Croyants libéraux des diverses religions

Publié le par Garrigues et Sentiers

Il convient d’abord de préciser ce qu’on entend par l’expression : « croyant libéral », quelle que soit sa religion. C’est un croyant qui, en adhérant à sa tradition religieuse, ne renie aucunement son esprit critique et ne cesse de l’exercer tout au long de son existence, comme dans tous ses autres engagements. C’est en effet l’honneur de tout humain de n’adhérer qu’à ce qui est crédible et a du sens pour lui.

La démarche libérale

Elle est exigeante car elle requiert, de la part de qui la pratique, un travail de discernement sur sa propre religion : sur ses textes référents et ce qui en a résulté, sa doctrine, sa morale et son organisation. En effet cet ensemble a pris naissance, a été élaboré et s’est transmis dans la culture du temps, avec les représentations du monde, de l’homme et de Dieu qui avaient alors cours, et dans le langage de l’époque. Or cette culture, ces représentations et ce langage ne sont plus ceux du croyant qui en hérite des générations plus tard. Il en résulte pour lui la nécessité de se livrer à un travail de relecture interprétative des sources de sa religion (la Bible pour les juifs, le Nouveau Testament pour les chrétiens, le Coran pour les musulmans) afin de comprendre dans quel contexte culturel ces textes sont nés, pour quels publics ils ont été écrits. Ainsi peut-il dégager autant que possible le cœur de leur message.

Pour lui, s’en tenir à une lecture littérale des textes fondateurs de sa religion serait une grave infidélité à leurs auteurs et à ceux qui les ont inspirés. Mais il lui reste encore à vérifier si la doctrine, la morale et l’organisation officielle de sa religion s’inscrivent ou non dans la pensée et l’esprit des textes fondateurs. Si des déviances se sont produites, il lui faudra revenir aux textes référents pour une actualisation qui leur soit fidèle. Cette démarche appelle une vigilance constante.

Dans les trois grandes religions que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, on trouve des groupes de croyants libéraux.

Dans le judaïsme

Dans le judaïsme, il ne devrait y avoir en principe que des croyants libéraux dans la mesure où la démarche traditionnelle de la foi juive invite à une réinterprétation permanente de l’héritage reçu dans les conditions toujours nouvelles de l’existence. Une étude sérieuse de la Bible montre en effet combien les croyances n’ont cessé d’évoluer, de s’approfondir et de s’affiner au cours des siècles, du fait d’avoir été remises en cause par des événements, des crises, des prises de conscience successifs. Périmant les croyances anciennes, ils obligeaient à exprimer à nouveaux frais la foi héritée des devanciers et à faire apparaître des nouveautés inédites.

Ainsi en a-t-il été lors des grandes crises survenues en 722 puis en 586 avant notre ère quand les invasions assyriennes puis babyloniennes détruisirent Samarie en Israël puis Jérusalem en Judée : le roi fut emmené en captivité et y mourut, l’élite intellectuelle et religieuse du peuple hébreu fut déportée en Assyrie et à Babylone. Ces épreuves comptent parmi les plus grandes qu’ait connues la religion hébraïque bousculée dans ses fondements mais elles furent en même temps des périodes infiniment fécondes de son histoire. Ainsi, les quelque cinquante années de captivité en Babylonie ont été pour les exilés judéens l’occasion d’une résilience inespérée. En revenant à Jérusalem en 536, ils étaient animés d’une foi novatrice, ouverte, intériorisée, impensable un demi-siècle auparavant. Malgré les recentrages traditionnels qui s’ensuivirent sans tarder, se levèrent toujours par la suite des personnes et des groupes qui entretinrent l’ouverture et la réinterprétation. Les textes qui devinrent la Bible furent écrits et réécrits dans des relectures et adaptations incessantes.

L’autre grande crise que dut affronter la religion juive fut, en 70 de notre ère, la destruction du Temple, l’un des piliers majeurs de la foi juive et la mise à sac de la ville de Jérusalem rasée de fond en comble par les armées romaines. Et pourtant, loin d’être la fin du judaïsme, ce fut pour lui un tremplin de profond renouvellement. Il se reconstitua à Yavné situé dans la province romaine de Palestine autour de ses scribes et de fervents pharisiens, avec comme seule référence la Loi écrite et orale. Ce n’était pas une petite révolution quand on songe à ce que représentait le Temple pour les juifs.

Cela donne à penser que pour toute religion ce qui pendant des siècles s’impose comme un essentiel incontournable peut se révéler un jour comme très relatif ! Depuis vingt siècles, le judaïsme répandu à travers le monde a gardé en plusieurs de ses communautés l’exigence d’une lecture interprétative et actualisante de la Bible, avec les conséquences qu’elle implique dans le domaine éthique, vis-à-vis de la place reconnue aux femmes et dans la manière de célébrer et de vivre les commandements.

La branche libérale du judaïsme français illustre ce renouvellement. « Dès le début du XXe siècle s’organise et se développe en France le mouvement progressiste ou réformiste, sous le nom de l’Union libérale israélite de France (U.L.I.F.), mieux connu sous le nom de « Synagogue de Copernic ». Il a pour objectif d’offrir une religion plus accessible par une simplification des rites, une modernisation du culte et l’introduction du français. Ce judaïsme dit éclairé proclame l’importance de l’amour, croit dans le dialogue avec les autres religions et revendique l’égalité parfaite entre hommes et femmes dans tous les aspects de la vie juive. Il prend un essor bien plus important après la Seconde Guerre mondiale mais reste exclu du Consistoire Israélite de France. En 1977, une scission s’opère et donne naissance au Mouvement Juif Libéral de France (MJLF) qui donne naissance à trois autres communautés libérales au fil des ans. En 2018, il y a douze rabbins libéraux en exercice en France ; cinq sont des femmes dont la plus connue est Delphine Horvilleur. En septembre 2019, l’Union libérale israélite de France et le Mouvement libéral juif de France opèrent un rapprochement qui permet la naissance de Judaïsme en mouvement, animé entre autres par Philippe Haddad et Delphine Horvilleur. » (Site judaïsme libéral sur internet).

Dans le protestantisme

La démarche libérale devrait être en honneur, dans la mesure où le mouvement de la Réforme au XVIe siècle s’est voulu émancipateur par rapport à un catholicisme dominé par une hiérarchie religieuse qui se revendiquait comme la seule instance interprétatrice des Écritures et l’intermédiaire des croyants avec Dieu dans la célébration des sacrements. L’abolition de la hiérarchie religieuse et la mise en valeur du sacerdoce universel où tous sont égaux devant Dieu a été une pratique libérale. Mais les réformateurs ont gardé l’expression de la foi chrétienne définie par les premiers dogmes et leur position demeure aujourd’hui partagée par les grandes Églises protestantes.

C’est cet héritage que remettent en question les protestants libéraux. Attachés à une lecture critique des Écritures à la lumière des résultats de l’exégèse, ils constatent que les grands dogmes christologiques et trinitaires des IVe et Ve siècles élaborés dans une culture grecque et sur la base d’une lecture littérale des évangiles et de Paul (ce qui ne pouvait être autrement à l’époque) excèdent de beaucoup les affirmations du Nouveau Testament. Ils en concluent que ces dogmes sont relatifs à l’époque où ils ont été définis, et ils affirment que les chrétiens de notre temps ont la responsabilité d’exprimer leur foi en lien avec une lecture critique du Nouveau Testament et avec leur culture marquée par les acquis scientifiques.

En France, ils sont représentés au sein de l’Église Protestante Unie (l’EPUF) par la branche protestante libérale dont la revue est Évangile et liberté.  Ils s’y définissent ainsi : « Par souci de vérité, refusant tout système autoritaire, nous affirmons :

– la primauté de la foi sur les doctrines,

– la vocation de l’homme à la liberté,

– la constante nécessité d’une critique réformatrice,

– la valeur relative des institutions ecclésiastiques,

– notre désir de réaliser une active fraternité entre les hommes qui sont tous, sans distinction, enfants de Dieu. »

Numériquement, ils sont minoritaires mais ils sont actifs dans les institutions protestantes et leurs publications sont appréciées. Faisons remarquer en passant la largeur d’esprit de l’Église Protestante Unie de France qui regroupe en son sein non seulement les réformés et les luthériens classiques mais diverses tendances comme la libérale. Pour une présentation détaillée : http://protestantsdanslaville.org/gilles-castelnau-libres-opinions/gl766.htm

Dans l’Église anglicane

Il y a des tendances très contrastées, mais il existe un fort courant libéral. Deux noms en sont emblématiques. Le premier est le théologien anglais devenu évêque, John A. T. Robinson (1919-1983) dont le livre célèbre Honest to God publié en 1963 et traduit en français en 1964 sous le titre Dieu sans Dieu (Nouvelles éditions latines) fit l’effet d’une bombe dans le christianisme. Il remettait en cause les représentations traditionnelles de la foi chrétienne sur Dieu et Jésus élaborées dans des cultures périmées et invitait à repenser à nouveaux frais les affirmations de nos évangiles et de Paul dans notre culture moderne. Incompris et même déconsidéré par une partie de sa tradition religieuse demeurée attachée aux dogmes, il a eu en même temps une grande influence dans les milieux chrétiens enracinés dans la modernité et cherchant à traduire le message évangélique d’une manière crédible.

John Shelby Spong (1931-2021) est l’un des autres promoteurs d’une foi chrétienne libérale. Disciple de Robinson et du théologien américain d’origine allemande Tillich, il s’est appliqué toute sa vie de prêtre et d’évêque à populariser un christianisme libéral croyable en notre temps. Face à la subsistance dans son Église et dans les autres d’une lecture littérale des textes bibliques et évangéliques, il a lutté de toutes ses forces contre ce fondamentalisme aboutissant aux pires contresens et à des conceptions de Dieu et de Jésus incroyables en notre temps. Parallèlement, il s’est employé à présenter un christianisme crédible pour ses contemporains. Une dizaine de ses nombreux livres ont été traduits en français et publiés par les éditions Karthala, parmi lesquels Sauver la Bible du fondamentalisme, Jésus pour le XXIe siècle et Pour un christianisme d’avenir qui est la synthèse de sa pensée.

Dans l’Islam

L’approche libérale de la foi, qu’on appelle parfois l’Islam des Lumières, s’est développée notamment dans les communautés musulmanes vivant en Occident et en Amérique du Nord. En France, elle ne manque pas d’excellents penseurs (comme Mohammed Arkoun (1928-2010), Rachid Benzine et Kahina Bahloul. L’émission sur l’Islam qui est diffusée chaque dimanche sur France 2 consacre une partie de ses émissions à la question de la réinterprétation du Coran et des règles qui régissent traditionnellement la religion musulmane dans notre culture moderne.

Toutefois il n’existe qu’une mosquée libérale à Paris, du nom de Fatima, la fille du prophète, créée en 2019 par un iman, Faker Korchane, et une imame, la première de France, Kahina Bahloul. Animée par eux deux, elle se veut novatrice, dans la mesure où hommes et femmes prient ensemble dans le même espace contrairement à la pratique courante du culte musulman, où dans les mosquées les hommes sont en bas et les femmes sur la mezzanine, cachées derrière un paravent, et dans les mosquées de fortune, ces simples salles à disposition des musulmans, les hommes devant et les femmes derrière. 

Kahina Bahloul, doctorante en islamologie à l’École Pratique des Hautes Études, a écrit en 2021 Mon Islam, ma liberté (Albin Michel)Elle y détaille, dans la seconde partie, les chantiers de la réforme de l’Islam à notre époque. Il s’agit de réinvestir le champ des sciences humaines dans l’approche des sources de l’Islam et de sa longue histoire, laquelle a donné lieu à une multitude d’interprétations, les unes s’en tenant à une lecture littérale du Coran et aboutissant à des doctrines figées et à des commandements puritains ; les autres s’efforçant d’encourager une compréhension du Coran à l’aide de la faculté humaine de raisonner et des divers savoirs humains. Parmi les nombreux penseurs réformistes libéraux récents et actuels, elle rend un hommage particulier à Mohammed Arkoum, d’origine kabyle lui aussi, le père de l’islamologie appliquée, hélas méconnu du grand public.

Susciter cet Islam libéral dans la modernité actuelle, c’est, pour elle, renouer avec la libre pensée philosophique et mystique de l’Islam. Elle en présente à grands traits « une rétrospective historique, mettant en lumière des périodes où la pensée musulmane s’est caractérisée par une audace intellectuelle, une créativité philosophique et un dynamisme exceptionnel ». Et de citer quelques-uns des grands maîtres comme Avicenne (XI° s.), Averroès (XIIe s.), Ibn Arabi (XIIIe s)… Leur démarche est « reproductible à la nôtre, ajoute-t-elle, où l’Islam vit une vraie crise de la pensée, sclérosée par des mécanismes obsolètes, inadaptés aux défis de la modernité et de l’époque contemporaine. […] Dieu n’a pas parlé une fois pour toutes à une génération morte pour se taire à jamais. Il continue de nous parler et il le fera jusqu’à la fin des temps ; à nous de réactualiser notre regard et notre compréhension des textes sacrés. Il s’agit là d’une fidélité, non à leur lettre, mais à leur esprit ». Parmi les questions qui sont à revoir, Kahina Bahloul consacre deux chapitres à la place de la femme qui doit être reconnue l’égale en tout de l’homme et au problème du voile dont l’obligation n’a aucun fondement dans le Coran.

Dans le catholicisme

L’expression « catholique libéral » pourrait-être entendue comme un oxymore, dans la mesure où au substantifcatholique est associé l’adjectif libéral. Elle l’est sûrement si l’on en juge par le catholicisme de Jean-Paul II et de Benoît XVI qui ont durci les positions dogmatiques et morales du Concile Vatican II dont les textes, à les lire attentivement, reprenaient déjà la doctrine traditionnelle ! Les positions officielles catholiques n’ont pas changé.

Cependant des catholiques se revendiquent d’être libéraux aujourd’hui. En quel sens ? Ils refusent l’autoritarisme de la pensée romaine, figée dans un dogmatisme suranné. Se libérer de ce surmoi, solidement arrimé sur leur esprit par le catéchisme de leur enfance puis par les enseignements et les prédications toujours en cours, leur a demandé du temps. C’est au cours d’un long cheminement qu’en se questionnant ils ont pris du recul par rapport à la Vérité catholique prétendument d’origine divine. Laissant entrer en eux, sans les refouler, les interrogations et s’efforçant d’y répondre en évitant l’autocensure, ils ont entamé un chemin de libération. Ils s’y sentent plus vivants et plus libres intérieurement qu’autrefois. Ils sont inspirés entre autres par quelques grands noms du protestantisme et de l’anglicanisme : Dietrich Bonhoeffer, John A.T. Robinson, Paul Tillich, John Shelby Spong et André Gounelle, et aussi par le théologien français Joseph Moingt. Plusieurs, dont je suis, sont rassemblés dans le groupe Pour un christianisme d’avenir (pourunchritianismedavenir@gmail.com). Vivant sur les marges de leur Église, proches de la pensée du protestantisme libéral français, ils sont en relation avec des groupes de catholiques insatisfaits des positions et de l’organisation figées du catholicisme (La fédération du Parvis, La CCBF (Conférence Catholique des Baptisé-e-s francophones…). Ils animent un réseau de personnes dispersées et publient lettre semestrielle.

Un site commun des croyants libéraux

Récemment, à l’initiative de quelques protestants et de catholiques libéraux s’est créé le site Croire en liberté (htpps://croireenliberté.wordpresse.comqui a pour objectif d’être à la fois un espace de rencontre, d’échanges, de publications entre croyants libéraux français et un lieu de découverte pour ceux qui ignorent ce qu’est la foi libérale et ses représentants dans les diverses religions les plus pratiquées en France.

Voici sa présentation : « Devant la montée des divers intégrismes et radicalismes fondamentalistes, et face aussi à la persistance dans les religions des lectures littérales de leurs textes fondateurs, les “libéraux” de diverses religions ressentent le désir d’établir un contact fraternel avec tous ceux, catholiques, protestants, juifs, musulmans, agnostiques qui pratiquent dans l’esprit des Lumières une lecture historique et critique des doctrines et des textes sacrés en s’attachant à leur esprit et non à leur lettre.

Notre mouvement naissant se tient loin de toute position dogmatique sclérosée. Cette attitude, trop présente aujourd’hui, déconsidère les religions en les exposant au regard critique de nos contemporains. Nous voulons être une fraternité qui n’a pas pour objectif la mise en question des prises de position officielles des diverses dénominations religieuses. Nous entendons nous appliquer à une réflexion spirituelle libérale interconfessionnelle qui fasse connaître les dynamiques libérales de chaque “religion”. Elles seront ainsi mieux comprises et soutenues»

Jacques Musset

Source : https://croireenliberte.wordpress.com/2022/05/16/croyants-liberaux-des-diverses-religions/

Publié dans Réflexions en chemin

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A
Pourquoi ai-je écrit: «quand on se réclame de l’esprit et pas de la lettre, chacun peut dire n’importe quoi et la messe est dite»? Parce qu’il me semble que les croyants libéraux, comme quasiment tous les philosophes français aujourd’hui, ne se posent pas un problème simple, qui est pourtant le problème de fond: celui de la vérité (en l’occurrence celle des croyances). Roger Pouivet a écrit un article lumineux, «Les mésaventures de la philosophie analytique de la religion en France» (https://journals.uniurb.it/index.php/NGFR/article/view/3040), où il explique dans le détail le rejet de la philosophie analytique pour cette raison. La notion de vérité n’a pas cours chez les penseurs postmodernes, sinon comme invention historique qu’il faut chaque fois situer dans son temps pour en voir le sens précis, car non seulement aucune vérité absolue n’existe, mais la notion même dans son sens commun: «Dans une part majeure de la philosophie française contemporaine, pourtant bigarrée, la conception honnie est celle de la vérité comme correspondance ou adéquation entre l’esprit et la réalité, comme découverte que le philosophe fait sans rien inventer de son cru, voire dans le respect du sens commun.»<br /> <br /> Extraits de l’article: «[L]a célèbre distinction entre “religion statique” et “religion dynamique” [dans Les Deux Sources de la morale et de la religion de Bergson] [...] a [...] inspiré l’idée que la vraie foi est une aventure intérieure et non l’acceptation raisonnée de dogmes […] nous inventerions la vérité, loin de la découvrir  […] Dans l’idéalisme hégélien, si présent en France après la Seconde Guerre mondiale, la religion devient un phénomène de “prise de conscience” : Dieu n’est pas une réalité indépendante, mais un produit même de l’Esprit se manifestant dans la culture. Si Dieu se manifeste comme absolu, c’est cependant dans une représentation dont la forme sociale est repérable. Cette veine hégélienne se retrouve, quoique conceptuellement appauvrie, dans de nombreuses tentatives d’examiner le “fait religieux” – expression fétiche adoptée surtout dans ce journalisme philosophique si caractéristique du monde intellectuel français. Le philosophe de la religion repère et caractérise la manifestation culturelle et sociale du religieux dans un “vécu” social.  […] L’antirationalisme inhérent à cette conception sociologique transparaît: la religion n’est pas comprise en termes de thèses théistes; et la question n’est pas de savoir si elles sont justifiées. […] Que valent les “preuves”? Les thèses sont-elles consistantes et cohérentes? Les raisonnements sont-ils corrects? Peuvent-ils sans aveuglement volontaire convaincre? La prétendue rationalité du religieux, pour un philosophe français, ne peut même pas être discutée; au mieux on explicite le théisme comme phénomène historique.»<br /> <br /> Le croyant libéral se réclamera sans aucun doute d’une expérience personnelle, mais je doute qu’il se pose la question: «L’expérience religieuse procure-t-elle une raison appropriée pour la croyance religieuse?» Je pense même que cette question lui paraîtrait parfaitement incongrue. La remarque d’un Renan: «Le christianisme n’a qu’un défaut, c’est que ce n’est pas vrai» lui semblera lunaire.<br /> <br /> En bref, pour lui, seul un fondamentaliste se poserait ces questions. La foi est de l’ordre du vécu, pas de la connaissance. Quand Jésus dit: «Je suis la vérité», il n’affirme pas surtout un dogme («Je suis le Fils de Dieu et Dieu lui-même») mais d’abord et avant tout une marche à suivre. Le Nouveau Testament implique peut-être une doctrine, mais seule la pratique, réduite à «celle de grandir en humanité et de participer à l’humanisation de notre monde» (Jacques Musset), intéresse le libéral. Il ne perdra pas son temps à défendre une dogmatique. Je me suis peut-être trompé en écrivant que le chrétien libéral «use [...] de sa raison et [...] estime que la religion peut être défendue rationnellement». En tout cas, c’est le cadet de ses soucis.<br /> <br /> Armand Vulliet
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H
Croyants...<br /> La foi n'est pas un catalogue de croyances, encore moins de dogmes...<br /> C'est la fidélité à Jésus et à son Evangile : elle se traduit en actes dans la vie quotidienne (montre-moi ta foi qui n'agit pas). Ce ne sont pas ceux qui DISENT Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui FONT la volonté du Père : concrètement voir Mathieu chapitre 25. Sur cet amour fraternel, tous les humains qui veulent la paix devraient pouvoir s'entendre. Là se trouve le salut. Relevons le défi. Fraternellement.
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J
Je comprends Mr Vuillet qui ne trouve pas de "lumières" dans le Coran. Il y a certes de nombreux penseurs qui les ont cherché aussi, et je ne serai pas l'exception, car j'aurai pu finir par me convertir *<br /> Quand je dis que "les lumières de l'Islam" nous amènent à l'espoir d'une ouverture d'esprit, sans doute me suis-je mal exprimé, mais je pensais à ce mouvement né en 1991 défendu par Malek Chebel qui a publié en 2004 "Le manifeste pour un Islam des lumières, 27 propositions pour réformer l'Islam".<br /> *Finalement étudier les autres pensées est salutaire pour considérer la supériorité du christianisme.
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A
Dans une lettre à Yvon Quiniou à propos de ses livres Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique (La Ville brûle, 2014) et Pour une approche critique de l’islam (H&O, 2016), je lui écrivis:<br /> <br /> « Vous invitez les “musulmans, de France d’abord”, à “revoir profondément leurs bases doctrinales et donc, leur théologie” (Pour une approche..., p.36.) “On doit donc inviter et même inciter les théologiens de l’islam, puisque c’est lui qui est en cause ici, à une refondation de sa doctrine de base, si cela est possible, et soutenir ceux qui, explicitement, ont le courage de réclamer cette refondation.” (P.57.)<br /> <br /> Mais c’est impossible selon vos propres affirmations. Adonis, à qui, avec Meddeb, vous dédiez votre livre, et dont je considère le livre Violence et Islam comme le meilleur jamais écrit sur la question, ne s’embarrasse pas, lui, de contradictions et de refondation: “Le monothéisme est une distorsion de la culture. Il est à arracher et non à réformer.” (Violence et Islam, Seuil, 2015, p.103.) […]<br /> <br /> Je ne m’étonne donc pas, vu vos contradictions, que vous mettiez à parité Meddeb et Adonis. Abdelwahab Meddeb, comme Mohammed Arkoun, Dounia Bouzar, Rachid Benzine et autres hérauts auto-proclamés d’une “nouvelle pensée” de l’islam [par exemple Malek Chebel], ne dérangeait personne, surtout pas les intellectuels, croyants ou incroyants, “humanistes”, “libéraux”, “démocrates”, “citoyens”, tout ce que vous voudrez, qui figurent sempiternellement à la une des grands journaux et des grandes revues ou des grandes chaînes radio et télévision. […]<br /> <br /> plutôt que de ne mentionner que des auteurs musulmans fréquentables, pourquoi ne pas mettre en avant et faire connaître les auteurs d’origine musulmane ou arabe qui ont rué dans les brancards avec fracas et proclamé leur athéisme, souvent au péril de leur vie et avec une vie exposée et problématique, comme par exemple Waleed Al-Husseini, Djemila Benhabib, Messaoud Bouras, Nadia El Fani (dont le film Ni Allah ni Maître n’a pu sortir que parce qu’elle en changea le titre en Laïcité Inch Allah suite aux affrontements provoqués en Tunisie et qui n’est pas diffusé en salles en Italie), Ayaan Hirsi Ali, Kassa Houari (ce chauffeur algérien de taxi vivant en France, que je rêve de voir dans l’émission Droit de réponse où il figurait avec Mohammed Arkoun et le vice-recteur de la mosquée de Paris, et qui défila dans une des rares manifestations à Paris en faveur de Salman Rushdie en 1988 en brandissant une pancarte portant “Au secours, Voltaire, ils sont devenus fous!”), Marieme Helie Lucas (qui a écrit un article royal sur les événements de Cologne de fin décembre 2015 (1) […]), Taslima Nasreen, Boualem Sansal, Wafa Sultan…? <br /> <br /> Pourquoi s’adresser toujours à des croyants dans le but de les amener à “réformer” leur doctrine, si on la considère comme une infamie, au lieu de soutenir sans relâche devant eux la vérité de l’athéisme en ne se lassant jamais de répéter les arguments qui l’étayent et en refusant tout compromis, c’est-à-dire en pratiquant ce que Clément Rosset appelle le “terrorisme intellectuel”, seule manière de maintenir la pensée dans son domaine, de ne pas l’évacuer, de ne pas la faire verser dans un autre domaine, qui sera inévitablement celui du compromis politique, du marché, de l’alliance, du calcul stratégique, en bref de la banale et sinistre ritournelle des aménagements et des résignations de chacun avec chacun?»<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> (1) «De l’européocentrisme comme cache-sexe, et de l’art de la prestidigitation en politique»: siawi.org/article10591.html
J
J'ai beaucoup de respect pour Jacques Musset, dont le parcours même est un exemple d'ouverture. Il a comme beaucoup de "libéraux" cités, mené son cheminement dans la réflexion, le souci de compréhension (il est juste de dire que ce parcours est exigeant). Certes, comme le dit à sa façon Armand Vuillet, il y a sans doute un peu "d'a boire et à manger" dans ceux qui se réclament d'une libéralité religieuse, car l'exigence dont on a parlé nécessite un véritable travail critique sur les autres tendances, mais aussi sur les siennes.<br /> Je me réclame de ce mouvement libéral chrétien et vit ma foi essentiellement à la lumière des écritures. Certes il y en a qui diront: "que faîtes vous des principes, pratiques, sacrements etc." ? ou "comment peut-on être chrétien si l'on n'est pas attaché à un mouvement historiquement et théologiquement établi (et reconnu).<br /> Avoir cette ouverture nous rapproche cependant étrangement, de nombreux mouvements chrétiens établis et nous permet de les considérer comme frères dans la foi, car il est vrai que les fondements de l'évangile s'y retrouvent. Exigeante, cette position l'est réellement, car on ne peut commencer à essayer de "comprendre" qu'en regardant et écoutant les "autres". Essentiellement ceux du Livre, mais aussi les autres croyances du Monde. Avoir lu trois fois le Coran en le commentant selon ma compréhension, ne fait pas pour autant de moi un musulman, cependant les lumières de l'Islam nous amènent à l'espoir d'une ouverture d'esprit de nos frères croyant dans le même Dieu. Nous nous éloignons ainsi d'un rigorisme malsain chez les autres et chez nous. Chaque matin quand je me réveille, ou après avoir lu un passage de la Bible avec ma compagne, je me fais cette réflexion : Voilà ce que Jésus à dit et montré, si je veux être un bon chrétien libéral, j'ai juste besoin de me demander ce que Jésus ferait !
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A
J’ai oublié de finir ma phrase: «ténèbres, certes éclairées par le Feu pour les infidèles à chaque page, avec l’exquise précision que la peau des damnés repoussera au fur et à mesure de sa calcination pour qu’ils puissent goûter sans mesure leur supplice à plein temps (sourate 4, verset 56).»
A
Je vous félicite d’avoir lu le Coran et d’y avoir trouvé des «lumières». Moi, je n’y ai vu que ténèbres.<br /> <br /> Armand Vulliet
A
Récemment viennent de mourir mes deux maîtres à penser: Marcel Conche et Jacques Bouveresse, que je considérais comme le plus grand intellectuel français vivant. Bouveresse a beaucoup écrit sur la croyance, en particulier sur les rapports de la raison et de la foi (1). Comme le croyant libéral «est un croyant qui, en adhérant à sa tradition religieuse, ne renie aucunement son esprit critique et ne cesse de l’exercer tout au long de son existence», qui use donc de sa raison et estime que la religion peut être défendue rationnellement (2), nous sommes au cœur du sujet. Dans «Sur la rationalité des croyances religieuses. Une discussion de Que peut-on faire de la religion? de Jacques Bouveresse», un philosophe chrétien épistémologue des croyances, Roger Pouivet, qui a régulièrement donné la réplique à Bouveresse, réfute par exemple l’idée de religion comme consolation en donnant cette raison: «Les croyances religieuses seraient acceptées par “les gens”, parce qu’elles sont “agréables” (p.58 [du livre de Bouveresse]). Cette thèse est courante, la religion rendrait la vie plus facilement supportable: on est malheureux en cette vie, on attend la prochaine. La religion serait une consolation. Mais on pourrait aussi bien affirmer le contraire. Ne serait-il pas plus “agréable” de penser que jamais on ne sera soumis à un jugement final sur ses actes? Se convaincre de la vérité du matérialisme n’est-il pas plus consolant? Il serait tellement plus agréable de se dire que, finalement, ce que nous faisons ici-bas de bien ou de mal, n’a pas tant d’importance que cela, qu’il ne faut pas exagérer l’importance de nos pires comportements… de nos péchés. C’est sans doute parce qu’une conception ramollie de la religion a aujourd’hui libre cours qu’on ne craint plus l’enfer. Qui reste pourtant ce qui est promis au pécheur qui ne se repent pas, non?» (https://journals.openedition.org/theoremes/230)<br /> <br /> Je doute vraiment que Pouivet soit un chrétien libéral. Énoncer comme une évidence l’existence de l’enfer! Ce doit être un affreux intégriste: traiter de «ramollis» ceux qui n’y croient pas! Jésus n’est pas venu nous sauver de l’enfer, pas même du péché qui mène à l’enfer. Comme il est la vérité et la vie (Jn 14,6), il est venu nous sauver du mensonge et de la mort, nous apporter la vie éternelle. Les «damnés» se contenteront de mourir, de rejoindre le tombeau, qui est l’enfer comme l’ont bien compris les Témoins de Jéhovah, qui ne sont pas des fondamentalistes comme on les en accuse.<br /> <br /> Si j’en dis si peu, c’est que Jacques Musset est un auteur de Golias et que je suis fatigué de répéter toujours les mêmes choses en pure perte (et pourtant je continuerai à le faire jusqu’à ma mort, car je n’ai pas besoin d’espoir). J’ai écrit il y a plus de vingt-cinq ans une longue lettre à Christian Terras et j’attends comme d’habitude toujours la réponse. Chaque fois qu’on pose des objections précises à un croyant, on récolte soit le silence soit des réponses bateau («c’est un mystère...») et le croyant a toujours l’ultime ressource de dire qu’il a pas la réponse mais que Dieu oui et qu’il la saura dans l’autre monde. De plus, quand on se réclame de l’esprit et pas de la lettre, chacun peut dire n’importe quoi et la messe est dite (3).<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> (1) Entre autres Peut-on ne pas croire? Sur la vérité, la croyance et la foi (Agone, 2007), Que peut-on faire de la religion? (Agone, 2011) ou «Raison et religion: en quoi consiste le désaccord et peut-il être traité de façon “rationnelle”? Bonnes et mauvaises raisons de la croyance et de l’incroyance» (Archives de sciences sociales des religions, n°169, janvier-mars 2015, p.21-46).<br /> (2) Ce qui a toujours été officiellement la position de l’Église catholique, basée sur la parole sans appel de Paul (Rm 1,18-21): «En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui retiennent la vérité captive de l’injustice; car ce que l’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste: Dieu le leur a manifesté. En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses œuvres pour l’intelligence; ils sont donc inexcusables, puisque, connaissant Dieu, ils ne lui ont rendu ni la gloire ni l’action de grâce qui reviennent à Dieu». La suite se perd dans un déferlement de haine, débordant évidemment d’un trop-plein d’amour du prochain.<br /> (3) Robert Kaufmann répondit à une objection que je lui faisais: «Vous me parlez des 3000 tués qui suivent le Décalogue proposé à travers Moïse. On ne peut à la fois nier les aspects historiques des Testaments et se servir de façon fondamentaliste de certains d’entre eux pour illustrer ses thèses. En outre, vous devriez savoir que la plupart des textes bibliques sont des récits symboliques et des paraboles dont le sens reste éternel et non plaqué sur l’actualité immédiate. Combien de fois lit-on dans l’Ancien Testament “la colère de Dieu” de voir son peuple transgresser ses commandements?» Je rétorquai: «Que le massacre de 3000 juifs soit historique ou pas est hors sujet. Je me contente de dire que la Bible dit que 3000 juifs sont tués, que ce massacre est en contradiction avec le commandement, et je ne vois pas en quoi cette lecture serait fondamentaliste. Est-ce ce que dit le texte ou non? S’il ne faut pas comprendre ce passage au sens littéral, pouvez-vous me préciser quel en est le sens symbolique ou “parabolique” et éternel et non lié à l’actualité immédiate? Et où voulez-vous en venir avec votre dernière phrase? Dieu est-il entré dans une colère folle contre les tueurs?» Qui l’eût cru? Pas de réponse...
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