A l'écoute de la Parole de Dieu

Publié le par Garrigues et Sentiers

25eme dimanche du temps ordinaire 18/09/2022

Am 8, 4-7 ; Ps 112 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13

 

Les textes de ce jour ressemblent à une sorte de vade-mecum d’économie politique. Le thème central étant : «L’argent bon serviteur mauvais maître». Il est plus précisément question d’un «malhonnête argent», qui n’est donc pas celui produit par son travail ou issu des œuvres de son esprit, mais obtenu par subterfuges ou des moyens inavouables.

 

Amos (VIIIe siècle av. J.-C.) est un prophète à la parole exigeante. Il a tout prévu en la matière et condamne ceux qui, pour s’enrichir et toujours plus, recourent à la spéculation, trafiquent les prix, truquent les mesures, vendent jusqu’au déchets, réduisant les pauvres à une totale dépendance «pour le prix d’une paire de sandales». Attitude égoïste dont le Seigneur «n’oubliera jamais les méfaits», prévient-il. Faut-il se contenter de cette condamnation de principe et de la promesse faite de «relever le faible et de retirer le pauvre de la cendre», ce que l’histoire n’a jamais entériné ?

Question pour notre monde d’aujourd’hui (où les choses ont peu changé à cet égard) : peut-on être «capitaliste» et chrétien ? Oui ! répondront les optimistes, si l’on ne se contente pas de faire fructifier à foison sa fortune sans autre but que de l’accumuler, mais qu’on reste attentif à son bon usage. A travers les âges, des prédicateurs bien intentionnés — à commencer par Bossuet face à Louis XIV et à sa cour — ont rappelé aux riches qu’ils n’étaient pas riches pour eux-mêmes, mais pour secourir les pauvres. Il est vrai qu’on ne posait pas la question de savoir pourquoi et comment il y avait des pauvres. Et l’on persuadait en même temps les pauvres de leur «fonction sociale» : permettre aux riches de les secourir et ainsi «acquérir des mérites» salvateurs ! Ainsi, la pauvreté des uns sanctifiait la générosité obligée des autres ?

Réguler la distribution des richesses relève du domaine des «chefs d’État et de tous ceux qui exercent l’autorité» (I Tim 2,2). C’est à eux d’établir la justice sociale, car il est de leur devoir d’assurer «la tranquillité et le calme de la société», afin que les citoyens puissent vivre dans la dignité. Or elle-ci — indépendamment de sa nécessité pour assurer la paix civile — est une des conditions nécessaires pour pouvoir exercer une «piété agréable à Dieu». Saint Thomas d‘Aquin (j’ai perdu la référence) n’a-t-il pas remarqué qu’il était difficile de prier le ventre vide ? Alors faut-il seulement prier pieusement pour ouvrir les yeux des politiques ou y a-t-il lieu de trouver des moyens de pression plus … politiques ?

 

La lettre à Timothée allège la liste des truchements entre Dieu et nous ; elle met en valeur l’affirmation de Jésus-Christ : «Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne va vers le Père sans passer par moi» (Jn 14,6). Face à la multiplication des pratiques de dévotion ou à des recours parfois abusifs aux saints — auxquels nous nous adressons non pour y trouver des modèles à imiter, mais comme intercesseurs pour voir se réaliser nos vœux, plus ou moins légitimes — Paul est catégorique : «il ny a quun seul Dieu, il ny a aussi quun seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui sest donné lui-même en rançon pour tous» (I Tim 2,5-6).

 

Intervient in fine cet évangile si étrange, voire troublant, où il est encore question d’argent. Jésus semble y louer un gérant malhonnête. En fait, bien sûr, ce n’est pas sa malhonnêteté, mais son habileté qui est célébrée. Ne pouvant envisager de travailler, c’est fatiguant, ni de mendier, c’est humiliant, il sait créer les conditions pour être reçu comme commensal par les riches clients de son maître en réduisant leurs dettes vis à vis de celui-ci. Astucieux ! C’est l’occasion pour Jésus de regretter que «les fils de ce monde (soient) plus habiles entre eux que les fils de la lumière». Peut-être ces derniers sont ils trop timorés, trop peu inventifs pour clamer leur foi, leur appartenance au seul Seigneur, sans se laisser prendre dans les fascinations du monde, au premier rang desquelles : l’argent. Celui-ci donne certes l’importance, l’abondance de biens, le succès, le pouvoir, tentations que Jésus a repoussées au désert, mais il nous asservit par l’exaltation, entre autres, du goût du paraître et de l’urgence de la consommation.

La pauvreté choisie, celle de François d’Assise par exemple, ou du moins la modération de nos désirs, n’est pas seulement un acte d’ascèse, elle est avant tout un geste libératoire.vis à vis de ce maître implacable qu’est l’argent.

Marcel Bernos

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