A l'écoute de la Parole de Dieu
Dimanche du Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ 19/06/2022
Gn 14, 18-20 ; Ps 109 ; Co 11, 23-26 ; Séquence Lauda Sion ;
Le pain et le vin, « nourriture de base » dans le monde antique ? En tous cas, ils figurent à la table de Jésus (avec l’agneau et le poisson), y compris dans l’iconographie. Ces « produits de la terre et du travail des hommes », fruits de la coopération de l’homme à la création, sont devenus substances symboliques de ce qui tient l’homme en vie. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils soient devenus signes de la présence de Jésus nourrissant « substantiellement » son peuple (Cf. Luc 9, 11-17).
Quelle que soit notre foi en l’Eucharistie, elle reste un total mystère, ainsi que le reconnaît la séquence « Lauda Sion », composée en 1264 par saint Thomas d’Aquin pour la liturgie de la Fête-Dieu instituée par le pape Urbain IV. Ce poème, véritable résumé théologique sur l’Eucharistie, insiste sur la « présence réelle » du Christ dans ce sacrement, mais reconnaissait que : « Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature ». Les Juifs ont bien senti cette difficulté quand Jésus s’est présenté comme « le pain vivant » (Jn 6, 50-61), ils « récriminent » et certains finissent par cesser de le suivre (Jn 6,66).
Sur l’Eucharistie, saint Paul dit transmettre ce qu’il a reçu : et il résume, en 4 versets seulement (I Co 11, 23-27), ce qui constitue le noyau dur du rite catholique. Et il avertit : « Celui qui mange et qui boit mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps du Seigneur » (I Co 11, 29). Cette parole est rude disaient les apôtres. Et qui, sauf « révélation » particulière, peut prétendre qu’il « discerne » réellement et à chaque « communion » le corps du Seigneur. ?
Jésus-Christ a mis fin aux sacrifices sanglants du Temple, parce qu’il a réalisé « une fois pour toutes » et définitivement ce sacrifice sur la croix. « Il n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses péchés personnels, puis pour ceux du peuple ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même » (He 7, 27).
La séquence « Lauda Sion » et l’évangile de Luc, utilisés dans la liturgie de ce jour, vont au delà de l’établissement de l’Eucharistie au Jeudi-Saint. Ils explicitent un point majeur de la théologie catholique : la « Présence réelle » affirmant qu’après la consécration, le Christ est substantiellement, et non de façon simplement « spirituelle », présent sous les apparences du pain et du vin devenus son corps et son sang.
À l'écoute de la Parole de Dieu
On aurait tendance, comme les disciples, à attendre que ce soit Dieu qui prenne l’initiative de nous « nourrir ». Ici, en situation : la présence d’une foule à « évangéliser », mais à jeun, la réponse de Jésus est une véritable interpellation, presque une sommation : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Là encore, on est « loin des lois » non seulement de la nature, mais de la simple réalité : le jour commence à baisser, les villages sont éloignés, les gens présents sont nombreux, fatigués, probablement sans argent pour acheter le pain nécessaire… Suspens.
Il ne faut sans doute pas s’attacher à la réalité historique du « miracle de la multiplication des pains ». Le récit en est pourtant insistant puisqu’outre la nourriture de 5.000 hommes avec seulement 5 pains et 2 poissons, il est resté 12 — symbole du monde achevé — paniers de nourriture, signifiant l’abondance du don. Notons que Jésus ne « fait » pas du pain ou des poissons ex-nihilo ; il part du peu dont on dispose sur place, pour exprimer la valeur multiplicatrice du partage. La scène rappelle, en même temps, la nécessité pour l’homme de recevoir une nourriture matérielle minimale pour être capable d’accueillir un message spirituel. À travers son histoire et ses œuvres de miséricorde, l’Église a compris l’utilité de ne pas annoncer l’Évangile à des gens que la misère pouvait rendre « sourds ». La dévotion seule ne peut tenir lieu de dignité, et les missionnaires ont souvent inventé, parallèlement à leurs prédications, des moyens de faire vivre au quotidien les peuples qu’ils visitaient.
Que faisons-nous aujourd’hui de l’injonction : « Donnez-leur vous-mêmes à manger» ?
Marcel Bernos