Assomption 2022

Publié le par Garrigues et Sentiers

L’Assomption n’est pas un événement historique, ni même, à la différence de la Résurrection ou de l’Ascension, un événement dont les disciples auraient témoigné. Sa définition ne peut rien nous dire de la vie de Marie, elle précise la place que la théologie lui donne dans l’Histoire du Salut et ce que cela signifie pour l’Église.

 

 

Le « duo » formé d’Adam et Ève a plongé l’humanité dans le péché, séparation d’avec Dieu, œuvre de mort, il a fallu le « duo » formé de Jésus et Marie pour nous en sortir. « Duo » plutôt que « couple », pour Adam et Ève la sexualité est encore absente au moment de la désobéissance ; Marie de son côté est déclarée vierge et Jésus est son fils. Pour la virginité de Marie, il ne faut pas chercher quelque raison psychologique ou de pureté, sa virginité souligne son indépendance de femme qui, avec la grâce de Dieu, va redonner vie à l’humanité (1). La joie de Marie reflue pour remonter jusqu’à Ève et redescendre jusqu’à elle (« sois joyeuse, toi qui as la grâce de Dieu », en Lc 1, 28), ce parcours passe par la joie de Sara, qui rira (Gn 18, 12) et d’Élisabeth dont l’enfant tressaillit d’allégresse en son sein (Lc 1, 44). Chez Marie cette joie explose dans le Magnificat, première annonce de la Nouvelle Alliance. Le salut qui s’opère dans l’événement de la Croix-Résurrection remonte de Jésus jusqu’à Adam : Luc fait remonter au premier homme la généalogie de Jésus, qui est le « Nouvel Adam » (Lc 3, 23-38).

 

Marie est la « Nouvelle Ève » : par son acceptation de participer au salut offert par Dieu, elle remonte jusqu’au premier duo pour sauver toute sa descendance. L’Esprit de Dieu, qui a présidé à la création du monde, va inaugurer dans la conception de Jésus la création du monde nouveau.

Dieu s’empare de l’acquiescement de Marie à son appel pour retourner le cours de l’histoire et l’ouvrir au salut pour tous : dans la Tradition, Jésus est descendu aux enfers pour associer à sa Résurrection tous ceux qui l’ont précédé (2). Marie est la « fille de Sion », personnification du peuple de Dieu. Déjà le texte de l’Annonciation faisait référence au prophète Zacharie (Za 9,9) : le « réjouis-toi » est une annonce de l’accomplissement des promesses, que Marie reçoit au nom de la Maison de Jacob (Lc 1, 33). Ainsi Marie, au pied de la Croix, fille de Sion, représentante de la Maison de Jacob, est-elle associée avec Jésus dans le salut de tous les hommes, salut qui remonte à la première femme. Et Marie devient la mère de cette humanité qui a précédé le Christ, au même titre qu’Ève.

 

Quant à l’humanité à venir, celle qui vient après l’événement Jésus-Christ, Marie en est aussi la mère. C’est sur la Croix que Jésus l’institue. À travers Jean elle devient la mère des disciples à venir. On la retrouvera donc au Cénacle et à la Pentecôte, alors que depuis les premiers pas de la mission de Jésus, elle n’apparaissait plus. Comme l’a bien souligné Paul, la Croix n’est pas marquée par la mort mais par la vie nouvelle qui s’ouvre, c’est sur la Croix que tout se passe. C’est à la Croix qu’elle devient mère de tout le genre humain.

Mère du genre humain ? Il s’agit d’une extrapolation. En fait elle a donné son corps d’homme à son fils, à la Croix elle devient la mère du Corps du Christ qui est l’Église. L’Église qui n’est pas telle ou telle institution, mais l’assemblée de ceux qui désirent suivre le Christ, cette « immense foule, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue, debout devant le trône et devant l’Agneau » (Ap 7, 9). Ce sont ceux qui, avec lui, meurent sur la Croix pour ressusciter avec Lui. C’est de cette Église que l’on parle, dont malheureusement sont souvent bien éloignées les Églises institutionnelles. L’Église épouse du Christ, ou Corps du Christ, qui, en droit, doit inclure tout le genre humain.

Ainsi Marie est la figure de l’Église Corps du Christ, de ceux qui sont morts depuis Adam jusqu’à nos jours et de ceux qui adviendront. Cette Église est déjà sauvée en droit par la Résurrection, Résurrection qui n’est pas seulement un événement du passé. Elle est actuelle et se prolonge jusqu’à la fin des temps.

 

La « Femme » de l’Apocalypse, « dans les douleurs du travail de l’enfantement » (Ap 12, 2), donne naissance à un enfant « qui doit paître toutes les nations » (Ap 12, 5). Souvent l’Église a vu en elle Marie donnant la vie au Corps du Christ dans un combat qui sera vainqueur. Comme l’a expliqué Emmanuelle Seyboldt dans son homélie (publiée dans Garrigues et sentiers le 27 juillet), cette femme n’est en fait pas Marie, elle représente le peuple des croyants qui donne corps au Christ passé par la mort et la résurrection, et cela dans l’épreuve et la douleur. La Femme est aussi identifiée à la Jérusalem nouvelle, figure de l’Église : « Et je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descendre du ciel d’auprès de Dieu, prête comme une fiancée parée pour son époux […] Voici la demeure de Dieu chez les hommes : il demeurera avec eux, et eux seront son peuple » (Ap 21, 2-3). Cet amalgame entre Marie, l’Église, la Jérusalem nouvelle, fait de cette fête la proclamation de l’assomption dès maintenant par Dieu de l’Église (non pas une ascension comme l'iconographie la présente, mais au sens étymologique du terme – adsumpta : appropriation), appropriation de l’Église déjà sauvée et toujours en chemin.

 

L’Assomption n’est pas un événement historique, elle est une affirmation théologique sur l’Église.

Elle ne dit pas autre chose que la nouvelle donne : la Résurrection, la nôtre, est en cours, avec celle du Christ. Sans l’Assomption, la Résurrection de Jésus serait un événement du passé, et pour nous un événement projeté dans un monde à venir, alors que les deux sont totalement liés et déjà là. L'Assomption est le début de notre résurrection.

Le culte marial ne doit pas être dévoyé, son centre est le Christ. Nous vénérons Marie comme celle qui a été « mise de côté » pour faire de nous le Corps du Christ, c’est en ce sens qu’elle est notre mère et que son Assomption est le gage donné par Dieu pour affirmer que le Salut est en marche. La prier, l’honorer prend tout son sens, elle est au cœur de l’histoire du Salut, « pleine de grâce », « bénie entre toutes les femmes » car son fils Jésus est béni. Comme Paul, et nous, elle « porte dans [son] corps les marques des souffrances de Jésus » (Gal 6, 17), elle est intrinsèquement liée à la Croix et à la Résurrection de son Fils (3).

 

Marc Durand

 

(1) – Il est piquant de constater que Dieu peut avoir tendance à libérer ainsi les femmes de l’emprise des hommes. La joie de Marie et son exaltation proclamées au début du Magnificat relèvent la malédiction d’Ève, et en profitent ces deux femmes stériles que sont Sara et Elizabeth. Elles deviennent mères alors que leurs époux ne pouvaient plus leur en donner l’espoir. De même aucun homme n’interviendra dans l’action de Dieu pour donner naissance à Jésus.

Traditionnellement l’idolâtrie dans l’Ancien Testament est décrite avec l’exemple de l’infidélité conjugale. Osée (Os 1, 2) devra même prendre pour femme une prostituée pour bien dénoncer l’idolâtrie du peuple. En ce sens la virginité de Marie souligne qu’elle est totalement « vierge » de toute idolâtrie, de toute séparation d’avec le Seigneur, de tout péché.


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