Inviter la subversion en Synode. 1. Vers l’Exode des communautés nomades ?
Sous le titre « Inviter la subversion en Synode », Didier Lévy nous a confié un article en deux volets destiné à notre Dossier n° 39, Pour une Église synodale : Communion, participation et mission.
Nous publions aujourd’hui le premier volet.
G & S
Vers l’Exode des communautés nomades ?
Parmi les articles que Garrigues & Sentiers a publié sur le grand débat des catholiques en synode, en interrogeant les contributions, les prises de position et les démarches de restitution attachées à ce processus, ô combien essentiel, ouvert par le pape François deux textes se rangent au nombre de ceux qui ont tout pour occuper une place majeure.
Une place qui engage à revenir sur l’un et l’autre de ces articles :
- Le texte d'accompagnement de la synthèse synodale pour la France voté par l'Assemblée plénière des évêques à Lyon, publié le 17 juin 2022 par Garrigues et Sentiers ;
- Catholiques en synode : le difficile apprentissage de la parole, un article du Blog de René Poujol repris le 16 juin 2022 par Garrigues et Sentiers.
Aller jusqu’à « passer les dogmes au crible » ?
L’article de René Poujol positionne tant les nuances que les démarcations dans le débat au sein du catholicisme français. Notamment en exposant les apports respectifs de La Conférence catholique des baptisé.e.s francophones et de la communauté Saint-Merry-hors-les-murs qui, réunis, composent sans doute la plus significative et la plus éclairante sommation des espérances de changement qui préexistaient à la consultation officielle des fidèles (1).
Des apports qu’il cite, en particulier, à travers respectivement ces griefs et ces revendications tirés des apports de la CCBF :
- soit, pour les remontrances ou les blâmes, « (…) moralisme, langage incompréhensible, tristesse et ennui des célébrations, homélies hors sol, abandon des baptisés qui ne sont pas dans la ligne, misogynie, (…) autoritarisme, sacralité excessive du prêtre… ».
- soit, pour les attentes ou les cibles, « (…) retrouver l’intuition conciliaire de « peuple de Dieu » contre toute crispation institutionnelle et cléricale, réhabiliter le sacerdoce commun des baptisés, réformer la gouvernance des communautés en donnant aux femmes toute leur place (…), revoir les théologies de l’eucharistie (sur son caractère sacrificiel) et du sacerdoce ministériel, passer les dogmes au crible de la culture contemporaine ».
Une dévalorisation des « richesses spirituelles chrétiennes » ?
En regard des interpellations venues de deux collectifs indépendants de l’institutionnel ecclésial – contestataire par vocation ou se préfigurant « sous les traits d’une Église/communauté nomade en diaspora » (René Poujol, pour Saint-Merry-hors-les-murs) –, le texte d’accompagnement de la synthèse synodale pour la France voté par l’Assemblée plénière des évêques’décline un non possumus.
Décelable déjà dans la forme compassée et convenue sous laquelle est restituée la recension « (des) désirs, (des) rêves, (des) regrets, (des) reproches » : avec le ressenti d’un paternalisme immuable qui édulcore les appels ou minore les blessures exprimées, et qui lénifie les contritions formulées. En même temps qu’il tend à traiter les attentes et les demandes d’écoute divergentes comme l’expression de peurs que de bonnes intentions viendront apaiser.
Sans méconnaître l’inspiration de certaines des formulations choisies par l’épiscopat, ni les ouvertures envisagées (appel au diaconat féminin, accès des laïcs à la prédication), la confrontation qu’on est forcé d’établir à la lecture des deux articles amène à la conviction que le second en date signifie une fin de non-recevoir à l’endroit des aspirations à la réforme ; et ce dès lors que la réformation visée possède un caractère substantiel.
La fin de non-recevoir se fait comprendre comme d’autant plus catégorique que le sujet est plus « sensible », que le révisionnisme risque d’y mettre en cause des identifiants multiséculaires tenus pour irréfragables et des lectures de la dogmatique intangibles par nature. Ainsi en va-t-il avec l’énoncé de cette interrogation qui se lit comme un abrégé des « fondamentaux » et des repères non négociables :
« Nous avons aussi à nous demander pourquoi certaines richesses spirituelles chrétiennes (2) sont soit ignorées soit dévalorisées, par exemple l’eucharistie en tant que sacrifice de Jésus, les sacrements, la vie consacrée, le célibat des prêtres, le diaconat ».
Une institution qui s’est confondue avec la détention d’un pouvoir absolu est-elle susceptible se réformer ?
Au moins cette confrontation situe-t-elle les deux pôles entre lesquels se sépare le plus foncièrement l'itinéraire synodal : la sacralisation de l’architecture d’autorité – pyramidale avec la figure du pape à son sommet – qui a configuré l'Église romaine dans une histoire plurimillénaire, et l’irrévocabilité du corpus, conceptuel et doctrinal, qui s’y corrèle tel qu’il s’est ordonné sur les décrets des papes et au fil des conciles, versus le libre parcours d’une intelligence moderniste du croire, alliant le libre examen des sources à la quête incertaine des réponses, inséparablement spirituelles et temporelles, aux défis et aux espérances de notre temps.
Immobilisme d’un côté, révisionnisme de l’autre ? Pour foncière et surexposée que soit leur opposition, détermine-t-elle à elle seule l’aboutissement d’un processus de réformation interne à l'Institution romaine ?
Ou ne faut-il pas s’arrêter à une mise en question plus fondamentale qui appelle à interroger aussi, et d’abord, la faculté d'une institution ecclésiale à se réformer ?
Le doute ainsi avancé se formule en un questionnement interpellatif : une institution ecclésiale qui, pendant des siècles et des siècles, a détenu sur son territoire d’enracinement – celui-ci se fût-il réduit sur les à-coups de bouleversements historiques – un pouvoir spirituel sans partage, ainsi qu’une part majeure ou déterminante du pouvoir temporel, est-elle davantage réformable de l’intérieur, et précisément en tant qu’institution, qu’un parti unique qui, durant des décennies et des décennies, s’est confondu avec l’État qu’il avait subverti ou créé, à travers le pouvoir sans partage qu’il a exercé sur tout l’espace de l’autorité publique, et qu’il a entendu posséder sur les pensées des individus assujettis à cet État ?
Une comparaison qui s’attache à l’absolutisme en lequel réside l’économie d’un pouvoir qui s’est revendiqué de l’autorité que lui conférait la détention plénière et exclusive de la vérité, et donc de l’unique vérité (religieuse ou politique). Un absolutisme qui détermine la configuration de l’institution ou du parti, dans toutes ses figures, dans ses rituels et dans son discours.
Entre dans ce rapprochement, pour exempt qu’il soit de toute visée polémique, un contredit personnel de la prééminence (et même de l'existence) d'une cléricature.
Mais l'analyse se forme bien, pour l'essentiel, de l'idée qu'à l’identique d’un État-parti, une institution cultuelle configurée en cadre sacerdotale – et d'autant plus que seuls les hommes ont accès à celle-ci (ce qui est bien le double identifiant de l'institution romaine – est inentamable par quelque perestroïka que ce soit. Sauf à s’exposer, ou à se résigner, à s'y dissoudre en lui consentant des concessions réellement significatives.
Didier Levy
(1) L’Assemblée plénière extraordinaire réunie à Lyon par la CEF pour un « bilan d’étape » sur la procédure synodale, s’est ouverte à une centaine « d’invités » issus des diocèses et de Promesses d’Église (une cinquantaine de mouvements et associations catholiques). Mais aucun membre de la CCBF ni de la communauté Saint-Merry-hors-les-murs n’a été sollicité (cf. René Poujol : « Catholiques en synode : le difficile apprentissage de la parole »).
(2) Cette qualification de « chrétiennes » ne se lit-elle pas comme un abus de langage ? Ces « richesses spirituelles’ » ne sont-elles pas reconnues comme telles que par une partie du christianisme ? Difficile de ne pas lire dans cette exagération l’inextinguible prétention à incarner la « Vraie Foi ».