La tendresse maternelle du Père
Le tableau de Rembrandt, Le Retour du Fils Prodigue, m’a toujours bouleversée. La main droite du père, fine et délicate, manifestement féminine, caresse l’épaule du fils, tandis que la main gauche, large et masculine, tient avec force l’autre épaule, le serrant et l’enserrant contre lui. Rembrandt, sur la fin de sa vie, après la mort du seul de ses fils ayant atteint l’âge adulte, a eu cette intuition : Dieu est mère autant que père. Dommage que les théologiens officiels de l’Église ne se soient jamais inspirés de cet éclair de vérité !
La tête du fils à genoux, rasée comme celle d’un paria ou sans cheveux comme celle de la plupart des nouveau-nés, semble vouloir rentrer dans le ventre maternel, comme pour renaître de ses entrailles. La miséricorde, ce cœur pour la misère, ne donne-t-elle pas à celui qui est pardonné la joie d’une renaissance, dans la certitude d’être aimé ? Le même mot hébreu désigne la miséricorde et les entrailles. N’est-ce pas cela la résurrection : être recréé, créé à nouveau, pour une nouvelle vie, et pouvoir revivre dès maintenant. « Je te donnerai un cœur nouveau, un esprit nouveau », dit le Dieu de la bible !
Le fœtus dans le sein de sa mère entend la voix du père venant de l’extérieur et celle de la mère résonnant à l’intérieur. Les deux voix sont un appel à vivre avec les humains. Les deux voix, féminine et masculine, expriment deux aspects de la tendresse divine. On lit bien dans la bible : « une mère oublierait-elle ses enfants, moi, dit le Seigneur, je ne t’oublierai pas ».
Et le frère aîné, qu’entend-il de loin, s’approchant de la maison ? Une musique de fête qui l’étonne, et le scandalise lorsqu’il apprend le pourquoi de cette fête. Dans le tableau de Rembrandt, il se tient debout, raide comme la justice, comme son bâton (prêt à donner du bâton ?) regardant d’un air dur l’embrassade du père et du prodigue. Il s’enferme dans sa mesquinerie jalouse, il refuse de se laisser attendrir, de partager la joie de cette renaissance. Lui ne s’est pas éloigné du droit chemin, il a respecté toutes les règles. Il ne comprend pas que son frère soit accueilli à la table de fête du père.
Jésus n’a-t-il pas proposé cette parabole de l’Enfant Prodigue aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochaient de manger avec les publicains et les pécheurs ? Ne pas s’éloigner d’un pouce de la loi et des prescriptions, se vouloir irréprochable et accuser ceux qui sont mis à l’écart, est-ce vivre dans la liberté de l’amour ? La hiérarchie ecclésiale qui exclut de la communion les non-conformes à ses règles fait-elle preuve de miséricorde ?
Le fils quitte la maison paternelle pour aller vivre sa vie ailleurs, c’est la liberté qu’il se donne et c’est une bonne chose. D’ailleurs le père accepte ce départ puisqu’il partage ses biens pour donner sa part au prodigue. Jésus a bien dit, selon les auteurs de l’Évangile, que chacun doit quitter son père et sa mère. Cette distance est nécessaire pour que l’enfant grandisse et ne reste pas dans l’ombre de ses parents. Cette faim d’espace, « d’un pays lointain », cette soif de découvrir autre chose, est ce qui le pousse à partir, à vivre. Que le prodigue dépense tout son bien, pourquoi pas ! Jésus a bien dépensé toute sa vie jusqu’à la mort par amour. C’est lui le Prodigue par excellence ! Nous connaissons tous des femmes ou des hommes qui brûlent leur vie dans une passion de l’autre qui les dévore et les honore.
Que ce soit dans une vie de débauche est moins acceptable. Mais nous en sommes tous là d’une certaine manière, nous avons dilapidé les biens de la terre au point de laisser aux générations futures une planète irrespirable et invivable. L’équilibre entre une conduite mesquine, rétrécie, et une vie de dépense inconsidérée est difficile à trouver parfois, pour ceux qui ne sont pas dans le besoin.
Notre garçon est devenu un déchet, il garde les porcs et voudrait bien manger de leur nourriture, tant il meurt de faim. Oui il est dans le besoin le plus humble que connaissent trop de gens sur la terre. Alors il pense à son dernier recours, son père. C’est bien le recours de certains jeunes adultes sans travail, revenir à la maison des parents. À noter que Rembrandt, quand il peint ce tableau magnifique, était ruiné, abandonné de tous. Cette faim du corps, tellement respectable, peut aussi donner faim de miséricorde.
Le fils aîné lui, n’a jamais eu faim, il est resté bien au chaud sans prendre de risque ; de ce fait il est inapte à la miséricorde, il n’en a pas besoin précisément. Il est jaloux de la dépense du père pour l’autre fils, parti et revenu, perdu et retrouvé. Et pourtant « tout ce qui est à moi est à toi » lui affirme le père. Mais lui n’a pas pris de distance, il n’a pas expérimenté la mise au large dont parle les mystiques, il ne s’est pas donné l’espace nécessaire pour éprouver la grâce.
Ne sommes-nous pas chacun des deux fils, selon les moments de notre vie ? Rester dans la répétition exacte de ce que nous ont transmis nos parents ou bien prendre une distance, inventer notre propre manière de vivre, quitte à les faire souffrir, quitte même à faire des erreurs et à en payer le prix. Rester tranquille dans l’Église établie, malgré tous les scandales, ou partir pour vivre autrement la foi en Jésus, au risque de la perdre ? Ou encore rester, avec distance, pour essayer de faire bouger les statufiés.
Geneviève PM
Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/09/09/la-tendresse-maternelle-du-pere/