Note de lecture : « Journal intime d’un touriste du bonheur », par Jonathan Lehmann

Publié le par Garrigues et Sentiers

Note de lecture : « Journal intime d’un touriste du bonheur », par Jonathan Lehmann

Je vous parle d’un livre que spontanément vous n’aurez pas envie d’acheter, pas envie de lire, surtout après avoir pris connaissance de son résumé sur la quatrième de couverture (1).

Cela se présente comme une énième recette du bonheur, lecture dont l’éditeur souligne « Vous en sortirez transformé » ! Rien que cela. Je l’admets ce livre n’est pas de la littérature, l’écriture en est facile mais sans profondeur, il s’agit d’un essai commercial pour suivre l’auteur dans le maquis de Facebook ou de You Tube où il vend ses recettes d’exercices de méditation, ses pratiques de consommation et de sevrage avec les drogues.

Je sais ce que vous pensez : pauvre Christiane son cerveau n’a pas résisté à l’augmentation des températures pendant les canicules ! Détrompez-vous, des fois il vaut la peine de lire de « mauvais livre ». Ceci dit, c’est dommage de l’acheter ! Demandez à votre grande tante (celle qui vous offre toujours des cadeaux inutiles) de vous l’offrir, pour votre anniversaire ou allez à sa recherche en bibliothèque.

Toutes ces précautions étant prises lisez-le, alors pourquoi ?

Vous allez découvrir les offres multiples, voire extravagantes du « Shopping spirituel » sur le territoire indien, Ashrams en tous genres, gourous de toutes sortes, à tous les prix : de la gratuité aux prix correspondants à un hôtel 5 étoiles. Notre auteur nous décrit ses séjours, en moyenne de quelques jours, avec ses découvertes de l’enseignement de Guides spirituels. Par son intermédiaire on participe à des séances de méditation qui peuvent s’étendre sur 10 h par jour, des séances de hurlements (sortir ses émotions négatives), de danse, de pratiques sexuelles en groupe, de « thérapie » avec retours sur les émotions de la petite enfance et ses blessuresinconscientes révélées par le gourou. Nous terminons ce périple au bord du Gange avec, comme il se doit, une séance chez Mère Theresa où il ira jusqu’à masser un mourant. Notre homme est honnête, il s’exécutera avec dégoût mais consciencieusement et recevra les remerciements émus du mourant.

Notre auteur est « bon public », il croit tout, à peine émet-il quelques réserves devant la montre en diamant d’un gourou connu ou de ses Rolls ou la bouteille de Wisky d’un autre, il poursuit sa quête et à chaque étape s’en ressent transformé. Ne croyez surtout pas qu’il s’agisse d’un déficient intellectuel car dans une autre vie il a travaillé après de solides études de droit dans un grand cabinet d’avocat aux Etats-Unis pendant sept années. Il a rompu avec son travail avec la conviction qu’il ne voulait plus de patron et qu’il se mettait en quête du bonheur.

Cet écrit nous met en lien avec un homme jeune contemporain, issu d’une famille de la classe moyenne cultivée, juive mais sans pratique religieuse, qui consomme toutes sorte de drogues, le cannabis étant la moins toxique… Et comme il est un exemplaire de jeune décomplexé, déjanté, désinhibé nous n’échapperons pas aux descriptions précises de ses masturbations ou de ses orgasmes avec ses partenaires féminines.

Notre héros croise la route et la quête de nombreuses personnes de toutes nationalités qui participent de ce mouvement de quête spirituelle, certains après ces enseignements enseignent à leur tour et c’est un peu la démarche de l’auteur.

Nous avons assisté dans les années 70 au mouvement « Hippie » et à cette émigration vers l’Orient et particulièrement vers les Indes où des jeunes des deux sexes découvraient Sri Aurobindo, Krisnamurti, le Dalaï-Lama pour ne citer que les plus connus, mais ce mouvement, cette marche vers l’Orient ne s’est jamais arrêtée.

Osons la question : Pourquoi les ashrams sont pleins et nos églises vides ?

Il vaut la peine de connaître ces parcours de jeunes à la recherche de sens, en quête de spiritualité pour au moins une bonne raison : avant de condamner ou de se moquer de ce qui nous apparaît comme une dérive « d’enfants gâtés » qui ignorent leur propre tradition, observons d’un regard anthropologique ce contemporain et dans un retour sur nous-mêmes évaluons la distance qui nous en sépare. Ne serions-nous pas un peu responsables de cette distance ?

Christiane Giraud-Barra

  1. Jonathan Lehmann, Journal intime d’un touriste du bonheur, Paris, éd de la Martinière, 2022.

Publié dans Réflexions en chemin

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