En quoi une innovation technologique devient-elle un progrès ?
Notre époque n’a plus foi dans le progrès scientifique, nous l’avons constaté lors des campagnes de vaccinations contre l’épidémie de Covid 19 qui se sont heurtées à un mouvement de contestation sociale alimenté par des thèses obscurantistes. Pourtant les périls que nous vivons : péril climatique, péril infectieux, péril démographique… devraient alimenter notre désir de toujours plus de science, plus d’innovations technologiques. Qu’est-ce qui fait que le discours scientifique est toujours mis en cause, au point que la valeur de Bien Commun attachée à l’idée de progrès a tendance à disparaître dans l’opinion publique ?
Qu’est-ce qui fait progrès ? Notre époque n’a-t-elle pas réduit l’idée de progrès à l’innovation technologique, innovations qui pullulent dans toutes les applications des divers champs scientifiques qui envahissent notre quotidien ? Songeons aux innovations numériques sans fin dont nous sommes souvent plus les victimes que les bénéficiaires. La production industrielle aux fins de la consommation individuelle nous a habitués à une culture de l’innovation permanente qui aboutit à caricaturer le concept de progrès. Songeons à l’obsolescence programmée des divers appareils que nous utilisons pour communiquer, se nourrir, nettoyer nos maisons…
La question « qu’est-ce qui fait progrès ? » ne devient-elle pas : « en quoi une innovation technologique, une application scientifique servent-elles le progrès, c’est-à-dire représentent-t-elles une contribution au Bien Commun de l’humanité ? »
Quel seront le ou les critères pour séparer le bon grain de l’ivraie ? Aux dernières Semaines Sociales de France nous avons eu la chance d’écouter deux intervenants : le philosophe Frédéric Worms et Béatrice Oiry professeure d’exégèse biblique pour nous éclairer sur le sujet (1).
Pour Madame Oiry le mythe du Déluge dans la Genèse est un mythe pour aujourd’hui, une boussole pour les périls à venir. Dieu a créé le monde et l’homme mais en créant ce dernier il lui a donné la possibilité d’introduire le Mal dans la Création. Devant l’œuvre du mal, Dieu se repent, il ne peut être complice du mal, l’homme doit disparaître et en conséquence l’humanité va subir l’évènement du déluge. Mais un homme trouve grâce auprès de Dieu : Noé, il se distingue des autres hommes, c’est un homme juste, lui ne doit pas être exterminé. Dieu décide de lui confier le sort de l’humanité, il lui fait construire l’arche où Noé et sa famille prendront place accompagnés d’un couple de chaque espèce animale pour qu’ils puissent se reproduire. Dieu confie la barre de la survie de la Création au juste Noé. Ce mythe du commencement souligne l’importance de la prise en compte de la Justice comme critère de survie pour l’humanité.
Frédéric Worms, lui, s’intéresse au concept de progrès dans le contexte pandémique que nous venons de vivre : pour sortir du Mal les scientifiques nous fournissent le moyen technologique du vaccin, ils nous fournissent une issue, mais si ce dernier n’est pas couplé à une politique de justice sociale : diffusion du vaccin gratuitement à l’ensemble de la population avec les moyens humains de cette politique : les soignants, il n’y aura pas progrès. Qu’on songe à des pays où le vaccin n’a été diffusé qu’aux populations capables de le payer, ou à des populations qui ne bénéficient pas de service de santé publique (2).
Ces deux interventions mettent en relief la prise en compte d’une démarche éthique pour construire un Bien Commun. Le progrès correspond à une extension du patrimoine de l’humanité, les vaccins en sont un exemple typique par la protection qu’ils confèrent pour tous les hommes d’être protégés de la maladie.
L’innovation technologique prend le sens de progrès lorsqu’elle s’insère dans une démarche éthique orientée par la lutte contre les maux de l’humanité et lorsque potentiellement elle bénéficie à tous. Elle ne suffit pas en elle-même à définir un progrès, la recherche de Justice, d’une politique de Justice envers les êtres humains s’avère une boussole pour discerner ce qui va contribuer au Bien Commun. La démarche éthique représente une orientation, mais encore faut-il l’intégrer dans le concret d’une époque, le contexte d’une société avec tous ses champs du possible, au moment où se produit ce que Frédéric Worms appelle « la traversée du négatif ».
Notre époque doit renouer avec le progrès. Face aux périls qui nous menacent, tous les efforts du scientifique, du politique, du technicien… toutes les personnes de bonne volonté doivent s’unir dans la foi de notre capacité à surmonter les fléaux qui menacent notre survie. La pierre scientifique ne représente pas la pierre philosophale des alchimistes du Moyen-Âge mais elle reste une donnée essentielle de notre quête de vérité et de justice.
Christiane Giraud-Barra
- Frédéric Worms, « Les leçons d’une pandémie » ; Béatrice Oiry « Le Christianisme : une boussole pour l’avenir ? », interventions Semaines sociales de France, octobre 2021.
- L’Algérie, l’Egypte… La plupart des pays du continent africain.