« Affaire Santier » : la procédure de nomination des évêques une nouvelle fois mise en question

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’évêque émérite de Créteil a été informé à l’automne 2021 de la sanction prise à son encontre par la Congrégation de la doctrine de la foi et invité à vivre désormais retiré « dans la prière et la pénitence ». Épilogue d’un procès canonique engagé à la suite de la plainte déposée en 2019 par deux hommes pour des « abus spirituels à des fins sexuelles » commis dans les années 1990, par l’abbé Michel Santier, alors Directeur, à Coutances (Manche) d’une école de formation et de discernement pour de jeunes majeurs de 18 à 30 ans. Au-delà de la stupéfaction, cette nouvelle « affaire » soulève nombre de questions dont celle de la procédure de désignation des évêques. 

L’enquête publiée vendredi 14 octobre sur le site de Famille Chrétienne a fait l’effet d’une déflagration. L’article est parfaitement documenté. Chacun peut théoriquement s’y reporter sur internet bien qu’il soit réservé aux seuls abonnés. « Les faits, rapporte le magazine, se sont déroulés dans les années 1990, dans le diocèse de Coutances où était incardiné Mgr Santier, alors prêtre. Directeur de l’École de la foi à Coutances, une école de formation à la prière d’une année pour les jeunes de 18 à 30 ans, Mgr Michel Santier a exercé une emprise psychospirituelle et usé de son ascendant sur deux jeunes hommes majeurs à des fins sexuelles. Circonstances aggravantes, ces faits ont été commis avec une instrumentalisation des sacrements, notamment celui de la confession. » 

« Si le juste se détourne de sa justice et commet le mal… » 

On apprend à la lecture de l’article que les victimes ne se sont fait connaître qu’en 2019, presque trente ans après les faits. Le 5 décembre de cette même année Mgr Michel Aupetit, alors archevêque de Paris et métropolite de la Province, transmettait le dossier à Rome. Les mesures disciplinaires prises par la Congrégation pour la doctrine de la foi ont été signifiées à Mgr Santier en octobre 2021. Elles lui demandent « de mener une vie de prière et de pénitence », en l’occurrence au sein d’un couvent de religieuses dont il assurera les fonctions d’aumônier. Ces informations ont été confirmées par Mgr Laurent Le Boulc’h, évêque de Coutances, chargé d’appliquer ces sanctions dans le diocèse où Mgr Michel Santier avait choisi de se retirer pour sa retraite.

J’avais eu connaissance il y a plus d’un an déjà – comme d’autres journalistes – des accusations portées contre Mgr Santier ainsi que de l’ouverture d’une procédure canonique. Début octobre 2022, la lecture du nouveau Trombinoscope de Golias, qui venait de paraître, les avait confirmées et en quelque sorte officialisées. La notice relative à l’actuel évêque de Créteil, Mgr Dominique Blanchet, contenait en p.297 l’essentiel des faits aujourd’hui portés à la connaissance du public. Dès lors il fallait bien se douter que la presse ne tarderait pas à s’emparer du dossier. J’en avais discrètement informé quelques ami.e.s proches du diocèse de Créteil auquel j’appartiens.

Les deux victimes, désormais reconnues comme telles par l’Église, ont droit à notre compassion et à notre soutien au travers des dispositifs de reconnaissance et de réparation mis courageusement en place par la Conférence des évêques de France et la Corref, suite à la publication du rapport de la Ciase il y a tout juste un an. Nous devons respecter, autant que faire se peut, le désir exprimé par ces deux hommes de rester dans l’anonymat et de ne pas voir les médias se répandre sur ce qu’ils ont vécu. 

Mgr Santier a été mon évêque. En divers lieux et circonstances – secrétariat général du synode diocésain, conseil de la communication… – j’ai bénéficié de sa confiance. Il avait la mienne. Ce n’est pas si fréquent et je lui en sais gré. Aujourd’hui j’entends avec une autre acuité l’avertissement du prophète Ezechiel : « Si le juste se détourne de sa justice et commet le mal (…), on ne se souviendra plus de toute la justice qu’il a pratiquée » (Ez. 18,24). 

Sortir du secret des procédures canoniques est devenu une nécessité 

Depuis la sortie de l’article de Famille Chrétienne et sa reprise dans les médias, je lis sur les réseaux sociaux l’expression de l’incompréhension, de la stupéfaction, de la colère, de l’exaspération et, pour certains, d’une souffrance difficile à contenir. Je les comprends, je les respecte, je les partage. Même si je me souviens que les mêmes, parfois, ont pu avoir des paroles d’une grande violence vis-à-vis de tous ceux qui, depuis des années, dénonçaient des faits dont ils avaient connaissance, possiblement désastreux pour l’Église comme on le vérifie aujourd’hui. En 1949 Albert Camus écrivait dans ses carnets, dans un tout autre contexte : « On ne dit pas le quart de ce que l’on sait, sinon tout croulerait. Le peu qu’on dit et les voilà qui hurlent. » Le propos est plus que jamais d’actualité ! 

J’ai une pensée pour les victimes. Toutes les victimes : les deux dont il est ici question et les autres dont certaines restent parfois exclues des dispositifs officiels prévus par les autorités religieuses, parce qu’elles ne rentrent pas exactement dans les cases définies qui exigent l’existence d’agressions de nature sexuelle. Alors qu’on peut avoir été pareillement détruit par des abus spirituels ou de pouvoir. J’ai une pensée pour Mgr Santier, pour toutes celles et ceux, prêtres et diacres, laïcs-laïques, religieux-religieuses qui l’ont connu et sont aujourd’hui ébranlés par ces révélations. Certains pourront trouver injuste que l’image d’un homme se trouve à jamais ternie par l’évocation publique d’actes certes condamnables, mais auxquels on ne saurait le réduire. Sans doute faut-il lire sous cet éclairage le twitt malheureux de Mgr Michel Aupetit en date du 15 octobre :

« Affaire Santier » : la procédure de nomination des évêques une nouvelle fois mise en question

Car, quoi qu’il en pense, les victimes ont le droit que ce qu’elles ont vécu soit dit, reconnu ; que les sanctions prises contre leur agresseur, aujourd’hui encore enfermées dans le secret des tribunaux ecclésiastiques, viennent confirmer publiquement leur statut de victimes. Il y a là, sans doute aucun, une exigence de justice, un passage obligé de leur propre droit à réparation.

Si l’Église qui « appelle » est réellement le peuple de Dieu, alors il faut associer les fidèles à la désignation des évêques 

Une autre question est soulevée par l’épilogue de cette affaire comme par d’autres qui l’ont précédée : celle des modalités de nomination des évêques. Car enfin, si chacun peut avoir ses faiblesses, nul n’est obligé de briguer ou d’accepter des postes de responsabilité au sein d’institutions qui pourraient avoir à souffrir de son inconduite passée. Sauf à considérer que la grâce sacramentelle suffira… Il y a là, d’évidence, un manque de discernement à la fois personnel et institutionnel.

On connaît, à propos du mariage, la phrase popularisée par le cinéma hollywoodien : « Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais ! » Une disposition dont l’Église devrait s’inspirer. Il y a vingt ans, c’est la nomination d’un autre évêque qui avait décidé sa victime présumée à porter plainte. On peut imaginer que si les deux victimes de celui qui était alors « l’abbé Santier » avaient eu connaissance de sa possible promotion épiscopale, ils se seraient manifestés plus tôt. Et lui auraient évité l’opprobre et l’humiliation qui s’abattent aujourd’hui sur lui au point de gommer tout ce qu’il a pu réaliser de bon par ailleurs.

J’entends bien que les choses ne sont pas simples. Mais le problème est réel. Après tout, pour nombre de postes importants de la société civile, qu’il s’agisse de dirigeants ou d’élus, on connaît bien souvent la liste des « pressentis » ou des candidats en présence. Pourquoi n’en serait-il pas de même dans l’Église ? On m’objectera qu’ici nul n’est candidat à quelque ministère que ce soit, à plus forte raison s’il s’agit de l’épiscopat. C’est l’Église qui appelle et nomme « dans sa grande sagesse ». Avec les erreurs possibles que l’on voit s’accumuler. Si l’Église est vraiment « peuple de Dieu » comme l’enseigne le Concile Vatican II, ne pourrait-on imaginer qu’en amont de toute nomination les fidèles soient consultés, puis informés du contenu de la « terna » (liste de trois noms) élaborée par le Nonce apostolique et transmise au pape pour choix définitif ? 

Je redis ici fermement que sans une détermination farouche à prendre à bras le corps, au travers du Synode en cours, les réformes qui s’imposent dans notre Église, réformes dont certains pensent pouvoir s’affranchir au nom d’autres priorités de nature spirituelle, l’effondrement se poursuivra. 

René Poujol

Source : https://www.renepoujol.fr/quelques-reflexions-autour-de-laffaire-mgr-santier/#more-7363

Publié dans Réflexions en chemin

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G
Ces deux jeunes victimes d'une emprise psychospirituelle menant à des fins sexuelles étaient majeurs. Bien que ces fins se soient accomplies au moyen de la confession, ils devaient bien avoir un peu conscience de la différence qu'il y a entre le bien et le mal pour ne pas s'engager plus longtemps sur le « Santier » de ce monsieur. <br /> La confession est l'instrument parfait pour les prêtres déviants pour la bonne raison que le prêtre est seul avec la victime dans un endroit privé, personne ne vient déranger ce tête à tête tenu secret et sans garde-fou. Personnellement je ne reconnais pas la confession comme un sacrement tout en étant catholique car seul Dieu et son Fils Jésus ont le pouvoir de pardonner les péchés. Mettre un intermédiaire souvent inconnu, la fonction de prêtre ne le mettant pas à part, est blasphématoire. Si nous faisons une mauvaise manière à notre prochain, le mieux c'est d'aller vers lui, de s'excuser ou de lui demander pardon. Je ne vois pas en quoi ça concerne un intermédiaire.Si ça concerne le Seigneur lui demander pardon à Lui, le publicain ne s'adressait qu'à Dieu pour lui dire : « prends pitié du pécheur que je suis ». Il n'allait pas trouver un gardien du Temple. Si le rite pénitentiel au début de la messe est réellement vécu ça suffit amplement en fait de confession. De plus la confession répétitive est très malsaine, d'abord elle est inutile, soit le pénitent retombe toujours dans ses mêmes erreurs sans essayer de rectifier le tir et en vient à s'y complaire, soit il n'ose pas avouer le pire de ce qu'il a commis et dans les deux cas il repart sans être absous même s'il a reçu l'absolution. <br /> Cependant que Mgr Aupetit ne se sente pas trop attiré vers le ciel face à ces mauvaises odeurs car de la façon dont il a traité Saint-Merry ça m'étonnerait qu'il ne passe pas d'abord par un petit temps de purgatoire.
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C
Au delà du secret autour de la sanction, je m interroge sur les faits. Comment un prêtre peut-il demander à un baptisé de se denuder pour avoir l absolution ? Comment un adulte baptisé logiquement bien formé peut-il se soumettre à cette demande ? Durant ma formation de diacre Monseigneur Santier était notre évêque accompagnateur. Rien ne laissait penser qu'il pouvait se comporter ainsi. Prêtre ou diacre nous avons tous un minimum de formation en théologie morale.Je ne comprends pas ces comportements ni de la part du confesseur ni de celui des pénitents.
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