Abus de pouvoir et communion
L’essence de nos relations humaines
Une mort par désespoir – celle de François de Foucauld (1), prêtre du diocèse de Versailles – vient de mettre en relief ce qui l’aurait probablement évitée : écoute première des victimes, puis des accusés, obtention d’un résultat objectif et si possible consensuel, diagnostic suivi de propositions réparatrices, et remèdes préventifs. Ces protocoles, bien connus aujourd’hui, permettent la mise en œuvre rapide de fonctionnements institutionnels précis et sains dans des lieux fraternels permettant conciliation (et pas seulement une négociation discrète, car peu honorable), médiation et accompagnement (et pas seulement l’exercice d’une autorité inégale mal établie).
Ce prendre soin, veiller sur (le beau sens du mot grec épiscopos, évêque) relève du plan fondamental et universel des relations humaines, et le regard aimant d’un Jésus penché sur tous, inconditionnellement, en a amplement donné l’exemple.
Une question sociétale de Droits humains dans la société Église
La hiérarchie de l’Église dispose actuellement des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) mais l’Évangile peut suffire à éviter tout abus. Notons que cette concentration exceptionnelle est due à un droit autoréférentiel qui remonte à quelques siècles seulement.
En cas de conflit, l’Église est-elle différente de tout organisme, individuel ou social, qui dysfonctionne ? Non, et d’ailleurs si les paraboles montrent le Royaume comme le fruit de la communion de tous, l’Église catholique est elle aussi de ce monde.
Or l’effroi du scandale qui nuira à l’Institution entraîne certes chez elle un conflit de loyauté, mais son effroi est tel qu’elle emprunte parfois la piste trompeuse de la fin qui justifierait les moyens : surdité et non-réponses, opacité organisée, destruction de preuves, menaces, négociations proches du marchandage, chantage imposant silence. Les violences sont alors diverses : refus de corps intermédiaires, mise sur la touche, transformation en boucs émissaires, appels à la conversion et à être « raisonnables », tout cela au nom de valeurs réputées chrétiennes, de l’obéissance parfois hissée au niveau d’un noble sacrifice. Les victimes sont isolées, sans recours, perdues d’avance, pour ne pas nuire à une autorité ressentie comme supérieure.
En réalité, le Droit canon (canons 23-28 ; 212-230) ne permet évidemment pas cette élimination des voix gênantes, ni l’offuscation de la vérité, ni cette situation injuste.
Par ailleurs cette crainte de l’esclandre (supérieure, hélas, à la volonté de « guérir » de ce mal) assure aux responsables l’impunité judiciaire, provoque le départ raisonné de nombreux baptisés et déclenche son rejet logique chez ceux qui sont au courant. De plus, elle prive la communauté de celui qui proteste et pourrait être utile : ce refus d’une parole autre, ce refus d’altérité, est déjà une vraie dérive morale qui ne peut que s’accroître, permettre d’autres abus toujours impunis, et d’autres victimes toujours non-réparées, sauf si le droit universel de chacun est à nouveau respecté concrètement.
Rien ne peut remplacer une véritable analyse et la réparation des responsables envers les victimes. Réparation juridique et humaine d’abord et avant tout déterminée par les lois humaines fondées sur la Règle d’Or, une éthique de réciprocité, mais aussi, puisqu’il s’agit ici d’abus internes à l’Église, réparation inspirée par les exigences lumineuses d’une loi d’amour puisée à l’Évangile.
Une déviation pseudo-théologique à redresser ?
Les dérobades de certains catholiques qui refusent de considérer que l’Église, faite d’humains, n’appartient pas à un monde divin de perfection, relèvent d’un comportement quasi-névrotique devant un tabou. Ce n’est pourtant pas un blasphème de dire que c’est un idéal à atteindre, un chemin à prendre ; c’est plus modeste et probablement assez sain.
Pour faire taire des évocations gênantes, certains ont, progressivement et par un faux-idéalisme peut-être, instrumentalisé le contenu même de la Foi au moyen de considérations idéalistes et mystiques avancées comme théologiques. On a « spiritualisé à l’infini le pouvoir afin de l’apprivoiser » (F. de Foucauld), par exemple en exhortant les victimes au pardon. Plus largement, est-il bon et légitime d’oser appuyer sur une grâce sacramentelle ou un don de l’Esprit, un exercice temporel imprégné d’arbitraire ou d’injustice ?
Aujourd’hui, il brûle nos yeux, ce fossé qui s’est marqué entre d’une part l’esprit de l’Évangile et des pratiques sociales juridiques normales (qu’il a inspirées en grande partie !), et d’autre part le Droit ecclésial et ses pratiques par certains aujourd’hui… Regrettons quand il y a lieu ce fossé, ce paradoxe qui nous fait honte, et demandons à ce que la théologie remette en état ces passages de plain-pied entre la société et notre foi, ces liens que certaines préconisations religieuses ont mis à mal.
Un sujet qui ne devrait plus être une gêne : la gouvernance dans l’Église
Les plaintes précises (donc chiffrables) des victimes d’abus sexuels ont permis à la CIASE d’identifier leur cause : des défaillances systémiques. C’est une mort hélas qui vient de mettre soudain en lumière vive les abus de pouvoir internes au sein du clergé : est-il possible de comptabiliser ce suicide, et toutes ces défections physiques ou spirituelles qui en sont le symptôme et la conséquence ?
Bien des protestations s’élèvent aussi de la part de fidèles qui sont par exemple victimes de divorces, d’accidents de la vie, de situations imposées, de choix difficiles, et qui doivent supporter en sus, de la part de l’Église, des jugements, des rejets et des punitions qu’ils trouvent injustes et disproportionnés au sens humain. Ne devrions-nous pas ajouter ces discriminations comme des abus de pouvoir de l’Église dans la mesure où elles ne sont pas fondées sur l’Évangile et ne peuvent se réclamer de son esprit ?
Ces discriminations, même présentées parfois quasi-dogmatiquement, sont souvent relatives au contexte momentané qui les a suscitées : elles sont donc redressables par nature si elles s’avèrent nuisibles.
Par ailleurs, les contributions envoyées pour le Synode sur la synodalité réclament une cohérence avec l’Évangile en tous domaines. Lorsqu’elles évoquent la gouvernance, la plupart souhaitent un partage juste et harmonieux des responsabilités sous le mode du service, un exercice de l’autorité qui permet de collaborer tous ensemble, dans un esprit fraternel et de service mutuel, car une autorité librement acceptée est d’autant mieux reconnue, qu’elle soit juridique ou théologique.
Un espoir à faire advenir
Bonté et beautés d’une Église en chemin. Mais parfois enchaînement d’injustices et de souffrances.
Désaffection vis-à-vis de l’Église Institution, désaffection vis-à-vis du prêtre…
Fidèles réduits au silence s’éloignant de l’Église institution (et de Dieu aussi ?) dans le silence qui leur est imposé…
Nous pourrions pourtant avec « humilité, lucidité et courage » regarder la vérité, ouvrir ce chantier pour faire place aux droits des victimes, et nous reconstruire à la lumière de l’Évangile, en suivant le modèle de Jésus, Pasteur et Serviteur, et l’appel créateur d’un Dieu Père et Mère se suscitant des Fils libres et conscients.
Il se peut même que des victimes qui aiment encore l’Église l’y aident…
Chacun, nous sommes tous concernés.
Marguerite Rousselot
(1) À propos de laquelle nous avons repris dans notre blog deux articles de René Poujol, Après le suicide d'un ami prêtre et Suicide de Versailles : en attente d'une parole vraie, et un article de Bernard de Sinety, Halte au feu ! [N.D.L.R]
Source : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/07/15/abus-de-pouvoir-et-communion/