Fête de la Toussaint 2022
La sainteté est l'attribut de Dieu (ce n'est pas le sacré, qui marque notre frayeur devant l'inconnu, devant les forces qui pourraient nous détruire). Est saint celui qui vit de la vie de Dieu, qui est accueilli dans la Trinité. Jésus nous a promis la venue de l'Esprit en nous, qui nous fait fils du Père, cela nous permet d'espérer obtenir cette sainteté. C'est l'amour de Dieu pour les hommes qui peut la leur conférer, eux n'y sont pour rien, si ce n'est (et ce n'est pas rien) de recevoir cet amour donné.
Alors qui est saint? Ceux qui nous ont précédé, qui ont quitté notre monde et sont rentrés dans cette éternité; elle n'est pas un décompte de jours ou d'années, mais un absolu qui dépasse le temps. S'il est vrai que Dieu invite tout homme à entrer dans sa vie, on peut penser que nul, lors de son passage dans "l'autre monde", ne refuse cette invitation. Ainsi nous pouvons espérer que tous sont saints.
Quand l’Église veut canoniser une personne, la déclarer officiellement sainte, elle s'attache d'abord à démontrer "l'héroïcité" de ses vertus ! Seraient saints les hommes vertueux...le don de Dieu ne serait-il donc que pour eux? Et notre vertu nous permettrait donc d'exiger de Dieu de nous inviter à vivre de sa vie? Manifestement quelque chose ne fonctionne pas bien! L’Église serait bien inspirée de ne pas s'occuper de canoniser qui que ce soit, elle s'aventure sur un terrain sur lequel sa légitimité n'est pas évidente...Qu'elle veuille donner en exemple les plus vertueux d'entre nous, cela peut se concevoir, l'écoute de Jésus-Christ devant normalement nous inciter à une certaine vertu. Mais il serait probablement plus juste de ne pas lier cela à la sainteté, il y a là un mélange des genres qui occulte ce qui semble pourtant l'essentiel : l'appel à chacun de répondre à l'invitation de Dieu.
Quant à nous, vivants sur terre, nous ne sommes pas encore entièrement au sein de la vie trinitaire. Nous sommes en marche. Cela non pas parce qu'existe le péché, l'imperfection, mais simplement parce que nous sommes des créatures destinées à vivre complètement notre humanité avant qu'elle ne soit transformée, ressuscitée. Nous ne sommes pas des saints, mais en marche vers cette sainteté qui est le don du Père. Quand nous prions "donne-nous notre pain quotidien" nous demandons le don de l'amour du Père et nous reconnaissons en même temps que les biens dont nous jouissons sont aussi donnés par Lui. Nous sommes appelés à jouir des biens terrestres, à travailler pour construire un monde toujours plus humain, à vivre une vie authentique. Refuser les biens de ce monde n'a rien à voir avec l'enseignement du Christ. Nous sommes sous le regard de Dieu, il ne nous demande pas d'ignorer les biens d'ici-bas, ce qui serait refuser sa création. Nous vivons sur terre en sachant que ce monde passera, ce qui remet nos biens à leur place, mais "je ne te demande pas de les retirer du Monde" a dit Jésus. Notre temps sur terre est tendu par ce qui nous attend, notre futur n'est pas une répétition du passé ou une énigme indéchiffrable, la Résurrection de Jésus fonde notre espérance qui ne nous dit rien du monde à venir mais nous assure de la confiance que nous pouvons avoir.
Il en est parmi nous qui renoncent, volontairement, à user de la plupart de nos biens en vue du Royaume : il s'agit d'une vocation à témoigner de ce vers quoi nous tendons tous, il s'agit donc d'exception, peu d'entre nous y sont appelés, et ceux qui le sont ne peuvent pas plus que les autres être considérés comme saints.
Ainsi quand nous célébrons la Toussaint, nous affirmons notre foi en la Résurrection qui doit guider toute notre vie. Nous proclamons notre espérance : le monde ne s'arrête pas à ce que nous voyons, il est en marche vers la béatitude...y croyons-nous? Ne regardons pas nos vertus qui feraient de nous des saints, mais essayons de nous libérer de ce qui nous entrave pour nous mettre à l'écoute de l'Esprit et le recevoir. Tout tourne autour de la notion de vie.
" Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui 'hait' sa vie en ce monde la gardera pour la Vie éternelle" (Jn 12, 25)
Il s'agit de "haïr" au sens de se détacher, de ne pas se laisser engluer par la vie quotidienne qui est notre lot et plombe ce à quoi notre humanisation doit nous mener, une vie faite d'amour et de don. Cette vie-là est alors sur le chemin qui mène à la "Vie éternelle". L'Esprit veut vivre en nous dès maintenant, dans toutes nos situations humaines, il faut s'efforcer de se vider pour lui faire de la place et pouvoir l'entendre. Là est notre vocation. Là doit être notre vie. Quant à la sainteté à venir, la Vie de Dieu en nous, elle n'est pas de notre ressort, elle nous attend au bout de notre chemin. C'est la Vie de tous les saints que nous célébrons en ce jour.
Marc Durand