L’Esprit souffle où il veut… et pas seulement sur l’appareil ecclésiastique
« Il va maintenant s’agir que ces avancées dynamiques du synode allemand ne crispent ni le Vatican, ni l’Église universelle », écrit Blandine Ayoub dans son article Le synode allemand nous ouvre la route.
Ce qui est précisément à craindre, dans la mesure où la conception ecclésiale multiséculaire qui s’est configurée et qui se configure autour du Vatican est l’objet même de l’attente de changement des uns et de l’aspiration à la réforme des autres.
Quant à l’Église universelle, n’y a-t-il pas comme un abus – conceptuel et/ou de langage – à la confondre avec l’Institution que l’Histoire et les clercs ont établie, consolidée et absolutisée, et qui a substitué en son sein, et dans ses dépendances, la discipline du croire et du devoir au libre dialogue avec l’Esprit, à la libre interrogation de la Lettre ? Une confusion qui amène à sanctuariser cette construction institutionnelle comme si elle était l’autre nom, dans la durée du temps de l’Alliance et sur tous les espaces de la Foi, de ce qui ressort de l’âme et de l’intelligence du peuple des croyants, et qui n’appartient qu’à la Communion mystique dont l’Église est le nom.
L’espérance que porte cet article réside dans l’énonciation d’attentes fortes et explicites. Portant sur des thèmes assurément essentiels et sur des aspirations d’une portée décisive : la notion de coresponsabilité ; un mode de consultation des laïcs pour la désignation des évêques ; l’évolution du célibat obligatoire ; la place des femmes et leur égale dignité dans l’annonce de l’Évangile et donc les fonctions et ministères d’Église. Si tant est, sur ce dernier item, que la formulation des résultantes de la reconnaissance de cette égale dignité du féminin intègre expressément l’admission complète et irrévocable des femmes aux « ministères ordonnés ».
Pour autant, on aurait pu préférer que fussent dessinés des virages plus convaincants, ou à tout le moins plus entraînants, pour les exilés volontaires qui, de longue date, se sont désintéressés d’un catholicisme perçu comme sourd aux interpellations de la modernité et aveugle aux « signes des temps », et qui se sont placés, sans se ménager une option de retour, sur un autre continent : tels le virage de l’élection des évêques, celui de l’abolition pure et simple de l’obligation du célibat des clercs, et celui, touchant au plus fondamental, qui aurait ouvert sur un « Chemin de conversion » incluant l’effacement de la notion de « droit canon » – résumé et symbole s’il en est d’un « autoritarisme anachronique (de l’) institution ecclésiale catholique ».
Faute des composants qui auraient identifié, ou profilé, une réforme dont l’acception aurait signifié un changement de vocation et, partant, de nature de l’Église, et non – au mieux – un ajustement (celui-ci eût-il une authentique dimension historique), restent les amendements révisionnistes au disciplinaire romain qui visent à effacer des archaïsmes répressifs censés imposer leur loi dans le vécu intime des personnes. Érigés en déterminants impératifs de l’ordre sociétal et en constituant du socle légal et culturel de celui-ci, et ayant en commun d’avoir été forgés dans la longue durée de l’histoire de la cléricature catholique, mais tous en peine de se réclamer d’ancrages spirituels.
Ainsi en va-t-il de ce qui traite de « la vie des couples ». Et qui pose, au-delà de l’opposition entre « conservateurs » et « progressistes », les enjeux d’une confrontation des dispositions d’esprit dans le camp des seconds vis-à-vis de ce qui peut être tenu pour le plus couramment rejeté dans les interdits promulgués :« Concernant la vie des couples, pour laquelle quatre textes sont proposés au vote, les tensions sont palpables entre ceux qui demandent juste plus d’explications de la doctrine de l’Église, et ceux qui pensent les propositions d’Humanae vitae ou les propos sur l’homosexualité tout bonnement incompatibles avec la vie des « vrais gens » ; les textes votés sont une demande argumentée au pape de réviser la doctrine de l’Église sur ces questions – comme le dit ce cher cardinal Marx, que nous remercions d’exister : « Le catéchisme catholique n’est pas le Coran ».
Que la référence distinctive ainsi avancée soit ou non vraiment pertinente, réduire à cette échelle la confrontation entre obéissance raisonnée et contestation affirmée passerait à côté du débat, infiniment plus vaste, qui se trouve en cause. L’invalidation de ce qui est au reste l’un des grands marqueurs du schisme entre christianisme et judaïsme : la répulsion du corps, et symétriquement celle de la sexualité, dont l’expression s’est comme statufiée dans le très lointain Inter fæces et urinam nascimur, « nous naissons entre des fèces te de l’urine ».
Un double abaissement qui, appelant sans doute un cumul d’explications – aussi incertaines dans leur globalité qu’en même temps interpellatives des représentations mentales auxquelles elles renvoient –, s’affirme comme la négation quasiment sacrilège du message initial de la Genèse : le dessein de Dieu qui préside à la dissociation sexuée en deux personnes de l’Adam dont il est signifié qu’à l’origine « homme et femme, il fut créé » (« Dieu créa Adam à Son image, à l'image de Dieu Il le créa, mâle et femelle Il les créa »).
Avec toutes les fixations, les obsessions et les dénaturations qui l’aggravent au long du temps : ainsi quand l’Église catholique édicte au Moyen-Âge que la recherche du plaisir dans l’acte conjugal constitue un péché plus grave que l’adultère (voir les livres de Georges Duby), mais aussi quand en émane, à rebours de l’inspiration rénovatrice de Vatican II, les condamnations sans appel (et non les « propositions ») d’Humanae vitae – voire quand l’avant-dernier pape ne trouve rien de plus réservé, de plus contraint ou de plus circonspect, pour mentionner la relation charnelle du couple que de la désigner par « les actes réservés aux époux »…
Avec cet élargissement du point de vue, ce qu’on a appelé « les amendements révisionnistes au disciplinaire romain » n’est plus seulement un sujet confectionné à partir de l’expression de volontés individuelles et d’une résolution collective, non plus de transgressions, mais de révision et d’infirmation d’interdits puisant dans des aliénations historicisables de la pensée chrétienne.
C’est bien l’un des principaux piliers, sinon le principal, du corpus qui architecture une caste sacerdotale dans son immuabilité, qui est mis en cause. Et d’autant plus puissamment que le champ de la contestation est celui où se questionne une acception spirituelle dont on a trop longtemps masqué ce qu’elle avait de primordial : les significations et les implications de l’amour comme intention et comme vecteur de la création et, en découlant, la multiplicité des insertions humaines dans les vécus offerts à cet amour.
Didier Levy