In Latino veritas ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

« Oh ! mon Dieu, le latin, le latin, le latin, voyez-vous, il ne nourrit pas son homme ! »

Guy de Maupassant, « La question du latin », nouvelle (7. 09. 1886)

 

Au cours de réunions faisant le point sur les témoignages recueillis en vue du synode sur la synodalité, on a pu constater qu’il y avait un certain courant, parmi les jeunes catholiques, pour regretter que l’Église ait renoncé au latin dans sa liturgie (1).

 

Argument avancé : le latin exprime mieux le « sacré ». Est-ce une qualité propre à cette langue ? Dans ce cas laquelle et pourquoi ? Est-ce parce que, comme on le comprend mal, ce qu’il expose apparaît plus facilement « mystérieux » ? Et plus encore lorsque, dans certaines dispositions de la messe, les paroles en cette langue sont prononcées à voix basse, comme hors les fidèles présents. C’est ce que semblait suggérer Sforza Pallavicini s.j., dans sa célèbre Histoire du Concile de Trente (1664, éd. Migne, 1844, t. II, col. 1314) : « les raisons véritables, légitimes, édifiantes (sic), ont été d’augmenter chez les fidèles cette vénération que produit le secret dans les choses divines ».

 

Pour en revenir à l’emploi du latin aujourd’hui, rappelons qu’il est de moins en moins enseigné. Dans des statistiques de 2014 (enseignements public et privé en France), 19,3 % des élèves commençaient à l’apprendre en cinquième, mais 5,3 % le suivaient encore en seconde, et 4,4 % seulement en terminale, avec des horaires en nette diminution… Il serait étonnant que ça ait beaucoup progressé depuis. La même année 2014, 133 candidats au Capes de lettres classiques pour 230 postes proposés…

 

Les tenants de la messe de saint Pie V considèrent ce pape comme l’héroïque défenseur de la Tradition. Or c’est lui qui a supprimé, par la bulle Quo primum (1570), tous les rites liturgiques antérieurs, ayant moins de deux siècles d’ancienneté, pour imposer l’unique rite romain.

 

La messe en latin n’est pas « de toujours ». Jésus, si c’est lui qui a instauré le rite, ignorait assurément le latin et parlait plus probablement l’araméen dans le courant de la vie et l’hébreux au Temple, pour les lectures et disputes théologique. On peut rappeler que la première langue d’expression de l’Église a été le grec. Les sept premiers conciles œcuméniques (325-787) l’ont employé pour leurs définitions dogmatiques. Le grec a été la langue utilisée par les premiers papes siégeant pourtant à Rome. Les premiers chrétiens, qui voulaient se référer à l’Ancien Testament, recouraient à sa version grecque de la Septante (réalisée au IIIe siècle av. J-C pour les fidèles juifs de la diaspora).

 

Quant aux évangiles et épîtres du Nouveau Testament, même s’il a pu y avoir des primo-versions en araméen ou en hébreu, ils ont d’abord été diffusés en grec. Sauf dans les célébrations « domestiques », il ne semble pas que la liturgie ait largement ou exclusivement utilisé avant le IIIe siècle le latin, langue de l’Empire en Occident, centré sur Rome, et langue véhiculaire de la plus grande partie de ses habitants (donc la langue « populaire » de l’époque, comme pour nous le français).

 

Les partisans du latin comme « langue de l’Église » avancent que son intérêt est d’être une langue stable, à l’abri des variations inévitables des « langues vivantes », et donc fixant les interprétations ne varietur. Ce n’est pas faux, limité tout de même par la nécessité de créer des mots, parfois par périphrase, pour rendre compte des nouvelles réalités. Voir le célèbre « vis atomica », mais aussi bien : sententiola præconialis (pour « slogan »), ludicra corporis exercitatio (pour « sport ») ou … tabernæ potoriæ minister (pour « barman ») ; il est vrai que ce dernier mot est peu utilisé en liturgie.

 

Que le latin ait été « sacralisé » au cours de lhistoire de l’Église, et en particulier après le Concile de Trente (1545-1563), cest une évidence, encore avait-il fallu attendre la fin du IVe siècle pour que Jérôme de Stridon, sollicité par le pape Damase, réalise, entre 382 et 405, une traduction latine « définitive » de la Bible, fondée sur une étude méticuleuse des textes des Écritures dont on disposait alors, et d’abord la Vetus latina (IIe siècle ap. J-C). Circulant dans des versions diverses, parfois entachées de fautes de copistes, elle était lue parmi les convertis de langue latine. Mais Jérôme, soucieux d’exactitude, sappliqua à comparer ces textes avec les originaux grecs ou hébraïques. Le 8 avril 1546, la IVe session du concile de Trente déclara cette « Vulgate » « authentique » et en généralisa lusage. Cependant, en 1943, Pie XII autorisa la lecture et l’étude de la Bible en langue vulgaire, recommandant d’en traduire les textes non plus à partir de la Vulgate, mais des textes originaux hébreux et grecs (encyclique Divino afflante Spiritu).

 

En 1963, le concile Vatican II, tout en conservant l’usage du latin dans la liturgie (constitution Sacrosanctum Concilium ), a permis avec prudence de dire la messe en langues vivantes. Le mécanisme s’emballa quelque peu en faveur des langues véhiculaires, qui permettaient aux fidèles de comprendre ce qu’on leur disait, ce qu’ils chantaient, ce qu’ils répondaient. Il y a, on l’a dit, des arguments pour justifier l’emploi du latin (2). S’y crisper jusqu’à la révolte, n’est-ce pas, surtout, une manière d’affirmer son rejet des ouvertures sur le monde de Vatican II. ?

Marcel Bernos

 

  1. L’auteur de ces lignes n’a rien contre le latin qu’il a pratiqué de 1945 à 1974, d’abord comme élève, puis professionnellement. Et il aime le Grégorien (bien chanté !), d’où émane effectivement comme un effluve du divin.
  2. Voir la note du P. Julio de la Vega-Hazas, in Aleteia, 28 05 2014 (https://fr.aleteia.org/2014/05/28/pourquoi-le-latin-est-il-la-langue-liturgique-officielle-de-leglise/)
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H
A Philippe,<br /> L'amour ne s'incarne pas avec des mots, des sons et des rites.<br /> Il s'incarne avec des ACTES ! "Ce ne sont pas ceux qui DISENT Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui FONT la volonté de mon Père". Pour la pratique, voir Mathieu chapitre 25 et les Béatitudes.<br /> Jésus ne parlait pas le latin. Les textes originaux ont été écrits en grec (langue "internationale" parlée par les païens et par les juifs de la diaspora). Ayant étudié le latin et le grec, j'ai eu a lire et à traduire des lettres de Paul dans mon lycée laïque : il était considéré comme un auteur grec parmi d'autres.<br /> J'apprécie les chants en latin (dans ma chorale), et je regrette que certains chant modernes en français soient de qualité "moyenne"... Mais au moins ils sont compréhensibles.<br /> Je pense que pour la population de nos jours il est nécessaire de s'exprimer dans la langue que tous comprennent. A condition que quelques erreurs de traduction ne viennent pas trahir le sens originel.<br /> Exemple : "homo factus est"', pas "vir"... est plus précis. <br /> Je suis d'accord avec l'ensemble du texte de Michel Bernos : la crispation de certains sur le latin ne cache-t-elle pas le rejet de l'ouverture initiée par Vatican II et poursuivie par notre pape François ?<br /> Fraternellement.
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P
Que des arguments dans un sens et jamais dans l'autre. <br /> Que des insinuations et des raisons faibles et bancales, <br /> Pour faire oublier tout ce qui se perd quand on veut faire de la demi religion à la page. <br /> L'amour s'incarne avec des mots, des sons, des rites. Il est profond et s'enracine dans un développement historique qui lui donne toute sa pâte humaine, loin des simplifications intellectuelles qui justifient l'interdiction du passé dans l'Eglise.
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J
Le professeur d'histoire bercé par sa foi nous embarque dans une compréhension plus "lumineuse" de l'usage du latin. Merci !
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L
Comme élève, j'ai pratiqué le latin de la 6ème à la 1ère. Quand enfin j'y ai "accroché" (en 4 ème), ce fut pour moi un régal intellectuel. Et je dois au latin la structuration de ma réflexion et de mon expression tant écrite qu'orale : en particulier, l'enchaînement des subordonnées qui permet une véritable discipline de la rigueur et de la précision du raisonnement, en introduisant dans celui-ci les restrictions, concessions et autres limites que requièrent l'honnêteté intellectuelle.<br /> Pour le latin de messe - sans méconnaître bien sûr la beauté qu'il apportait à la "musique sacrée" -, l'après Vatican Ii laissait sur un double sentiment : le regret qu'il n'eût pas entièrement disparu, et l'affliction que causait la médiocrité et la pauvreté de sa traduction en français - souvent un mot à mot dépourvu de sens remplaçait une formulation rituelle incompréhensible (hors le "ite missa est"" libératoire).,<br /> Quant à faire de ce latin un sujet de polémique, ou simplement de débat, n'est-ce pas entrer dans le jeu de ceux qui mettent leur pas dans ceux de Saint Pie X ; et qui ne conçoivent une langue de célébration et d'édiction religieuse que comme destinée à "(fixer) les interprétations ne varietur" ?
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J
Cet article offre une très éclairante analyse de l'usage des langues dans les traditions et les pratiques religieuses judéo-chrétiennes. Je partage pleinement les conclusions de fond qui en sont tirées. Seule réserve : je doute que les langues véhiculaires permettent aujourd'hui aux fidèles de vraiment "comprendre ce qu'on leur dit" au plan des "vérités" dogmatiques... Mais il s'agit là d'un autre problème - non plus d'ordre linguistique, mais d'ordre doctrinal. Ce qu'on leur dit devrait être radicalement repensé dans le cadre de la pensée contemporaine... Un immense défi !
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F
dans mon jeune temps la messe était dite en latin évidemment et les missels que nous avions donnant la traduction en Français dans les pages "en face"mais qu'est-ce que nous avons pu rire à la messe parce que nous ne comprenions rien ,on se distrayait comme on pouvait!! un jour un gamin dit à la religieuse qui nous accompagnait à la messe :[pourquoi monsieur l'abbé il nous dit "donnez -moi vos biscottes"?] en fait c'était "dominus vobiscum "....ahahaha...alors OUI reprenons le latin à la messe et rions! FJ
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