En Méditerranée centrale, SOS Méditerranée fait le choix de « la fraternité face à l’inhumanité »

Publié le par Garrigues et Sentiers

Cliché Flavio Gasperi

Cliché Flavio Gasperi

Créée en 2015, l’association européenne SOS Méditerranée porte assistance aux personnes en détresse qui tentent la traversée entre la Libye et les côtes européennes. Depuis sa création, l’association a secouru 36 323 personnes. Le bilan en Méditerranée centrale n’en reste pas moins dramatique : près de 20 000 personnes y ont perdu la vie depuis 2014, 900 depuis le mois de janvier dernier. SOS MÉDITERRANÉE appelle les États européens à agir.
Entretien avec François Thomas, président de l’association.

 

Quelle est actuellement la situation en Méditerranée centrale ? 

Le rythme des traversées en Méditerranée est très lié aux conditions météorologiques. En période estivale, elles sont très nombreuses : il y a beaucoup d’arrivées sur les côtes italiennes. Depuis 2014, 24 400 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée, 19 730 d’entre elles sont mortes en Méditerranée centrale : c’est pour ça que nous sommes là, car c’est la route migratoire maritime la plus mortelle du monde. 900 personnes ont perdu la vie depuis le mois de janvier. Ces chiffres terribles sont sans doute sous-évalués, car beaucoup d’embarcations sombrent sans témoins. Année après année, le décompte infernal se poursuit, on n’en voit pas la fin et pourtant on n’en parle pas beaucoup.

L’action de votre association a été soutenue et médiatisée lors de sa création, qu’en est-il aujourd’hui ?

La première année, l’association bénéficiait d’un certain soutien : elle a reçu le grand prix de l’UNESCO Houphouët-Boigny et a été Grande Cause Nationale en 2017. C’est le manque de solidarité européenne pour l’accueil et la répartition des personnes secourues en mer ainsi que l’arrivée d’un gouvernement conservateur en Italie qui ont provoqué le virage. La situation s’est dégradée, les ONG ont commencé à être harcelées.

Parvenez-vous à poursuivre les sauvetages malgré ces difficultés ?

SOS Méditerranée a sauvé 36 323 personnes depuis 2016, 1 692 personnes depuis le début de l’année, 387 personnes rien qu’au mois de juillet. Parmi les personnes secourues, il y a des nouveau-nés, des enfants en bas âge, des femmes enceintes… On fait le travail que devraient faire les États. L’Europe se désengage clairement : il y a un manque de solidarité des pays européens avec les pays de premières arrivées (Grèce, Italie, Espagne, Chypre) et un manque de courage et d’engagement. Les États européens sont indirectement à l’origine de la situation, car ils financent les garde-côtes libyens qui interceptent les personnes en mer et les ramènent dans des camps où chacun sait que les Droits humains ne sont pas respectés. Le droit maritime est très clair au niveau du sauvetage en mer, dans les zones dédiées au sauvetage, les zones SAR (Search And Rescue), les États ont le devoir et la mission de coordonner les secours. Une vaste zone a été attribuée à la Libye en 2018, mais l’État libyen est complètement défaillant et ne fait pas le travail.

À quel moment s’arrête votre mission ?

Les règlements internationaux précisent que le sauvetage est terminé quand les personnes sont débarquées en lieu sûr. Mais ce n’est pas nous qui décidons du lieu et du jour du débarquement, ce sont les États côtiers. On attend beaucoup trop longtemps, dix jours parfois. Cette attente est très difficile pour des personnes qui ont déjà subi beaucoup de souffrances. Certaines sont restées plus de 48 heures en mer avant d’être secourues. Avec la chaleur actuelle, les conditions sont très rudes. Les équipes à bord de l’Ocean Viking font un travail extraordinaire, elles se trouvent face à des personnes dans des situations de détresse absolue : elles ont connu l’enfer en Libye et en mer. Nous avons beaucoup de témoignages de rescapés qui ont vu des personnes tomber à l’eau de leur embarcation et se noyer. Nombreux sont ceux à avoir perdu des proches, c’est absolument terrible.

Qu’attendez-vous de l’Union Européenne ?

Nous demandons un système de débarquement pérenne, prévisible et solidaire pour la répartition des personnes rescapées dans les pays européens. Un pacte européen « immigration et asile » a été adopté pendant la présidence française, il comprend un accord de répartition avec un certain nombre d’États, mais nous attendons de voir si ce sera suivi d’effet. Ce n’est qu’une première étape qui ne répond pas à l’ampleur du problème. Il faut arrêter l’hécatombe : les États européens doivent investir beaucoup plus de moyens pour le sauvetage en mer, comme l’Italie l’avait fait avec Mare Nostrum (1). Il faut comprendre qu’on n’empêchera jamais personne de quitter l’enfer libyen : « plutôt mourir que de rester en Libye », comme nous le disent tant de personnes rescapées.

Vous parliez du « décompte infernal » des morts qui ne s’arrête pas, ressentez-vous parfois une forme de découragement ?

Je ne parlerai pas de découragement, mais plutôt d’un immense sentiment d’injustice. Quand des personnes, des nouveau-nés sont en détresse au milieu de la mer, comment peut-on détourner le regard ? Mais ce qui est extraordinaire c’est l’humanité qu’on rencontre à bord et la solidarité parmi les équipes : le marin-sauveteur tend la main, car il y a toute une chaîne derrière lui, c’est une très grande force. L’humanité est un élément clé de notre mission : l’humanité et la fraternité face à l’inhumanité.

Quels sont vos besoins ?

Le prix du carburant a triplé, cela a un impact financier très important. Nous dépendons des dons pour mener notre mission essentielle. Une journée de sauvetage en mer de notre navire l’Ocean Viking coûte plus de 14 000 €.

Anne Dory

(1) Mare Nostrum est le nom d’une opération menée par la Marine italienne pour secourir les migrants en mer. L’opération fut lancée en 2013 après le naufrage d’un navire, où périrent 366 personnes, à proximité de l’île italienne de Lampedusa.

Source : https://www.paxchristi.fr/2022/08/02/sos-mediterranee-le-choix-de-la-fraternite/

Publié dans Réflexions en chemin

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