Et si « l’Internationale » avait raison ?
Et si « L’Internationale » avait raison : « Du passé faisons table rase… » (couplet 1 de la version imprimée de 1887) ? Autant pour un pays « ignorer son passé (le) condamne à le revivre » (W. Churchill), autant pour les relations entre nations ce pourrait être un préalable indispensable.
J’appartiens à la génération qui était enfant durant la Deuxième guerre mondiale. Nourris d’histoires atroces de la Première,, et même parfois de celle de 1870, on appelait « boches », et pas autrement, nos voisins et « ennemis héréditaires » allemands. La brutalité des hordes hitlériennes, la « barbarie » des SS et de la Gestapo, les privations quotidiennes que nous imposait l’occupation ne portaient pas à une grande sympathie. Sans le vouloir, peut-être, nos ascendants entretenaient en nous une véritable haine, dans un style moins brillant que celui de Léon Bloy dans Sueurs de sang (sur la Guerre de 1870, publié en 1893), mais aussi rageur, voire aussi revanchard.
Bref, si l’on nous avait dit, à l’époque, qu’un jour nos deux pays vivraient non seulement dans une certaine amitié, mais surtout dans une efficace coopération, nous aurions été plus que surpris, peut-être choqués, voire scandalisés. Et pourtant ! Qui n’a pas été ému, parmi ceux qui ont connu la guerre, par le « main dans la main » de François Mitterrand et Helmut Kohl le 22 septembre 1984, à Douaumont, où reposent les restes de 130.000 soldats français et allemands tués pendant la bataille de Verdun (1916). Cela a été l'un des gestes symboliques les plus forts de la réconciliation franco-allemande.
Alors pourquoi serait-il impossible, sans nier le poids de contentieux parfois très lourd entre deux nations, que Israéliens et Palestiniens, Français et Algériens, Indiens et Pakistanais, Coréens du Nord et du Sud… et (pourquoi pas ?) Russes et Ukrainiens puissent envisager de se parler, de se traiter à égalité, sinon avec fraternité, mais surtout dans une paix (re)trouvée.
Naïveté ? Mais on aurait pu la dénoncer déjà lorsque certains ont commencé à parler de réconciliation franco-allemande. Dès janvier 1963, Adenauer et de Gaulle signaient le traité de l’Élysée qui, axé sur une coopération accrue entre les deux pays, revenait à reconnaître une réconciliation, même si le mot n’apparaissait pas dans le texte. Avant déjà avec le plan Schumann (1950), un rapprochement avait été instauré, non seulement pour des raisons économiques et dans des perspectives européennes, mais aussi pour essayer de mieux comprendre le voisin et faire évoluer les mentalités, à commencer par celles de la jeunesse.
Et si «L’internationale» avait raison ? (bis) : « La terre n’appartient qu’aux hommes » (couplet 6 de la version imprimée en 1887). Ce qui fait l’unité d’une nation, ce n’est ni le sang rarement « pur », ni le sol seul, dont les limites peuvent varier en fonction des circonstances. On connaît la fameuse définition de Renan : « Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances… » (Conférence du 11 mars 1882 à la Sorbonne). Peut-être, en bon laïc, a-t-il oublié le poids des religions, qui rappellent aujourd’hui cruellement qu’elles peuvent être tantôt un ciment et tantôt un abîme entre des peuples
La colonisation, si mal vue de nos jours (1), mais aussi l’impérialisme contemporain dont certains pays sont victimes (ici ou là en Afrique, Ukraine en Europe etc.) ont voulu ou veulent encore imposer des frontières ne tenant compte ni des réalités sociales, économiques, culturelles, politiques d’un pays, ni des désirs des habitants d’un territoire convoité. Est-il juste de déterminer le statut politique et les frontières d’un pays ou d’une région sans leur assentiment ? Est-ce viable, à terme, sans accumuler les rancœurs, voire les haines ? Des méthodes sont à chercher ; la guerre n’en est jamais une à long terme, car elle appelle à la revanche, or il faut bien négocier un jour avec celui qui vous attaque.
Les échanges de population – puisque la dimension ethnique, l’appartenance religieuse et la langue partagée semblent si importantes – sont douloureux, assurément, mais à coup sûr moins que les morts et les destructions de la guerre. À la suite d’un conflit consécutif à un tracé de frontières contesté, après la guerre de 14-18, Grecs et Turcs y ont procédé, dès avant la signature du traité de Lausanne (juillet 1923). Un million et demi de Grecs ont quitté la Turquie ; 400.000 personnes de confession musulmane, majoritairement turques, ont rejoint la Turquie. Et la tension entre les deux pays est largement retombée.
Ces échanges ne sont certes pas la panacée. L’accession des Indiens et des Pakistanais à l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni (août 1947) a donné lieu à des violences entre populations, en partie liées à des désaccords de frontières. Ont suivi des guerres entre les deux pays en 1947, 1965 et 1971. Le premier conflit a entraîné le déplacement de 12 à 15 millions de personnes, sans régler les problèmes, en particulier au Cachemire. Des violences, attisées par des oppositions religieuses, persistent toujours, entraînant des hostilités avec de nombreux morts.
Il faut donc poursuivre la recherche de solutions, si l’on veut que « la terre appartienne aux hommes » sans conflits, y compris, ne l’oublions pas, ceux provoqués par l’accaparement du sol par quelques super-propriétaires au détriment de la masse des petits paysans. Cherchons !
Marcel Bernos
(1) Et à juste titre pour ses effets néfastes sur les populations, surtout si l’on oublie le contexte historique : faits, mentalités, carence des sciences de l’homme depuis le XVIe jusqu’au XXe siècle, concurrence des Nations etc.