Dieu, la souffrance, la haine, le pardon

Publié le par Garrigues et Sentiers

Mercredi soir, 27 avril, l’émission La grande librairie recevait trois victimes des Nazis qui ont témoigné de diverses façons (livres, conférences, etc.) (1). Leurs récits étaient poignants. Personnellement j’étais bien au courant de l’horreur des camps qui apparaît bien édulcorée dans les différents films qui, sans cela, seraient probablement impossibles à regarder. Par contre j’ai appris des choses (horribles) sur ces « marches de la mort » qui ont suivi les sorties des camps, forcées par l’avance des Alliés. Ces trois personnes, différentes, ont témoigné très librement de leurs sentiments : personne ne peut être juge et je pense qu’en l’occurrence on est au-delà de la morale et de toute règle qui pourrait interdire certains propos. D’ailleurs Julia Wallach, l’une des trois, dans une interview qu’elle donnait lors de la sortie de son livre (2), disait qu’elle savait que certains de ses propos devraient être interdits, mais qu’elle se donnait le droit de les tenir !

Au-delà de leurs témoignages factuels qui décrivaient l’horreur vécue, deux questions leur ont été posées vers la fin, leurs réponses me semblent devoir être méditées.

  • Quelle est la place de Dieu dans tout cela ? Vous trois, juive, juif, chrétienne, aviez-vous la foi avant, pendant et quid maintenant ?
  • Avez-vous de la haine, avez-vous pardonné ?

La place de Dieu dans tout cela ?

Il m’a semblé qu’à la première question, trois réponses différentes ont été données, même si les trois semblent rejeter Dieu.

Joseph Weismann avait 11 ans quand il a été raflé et transféré au camp de Beaune la Rolande. Son aventure est racontée dans un livre (3) et une BD (4) parue dernièrement. Ses parents, raflés avec lui, ont été immédiatement déportés, lui a réussi à s’évader avant la déportation en Allemagne : de tous les enfants qui étaient restés dans ce camp, aucun n’est revenu. À la question sur Dieu, il n’a qu’un cri, véhément : « Je suis athée, Dieu n’existe pas, c’est une invention des hommes ».

Julia Wallach, elle, a été dénoncée par des voisins, elle est revenue seule. Le titre de son livre, Dieu était en vacances, s’explique un peu comme une boutade répondue à des collégiens lors d’une conférence. Devant cette horreur qu’elle a vécue, elle ne peut croire en Dieu, elle n’y a jamais cru d’ailleurs, ce qui n’empêchait pas certaines pratiques juives. De plus les souffrances ne l’ont pas épargnée ensuite avec le décès de sa fille ; à partir de là elle n’a même plus pu célébrer le shabbat. Elle se dit athée, et en même temps on ressentait une haine de ce Dieu qui aurait accompagné l’histoire du peuple juif et qui finalement n’existait pas...

Jacqueline Fleury-Marié (5), elle, était catholique quand elle a été arrêtée. Elle était dans la Résistance et c’est à ce titre qu’elle a été envoyée à Ravensbrück. Elle a épousé un homme profondément catholique. Mais à la question de Dieu, elle ne peut répondre, car « il était absent ». Je dirais qu’elle ne peut plus y croire. Sa réponse est qu’elle croit en l’amitié, que là est le sens de sa vie.

Les deux femmes principalement (Joseph Weismann était un peu en retrait pendant cette émission, il n’avait pas été en Allemagne) ont énormément insisté sur la solidarité dans le camp, l’amitié profonde qu’elles ont vécue avec les autres déportées. Et aussi le désir de vie et de bonheur. Pour elles deux l’expérience de cette amitié, de cette solidarité, sont un fait très marquant qui a illuminé leurs vies. Elles croient à l’amour, ont vécu toute leur vie chacune avec un mari et des enfants qu’elles adoraient, elles affirment qu’elles ont été heureuses et le sont encore. Les trois ont fait cette expérience de la valeur de la Vie. Julia Wallach a eu des mots très forts sur ce sujet : elle voulait vivre, et elle le veut encore. La Vie a été la valeur qui l’a conduite jusqu’à maintenant.

Leur témoignage renforce l’idée, développée par Hans Jonas (6), que si Dieu existe (savoir ce que signifie ce terme d’exister accolé au concept de Dieu ? et d’ailleurs Jonas ne parle que de « concept » sans se prononcer plus loin), il ne peut être que bon, et donc il n’est pas tout-puissant, puisqu’il n’est pas intervenu. Mieux, en créant le monde, il a pris le risque de la confrontation à autre que lui, à une opposition, au mal. Dans sa volonté de partager son amour avec autre que lui il a dû perdre le pouvoir absolu qu’on lui prête, le pouvoir d’intervenir dans le monde. Joseph Weismann et Julia Wallach n’ont pas voulu suivre ce chemin indiqué par Jonas, Jacqueline Fleury-Marié semble avoir fait un pas de côté en remplaçant Dieu par l’amour entre les hommes. N’est-ce pas une possible définition de Dieu qu’on puisse donner ? Mais est-elle suffisante ? L’amour entre les hommes n’est-il pas participant d’un Amour autre ? Questions ouvertes, à méditer…

Peut-être – on peut toujours spéculer – la divergence entre cette dernière et les deux autres qui se proclament athées, est-elle enracinée dans leurs situations respectives. Nous pensons à partir de ce que nous sommes, de ce que nous avons vécu et ce que nous vivons.

J. Fleury était résistante. Elle a vécu les mêmes humiliations et le même effort de déshumanisation que J. Wallach, mais c’est comme opposante, en guerre, qu’elle a été ainsi traitée. Elle savait d’où elle venait et payait les risques qu’elle avait pris pour défendre son pays, ses valeurs, etc. Les deux autres ont été arrêtés seulement parce qu’ils étaient juifs, arrêtés pour ce qu’ils étaient.

J. Wallach exprime bien la sidération que cela procure. Leur être était interdit, nié. Ils n’étaient pas des opposants de la Résistance (bien sûr les Juifs étaient opposants, J. Wallach a bien affirmé qu’elle résistait à tout instant !), mais ce qu’ils étaient au plus profond d’eux-mêmes leur était interdit, ils n’avaient pas droit de cité parmi les hommes.

Quand on y réfléchit, là se trouve l’horreur, le reste n’est que la conséquence. Alors, à quoi se raccrocher ? Et justement le Dieu de l’histoire, de leur histoire de peuple choisi, « était en vacances ». L’absence de Dieu dans les camps, dans tous les lieux ou les temps où les Juifs étaient alors pourchassés pour être détruits (cela n’avait rien à voir avec tous les pogroms qu’ils ont subis pendant des siècles car cette fois-ci il s’agissait d’anéantissement, d’exclusion de la Terre), cette absence était insupportable, incompréhensible pour le peuple qui était accompagné par Dieu depuis quatre millénaires. À la fois cela menait à nier son existence, et à le haïr. On peut comprendre.

Quant aux chrétiens, ils n’ont pas la même expérience quotidienne de cet accompagnement de Dieu dans toute leur histoire (surtout parce qu’ils en sont ignorants !), ils n’étaient pas pourchassés pour ce qu’ils étaient, mais pour ce qu’ils faisaient. Cela ne déstabilise pas. Enfin leur foi leur dit que justement ce Dieu a perdu toute puissance en affrontant le mal comme homme, en mourant sur la Croix, et que cette mort n’est pas terminée. Cela ne répond pas à toutes les questions qu’on peut se poser, mais c’est un début de cheminement possible. La réponse par l’amitié profonde entre les hommes est un cheminement, il semble.

La haine des ennemis et le pardon possible ?

À la seconde question, les réponses aussi ont été divergentes. J. Wallach et J. Weismann ont exprimé nettement leur haine qui les habitait pendant ces événements.  « Ni oubli, ni pardon » s’exclame J. Wallach. Et ils ont ajouté que c’est toujours d’actualité. La plus véhémente a probablement été J. Wallach qui dit haïr encore les Allemands (pas seulement les Nazis), qui ont enfanté cette horreur. On peut remarquer que pendant son internement, elle a servi des Allemands, elle n’a pas été confrontée seulement aux SS qui les gardaient, ceci peut expliquer « l’ouverture » de sa haine à tout le peuple. J. Fleury, encore une fois, semble plus apaisée. Elle n’a pas évoqué de haine actuelle...

Évidemment après de tels propos, la question du pardon était un peu surréaliste. « Le pardon, jamais » ont proclamé J. Wallach et J. Weissmann. Quant à J. Fleury, elle a laissé entendre que l’on pouvait dépasser ce que l’on a subi soi-même, mais pas de pardon pour ce qu’elle a vu subir par sa mère ou par les enfants du camp. Mais manifestement elle ne désirait pas préciser, elle est restée évasive. Sur cette question encore une fois, il semble que la situation de chacun et chacune, son histoire, ses racines, les raisons de leur internement sont une partie de l’explication des divergences entre eux.

Reste pour nous la question double : la haine des ennemis et le pardon possible. D’abord, il faut être clair, le pardon ne peut pas dispenser de la justice. Sans justice, pas de possibilité de pardon véritable. Après nous pensons qu’on ne peut exiger le pardon de personne. Il n’existe pas d’exigence morale de pardon. Pardonner, c’est donner de façon intensive (« per » est un préfixe intensif, « donner » est entre autres le fait de renoncer à des biens – matériels ou non, peu importe –, s’en dessaisir pour les offrir à un autre), nul n’y est tenu. Pardonner, c’est renoncer à ce que la justice pourrait exiger pour redonner vie à l’autre (mais encore faut-il que justice ait été rendue).

Mais sans pardon, la vie ne reste-t-elle pas bloquée, celle des bourreaux qui sont enfermés dans leur monstruosité, celle des victimes qui restent dans leur souffrance, celle de la société qui ne peut plus avancer ? On a l’exemple de ce qui s’est passé en Afrique du Sud avec Nelson Mandela, on peut aussi citer les prises de position de Vaclav Havel en Tchécoslovaquie après la chute du régime communiste (7). Mais Mandela avait été personnellement victime, de même que Havel, cela les rendait légitimes pour demander à leurs peuples de rentrer dans un processus de pardon qui, seul, pouvait redonner vie aux bourreaux. Heureux ceux qui peuvent pardonner. Je me souviens du témoignage d’une dame Ivoirienne dont le fils avait été assassiné. Elle s’était adressée quelques années plus tard à l’assassin qui était emprisonné. « Je n’ai plus de haine contre toi, disait-elle, je l’ai dépassée, je ne te veux pas de mal. Mais je n’arrive pas à pardonner, j’espère pouvoir le faire dans l’autre monde ».

Quant aux chrétiens, c’est leur suivi du Christ qui les appelle à pardonner (et pas leur morale).

Nous terminerons avec ces quelques mots de François Cheng que nous citions à propos de Pâques : Le Christ « s'est laissé clouer sur la croix pour montrer au monde que l'amour absolu est possible, un amour "fort comme la mort", et même plus fort qu'elle, capable de dire de ses propres bourreaux : "Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font." Ces paroles adressées à Dieu s'adressent à nous aussi, nous appelant à participer au pardon divin, à unir le devenir humain au devenir divin [… ] Avec lui, la mort n'est plus seulement la preuve de l'absolu de la vie mais celle de l'absolu de l'amour. Avec lui, la mort change de nature et de dimension : elle devient l'ouverture par où passe l'infini souffle de la transfiguration"».

Ces mots nous responsabilisent, nous chrétiens, ils ne peuvent en aucun cas s’imposer à ceux qui ont subi la souffrance, leur liberté doit rester entière.

Marc Durand

Nota – À la fin de l’émission, les deux femmes ont évoqué les horreurs de l’Armée Rouge par laquelle elles ont été libérées et, heureusement pour elles, vite récupérées par les Américains. Et elles évoquent l’Ukraine qui subit cette Armée Rouge qu’elles ont vue à l’œuvre, Ukraine que l’on veut exterminer, le terme revient au-devant de la scène. En 80 ans, remarque J. Fleury, on ne semble pas avoir progressé (ce qui ne signifie pas que ce qui se passe en Ukraine soit du même ordre : les Ukrainiens sont niés en tant que peuple, pas en tant que personnes).

1- L’émission reste visible sur le site de France-Télévision : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-14/3356794-emission-du-mercredi-27-avril-2022.html

2 - Julia Wallach, Dieu était en vacances, Grasset, 2021.

3 - Joseph Weismann, Après la rafle, Michel Lafon, 2013.

4 - Arnaud Delalande et Laurent Bidot avec Joseph Weismann, Après la rafle, Les Arènes, 2022.

5 - Jacqueline Fleury-Marié, « Résistante », Calmann Lévy, 2019.

6 - Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, Payot & Rivages, 1994.

7 - Le système d’apartheid ou les exactions communistes ne sont pas comparables à la Shoah, mais ils posent aussi la question de la haine et du pardon.

Publié dans Réflexions en chemin

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A
Si l’amour entre les hommes est participant d’un Amour autre, on pourrait aussi penser que la haine entre les hommes est participante d’une Haine autre et que le manichéisme est vrai. Je doute que vous suiviez ce raisonnement puisque vous ne croyez pas au Diable et que le problème du Mal est pour vous une «question qu'on peut seulement aborder sous de multiples facettes sans jamais la résoudre totalement(1)». Mais pourquoi croire à une incarnation du Bien en dehors des humains existants, qui peuvent être bons ou mauvais pour des raisons tout à fait de ce monde? Marcel Conche écrivait:<br /> <br /> «Pour Étienne Borne, [...] l’athée, qu’il le veuille ou non, “confesse Dieu”. L’athéisme axiologique suppose en effet un absolutisme moral. Les exigences de la conscience sont absolues. Or qu’est-ce qui est exigé? Que le mal ne soit pas, que le bien soit. Or ce Bien, c’est précisément Dieu. Ainsi, la conscience est, en elle-même, exigence que Dieu soit.<br /> <br /> Cela est moins clair qu’il ne paraît. La conscience n’est pas platonicienne. Pour elle il n’y a que des individus. Le mal et le bien ne sont que par les individus et en eux. Ce que la conscience exige, c’est que, autant qu’il dépend de nous, les hommes et, avant tout, les enfants, soient délivrés du mal, heureux et bons. Loin d’exiger que le bien se réalise À PART des êtres sentants (en un être souverainement bon), ce qui lui importe, c’est seulement qu’il se réalise EN EUX. Un Dieu, pour elle, ne pourrait valoir que comme MOYEN lui permettant d’effacer d’un seul coup le mal du monde. Mais l’exigence de la conscience est entièrement tournée vers le monde, non vers Dieu. (Comment, du reste, tirer d’une simple exigence l’existence actuelle de Dieu?)<br /> <br /> Quant à l’“absolutisme moral”, nous l’admettons; mais qu’est-ce à dire? Les exigences morales valent par et pour l’homme. Elles n’ont de sens que par lui. Si elles sont “absolues”, c’est qu’elles sont le fondement de l’homme lui-même, comme personne. Que serait un homme sans conscience? Un paquet de besoins, de désirs, d’habitudes. Où serait le principe de son identité, de son égalité à soi-même? La conscience (morale) est ce sans quoi l’homme disparaît dans une insignifiance, une inconsistance, un néant. Elle est “absolue” parce que l’homme ne peut la mettre en doute (d’un doute sérieux et pratique) sans se détruire, se décomposer, se vider de lui-même, de la substance de sa réalité humaine, et sans glisser dans l’inhumain. »(2)<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> (1) Dans votre article «Baptême de Jésus – “Libérez-nous du mal”» (12/01/2018).<br /> (2) Marcel Conche, «Christianisme et mal absolu», in Raison présente n°7, 3etrim. 1968.
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A
(Réponse à la réponse de Marc Durand à mon commentaire du 5 mai)<br /> <br /> Il est manifeste que tout échange est bloqué dans l’œuf vu l’impossibilité de trouver un terrain commun. Vous doutez de tout sauf de la Révélation («Dieu vous interpelle? Moi, il m’évite», disait Robert Joly) et de la vérité, qui est Jésus comme cela tombe sous le sens… pour vous!<br /> <br /> Je réalise après coup que votre réponse est stupéfiante. Vous me reprochez en fait de prendre parti pour une faction contre une autre entre croyants et de ne pas soutenir les mêmes idées que vous sur l’interprétation de la Révélation. Mais je n’ai aucune idée à avoir sur la Révélation: je n’y crois pas. Les problèmes internes de votre Église sont les vôtres et que vous croyiez que les fondamentalistes ont tort parce qu’ils donnent une image désastreuse de l’Église est votre affaire. Pourquoi cherchez-vous à tout prix à me persuader du bien-fondé de votre position (j’ai «une idée sous-jacente à laquelle il est temps de tordre le cou») comme si j’étais des vôtres et que je devais impérativement choisir entre des positions divergentes (rigoureusement équivalentes pour moi dans leur nullité) sinon, comme je le dis, pour trouver des moyens, des «expédients» quels qu’ils soient, «pathétiques», pour conforter et conserver votre foi? N’ai-je pas le droit de penser ainsi? N’ai-je pas le droit de traiter de «lamentable» la conférence de Hans Jonas? De quelle autorité assenez-vous (à qui?) qu’«il faut tordre le cou» à toute autre idée que la vôtre sur la Révélation? Pourquoi considérer la Révélation comme un fait établi?<br /> <br /> Je ne reviens donc que sur Auschwitz, dans lequel Jean-Paul II avait vu «le Golgotha du monde contemporain» (donc en chaque Juif Jésus crucifié encore et toujours, et ressuscité au final). L’incroyant que je suis respire tous les jours l’odeur de ce trou du cul du monde et elle m’empêche peut-être de sentir celle sans pourquoi de la rose du pèlerin chérubique, mais cette odeur, je ne l’invente pas, je ne la rêve pas (pourtant, dans mes moments de lassitude, j’ai l’impression d’un cauchemar dont je m’éveillerai un jour). L’incroyant sans complexe que je suis entend tous les jours les cris des enfants suppliciés et ils couvrent peut-être un autre cri qui, par-delà la douleur, l’horreur, l’ignominie, donne la paix (à qui? à l’enfant souffrant?), mais ces cris, Dieu me damne, ne jaillissent pas de l’étrange lucarne, d’un poste de radio, d’un écran en dolby-stéréo (plût au ciel qu’il en fût ainsi, que ce fût du cinéma, de la représentation, du spectacle, du virtuel!).<br /> <br /> Cette odeur, je la sens tous les jours, ces cris, je les entends tous les jours, et je ne peux pas dire amen, pas une seule fois, pas un seul instant, pas un seul jour, jamais. Toutes ces souffrances dussent-elles disparaître demain à jamais, rien ne fera jamais qu’elles n’aient pas été et qu’elles restent donc à jamais éternelles et éternellement injustifiables. Je n’ai jamais le droit de les oublier, je ne peux jamais les oublier, et ce devoir de ne pas perdre la mémoire m’interdit à jamais l’acte de foi, qui me ferait accepter l’inacceptable, prononcer ces mots: «en fin de compte, tout est bien» qui doivent à jamais me rester dans la gorge.<br /> <br /> Armand Vulliet (et non «Vuillet»)
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J
Et la miséricorde ?<br /> Pas le pardon, la miséricorde<br /> Où est la miséricorde divine dans cet article ?<br /> Vous connaissez l’amour inconditionnelle d’une femme pour le bébé encore en elle et même après sa naissance, sa prise d’indépendance. Une femme aime son enfant parce qu’il est fait d’elle-même. <br /> La miséricorde de notre Dieu Père-Mère, est du même ordre, sans aucun préalable provenant de son enfant.<br /> C’est cette miséricorde qui nous interdit de juger qui que ce soit.<br /> Chez les Musulmans, autres fils d’Abraham, on prie de « Tout Miséricordieux »… <br /> François Nugues
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A
Les dialogues tels que vous les rapportez (à moins qu’il ne s’agisse d’extraits des livres, que je n’ai pas lus) ne sont pas rigoureusement fidèles. Jacqueline Fleury-Marié ne dit pas que «Dieu était absent», mais qu’il «nous avait oubliés» et à voir son expression quand elle entend les propos de Julia Wallach ils la choquent manifestement. Autrement dit, elle croit en Dieu, mais il ne joue aucun rôle dans sa vie de tous les jours, fondée sur l’amitié comme chez Épicure. Et devant le commentaire de Julia Wallach sur ce fameux «oubli» («À peu de choses près, c’est la même chose») François Busnel a une excellente réaction: «Je me demande même si ce n’est pas pire». Joseph Weissmann est catégorique: «Moi, Dieu, c’est très simple, il nous a pas oubliés, il était pas en vacances, il existe pas. Pas de Dieu pour moi. C’est l’homme qui a créé Dieu, c’est pas Dieu qui a créé l’homme, donc... Je me pose aucune question.». (Il ne risque pas comme vous de se poser en bon théologien la grave question de la distinction entre Dieu et son concept.)<br /> Je reste toujours pantois quand le seul semblant de réponse qu’on essaie de mettre en avant sur le sujet est la lamentable conférence de Hans Jonas «Le concept de Dieu après Auschwitz». Ces expédients pathétiques d’un croyant au bord de l’abîme, cherchant le biais par où conserver sa foi, j’aurais honte d’en parler, par simple miséricorde. Il aura suffi d’un misérable avant-goût ici-bas du ténébreux séjour (à peine six camps d’extermination pour à peine cinq millions de damnés sur à peine une paire d’années) pour que les affirmations séculaires sur les souffrances éternelles des damnés qui sont le grand nombre sentent tout à coup le roussi et pour que des croyants marchant sur des charbons ardents mais brûlant d’amour pour le salut de l’humanité pécheresse incinèrent le shéol lui-même. Ce qui en dit long sur la rigueur et le courage d’une foi qui peut se permettre de révoquer en doute ses fondements mêmes. Une foi «à la carte», en quelque sorte, où chacun choisit le plat qui lui convient dans le menu. Comme exemple incomparable de cette attitude post-Shoah, Hans Jonas bat tous les records, Il estime qu’après Auschwitz le peuple élu doit non seulement abandonner la notion de la toute-puissance de Dieu (une pacotille, assurément, dans la révélation biblique) mais encore la remplacer par son exact inverse. Dieu s’est entièrement vidé de sa puissance lors de la création. Depuis l’origine du monde, d’une impuissance radicale tel un nourrisson, il ne survit que par la bonne volonté des humains qui s’occupent de lui.<br /> Mais sans le savoir Hans Jonas a dit une belle vérité: la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
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M
Je vais donc laisser « pantois » monsieur Vuillet, avec mon « semblant de réponse » qui ne condamne pas la « lamentable conférence » de Hans Jonas. J’assume totalement mes « expédients pathétiques » que j’utilise pour me rassurer au « bord de l’abîme », et j’apprécie qu’il ait « honte d’en parler, par simple miséricorde »... Je crois pouvoir me passer de cette « miséricorde »-là. Enfin j’assume aussi mon manque de « courage » et de « rigueur », puisque je ne suis (du verbe suivre) pas Monsieur Vuillet dans sa vision de ma foi qu’il semble connaître. <br /> Alors faut-il commenter ce commentaire ? Commentaire qui débouche sur la « vérité » (mot utilisé quatre fois dans la dernière phrase) que semble posséder l’auteur. Personnellement, en disciple de Jésus-Christ, je sais que je ne la possède pas, je la cherche en cheminant, c’est assez différent.<br /> Non, je pense inutile de commenter, de défendre contre des affirmations qui pourraient être soumises à quelque critique…<br /> Par contre on trouve sous ce texte une idée sous-jacente à laquelle il est temps de tordre le cou.<br /> <br /> La Révélation est un processus que nous faisons remonter à 4 millénaires à travers l’histoire d’un peuple à laquelle depuis 2000 ans s’ajoute celle des chrétiens dans leur relation à Dieu (ceci pour faire court car la Révélation déborde largement les « judéo-chrétiens »). Dieu se révèle en passant par les hommes, tels qu’ils sont. Penser que les expressions des temps anciens contiennent toute la vérité est une façon de figer la Révélation, donc de la trahir, c’en est alors le contraire. C’est dans la relecture constante de cette histoire, de tous ces textes qui ont essayé de dire la vérité de Dieu, que nous pouvons le recevoir. C’est en réfléchissant à nouveau, avec une totale liberté, à ce que nous dit cette histoire que nous pouvons être fidèles à la Révélation. Pour les chrétiens, Jésus-Christ a été très clair, nous appelant à le suivre et non à croire des vérités figées. « Je suis la vérité et la Vie ». Alors oui on peut trahir sa foi en édulcorant des textes pour mieux nous servir, car l’homme est libre de suivre ou pas le Christ. Mais chercher à comprendre les textes, et pas seulement ceux de la Bible mais tout ce qui a suivi, en les critiquant au sens noble du terme, comme Kant a écrit ses Critiques, fait partie de notre réception de la Révélation.<br /> Monsieur Vuillet nous demande de figer le tout dans le fondamentalisme, ce qui lui permettrait alors de montrer à quel point notre foi serait vaine. Il y a d’autres chemins sur lesquels chercher notre vérité d’hommes et de chrétiens, dommage qu’il les trouve pathétiques.
C
Chrétiens, nous sommes tous confrontés à la question de l’absence de Dieu. Dans la Shoah mais aussi dans toutes les horreurs actuelles qui sont le fait des hommes dans le monde. Cela questionne d’ailleurs le rôle de la prière : peut-elle changer quelque chose ou est-ce nous qu’elle change ? Déjà on nous a trop présenté Dieu au cours de notre formation chrétienne comme une « personne » au sens anthropologique du terme. Même la définition de la Trinité comme Dieu en trois personnes, difficilement compréhensible, fausse l’image que nous pouvons nous faire de Dieu. Peu à peu je suis arrivée à la conviction que Dieu n’agit pas directement dans le monde. C’est par nous, les êtres humains, qu’il peut agir, et c’est là notre responsabilité. Mais nous sommes encore très loin de l’être humain désiré par Dieu qu’était Jésus. Comme toute la création (dans les douleurs de l’enfantement, selon St Paul) nous avons à évoluer dans ce sens. La question actuelle, c’est « y arriverons-nous avant de nous détruire ? »
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P
sur le pardon, lire le bouleversant "Même les bourreaux ont une âme" de Maïti GIRTANNER, résistante, torturée par la gestapo.
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