilité et fraternité…

Synode et concile, termes grec ou latin pour désigner initialement la même chose.
Plutôt qu’un Concile Vatican III ou un Concile Terre I, longs à mettre en place et plus ou moins centralisés, le Synode sur la Synodalité lancé par François semble bien poursuivre en réalité l’élan initial du chemin conciliaire de Vatican II, en y incluant encore plus encore les laics et le monde. Le fait que les demandes, exprimées avec confiance dans les contributions synodales, ont transmises avec sérieux à Rome par nos évêques, se traduira-t-il un jour en diverses ondes positives mais non chiffrables ?
Nous savons comment continuer : notre énergie viendra de nous laisser porter par l’esprit de la Bonne nouvelle, universel (6), intemporel et libérateur. 

Marguerite Rousselot

  1. Marcel Launay dans Les séminaires français aux XIXème et XXème siècles, Cerf, 2003, p. 115 sq.
  2. Jean XXIII, « Quarantième anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II : 11 octobre 1962 », Esprit & Vie, no 62,‎ octobre 2002 (lire en ligne [archive])
  3.  Le terme « fidèles » est décliné selon les besoins et les réalités, mais il est difficile de « mesurer » l’intime des personnes : au XVIIème s. quasiment tous les baptisés priaient tous les jours individuellement, recevaient les sacrements indiqués et proposés, allaient aux célébrations communautaires ; ensuite, on s’est limité a compter seulement les messalisants ( qui vont à la messe obligatoire : dimanche et fêtes ), puis on a distingué les cénalisants (qui communient), puis on a créé la catégorie des pascalisants, (qui faisaient leurs Pâques), puis on a dénombré les croyants pratiquant régulièrement ou occasionnellement,  puis les croyants non-pratiquants, puis les sympathisants… Ce sont des « biais » statistiques qui rendent difficile une appréciation juste de la situation et gênent pour mesurer les différences.
  4. Avec de grands mots : la méthode historico-critique est utilisée pour l’exégèse des textes. Cela aide à contextualiser l’Évangile pour comprendre l’esprit qui l’animait alors. La traduction est alors plus fidèle car elle donne leur sens d’alors aux textes : c’est ce qu’on appelle l’herméneutique. On dit que ce mot signifie interprétation mais ce terme est ambigu car on pourrait faire dire n’importe quoi aux textes.  Une herméneutique à la lumière de la méthode historico-critique, permet une transposition à notre époque, sérieuse scientifiquement.
  5. https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2016-2-page-167.htm
  6. Pour un Royaume de frères, baptisés ou non, fils d’un même Père.

Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/08/01/vatican-ii-un-concile-motive-par-le-declin-qui-le-precedait-et-non-linverse/

Publié dans Réflexions en chemin

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
« Pour un Royaume de frères, baptisés ou non, fils d’un même Père ».<br /> <br /> ‘’Fratelli Tutti’’, ‘’Querida Amazonia’’, ‘’Amoris Laetitia’’ : le latin éclaire la résurgence des mots-clés de l’évangile promus par le pape François et la convergence qui s’y manifeste avec l’inspiration et le cahier des charges du concile Vatican II.<br /> <br /> La très longue exténuation des espoirs mis dans le concile fait que cette résurgence s’ouvre sur un paysage qui, sur les enjeux spirituels et rationnels les plus décisifs, n’a plus rien de commun avec celui de 1962. Parce qu’aujourd’hui, au sein du composite sensus fidei fidelium, ont pris place de nouveaux acteurs que l’analyse du site Saint-Merry-hors-les-Murs situe comme « ceux et celles qui (ont) quitté une Église-institution jugée dépassée, (l’ont) quitté (…) pour aller se mêler (…) à un univers qui s’est imprégné plus qu’on ne le croit des valeurs de la Bonne Nouvelle, un univers fraternel de baptisés ou non, enfants d’un même Père ».<br /> <br /> Des acteurs qui ont pris beaucoup d’avance dans leur prospection d’un renouveau axé sur l’intellection de l’Évangile. Et que leur énergie voue à se montrer au moins aussi indociles que les réformateurs qui les ont précédés.<br /> <br /> Certains regarderont de toute leur défiance cette aile avancée qui a fait le choix de se ‘’laisser porter par l’esprit de la Bonne nouvelle, universel, intemporel et libérateur’’.<br /> <br /> Mais, en fin de compte, si une nouvelle Eglise se substitue à l’institution ecclésiale épuisée, une Eglise faisant ''partie du monde'', résolue à ''vivre ouvertement ce monde'' à la lumière des significations des Écritures ‘’quand elles ont été conçues et mises par écrit’’, son avènement ne passe-t-il pas nécessairement par le chemin de la foi qu’ils empruntent ?
Répondre