Quelques questions banales sur la démocratie (à ne pas oublier quand même quand on en parle)

Publié le par Garrigues et Sentiers

On répète à satiété le fameux aphorisme de Winston Churchill (1874-1965) : « La démocratie est le pire des systèmes de gouvernement, à l'exclusion de tous les autres qui ont pu être expérimentés à travers l’histoire ». Il l’a prononcé le 11 novembre 1947 à la Chambre des Communes alors qu'il n'était plus le vainqueur de la seconde Guerre mondiale, mais le simple leader de l’opposition.

Et il ajoutait : « La démocratie n'est pas un lieu où on obtient un mandat déterminé sur des promesses, puis où on en fait ce qu'on veut. Nous estimons qu'il devrait y avoir une relation constante entre les dirigeants et le peuple. " Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple " (1) : voilà qui reste la définition souveraine de la démocratie. [...] Démocratie, dois-je expliquer au ministre, ne signifie pas " Nous avons notre majorité, peu importe comment, et nous avons notre bail pour cinq ans, qu'allons-nous donc en faire ? ". Cela n'est pas la démocratie, c'est seulement du petit baratin partisan, qui ne va pas jusqu'à la masse des habitants de ce pays […] Ce n'est pas le Parlement qui doit régner ; c'est le peuple qui doit régner à travers le Parlement ». La consonance de ces phrases avec les frictions politiques de notre temps n’est-elle qu’un hasard ou révèle-t-elle un principe essentiel ?

 

Démocratie directe et démocratie représentative

On reconnait généralement deux types de fonctionnement de la démocratie : en premier lieu, la démocratie directe, où le citoyen peut donner immédiatement son avis et participer effectivement aux décisions politiques par son vote sur des projets de loi. L’affaire des « gilets jaunes » a montré que bien des citoyens rêvent de ce système. Il est évident néanmoins qu’il n’est pratiquement pas possible de l’appliquer aux pays à forte population, sinon pour des décisions locales.

La démocratie représentative pose des problèmes autrement complexes. On l’a souvent accusée de n’être qu’une « oligarchie libérale », un petit groupe d’individus (hommes politiques, « experts » économiques, technocrates…) dépossédant de fait la masse du peuple de son pouvoir décisionnaire. Première réserve : le sytème électoral. Qui va voter ? Tout le monde, théoriquement ce serait le plus « démo-cratique ». Mais à partir de quel âge ? La maturité, voire la vieillesse ne paraisent plus aujourd’hui comme garantie de pondération ; et la jeunesse n’assure pas davantage un dynamisme et des capacités prospectives. Va-t-on ou non exiger un niveau d’études ou un statut social prédisant une aptitude de discernement ? C’est ainsi que certains justifiaient jadis le suffrage censitaire. Mais quels seraient les critères de cette capacité ? Longtemps, ce fut la fortune, prétextant plus ou moins sincèrement que ceux qui avaient des biens à défendre prendraient forcément les décisions les « plus sages ». Mais on voit bien que l’argent ne donne ni la culture politique, économique, culturelle, ni l’assurance que la « sagesse » des décisions ne serait pas au strict bénéfice des favorisés. Cette idée choque aujourd’hui, où nous vivons sous le régime du suffrage universel. Et puis, quelle place pour les partis devenant véritablement des intermédiaires obligés, voire des écrans entre le peuple et le « pouvoir » ? En régime parlementaire, ils deviennent souvent les faiseurs de roi ; en régime présidentiel, les artisans d’une chambre d’enregistrement ou des opposants parfois sans nuances. Et puis, quels modes de scrutins ? Etc.

 

Acquérir une culture politique 

On admettra que pour se prononcer de façon juste sur la politique d’un pays, il serait bon que les citoyens disposent d’une « culture » politique minimale. C’est en ce sens que Victor Hugo souhaitait le développement de l’école. Mais comment juger le niveau de cette culture et des qualités d’honnêteté et d’objectivité des électeurs ? Cet enseignement figure bien, dans nos programmes scolaires qu’on appelait jadis « Instruction civique ». L’expression dit bien ce qu’elle veut dire et révèle son utilité : être un citoyen « conscient et organisé ». Combien de professeurs, cependant, généralement d’Histoire et géographie, ont le souci, ou tout simplement le temps de les dispenser ? Lorsque j’étais élève en classe de terminale (1951), des parents firent une démarche auprès du proviseur pour réclamer que les heures d’Instruction civique servent à terminer les cours d’histoire-géographie en vue du bac. Il est vrai, en outre, que le professeur (excellent) que nous avions n’hésitait pas à aborder les vraies questions « politiques », qui étaient d’ailleurs au programme. Certains craignaient sans doute que cela fasse réfléchir les jeunes.

Il faudrait adjoindre à cette formation scolaire, pour contribuer à l’« éducation » des masses, une presse d’information et des médias libres de toutes pressions des lobbies économiques, politiques ou culturels. On reste étonné, parfois, lorsqu’on découvre les relations entre tels patrons de presse et un journal dont la tonalité est aux antipodes des intérêts de ceux qui le financent. Faut-il s’en réjouir comme si c’était l’effet d’un vif désir de « démocratie » ou s’inquiéter d’éventuels conflits d’intérêts ?

 

Améliorer la démocratie représentative 

Revenons-en à la base de la démocratie représentative. Elle pose maints problèmes : l’idéal théorique serait que toutes les tendances ou « sensibilités » politiques soient représentées à la chambre des « représentants ». Mais on voit bien l’impossibilité de faire fonctionner harmonieusement un exécutif qui dépendrait trop des arrangements de circonstances, des magouilles, des chantages… en dépit des intérêts de la majorité du peuple. Souvenons-nous de la IIIe et même de la IVe République. La Ve a décidé de favoriser un système où se dégage une majorité. Mais celle-ci est, de facto, liée à la volonté d’un président élu lui au suffrage universel – ce qui le dégage sans doute des combinaisons douteuses entre partis, fussent-ils minoritaires – mais fait de lui le centre absolu et trop peu contrôlable de détention du pouvoir.

Les systèmes électoraux ont également leur importance, et parfois leur danger. Par exemple, celui où la volonté des électeurs peut être contrebalancée par un dispositif complexe, où les voix de 538 grands électeurs, représentant les États, prévalent sur la majorité des électeurs. Cela peut aboutir, cas récent dans une « grande démocratie » d’outre-mer, à l’élection d’un président, à vocation « fédérale », n’ayant pas la majorité des voix des électeurs. Son excessive « spontanéité » paraît parfois inquiétante et les décisions déterminantes pour le pays (et le monde) peu réfléchies à long terme.

On se souvient aussi qu’Adolf Hitler a pu accéder à la chancellerie du Reich de façon à peu près démocratique, et à tout le moins légale dans les termes de la Constitution de Weimar, même s’il a profité de la situation d’un pays en désarroi et des manipulations maladroites du vice-chancelier Von Papen et du président Hindenburg, pris au piège des habiles entreprises du parti nazi.

Une proposition à la mode : au lieu d’« élire », tirer au sort. Pourquoi pas ? Cela a fonctionné à Athènes, si tant est qu’on puisse parler de démocratie dans une cité-état où les électeurs ne constituaient que 10 % de la population. On vient d’utiliser, chez nous, le tirage au sort pour désigner les 150 citoyens appelés à la Convention citoyenne pour le climat. Mais si ce procédé ne soulève pas de difficultés majeures pour désigner un membre d’un comité « Machin », est-il applicable à la nomination d’une personne investie des fonctions de gouvernement ?

Le tirage au sort à un parfum de recours « aux dieux ». Dans une société qui n’y croit plus, ne risque-t-on pas d’introduire comme gérant et garant de la démocratie le hasard ? Si la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », définition inscrite dans l’article 2 de notre Constitution de 1958, le hasard peut-il être la voie d’expression de la volonté du peuple ? N’en est-il pas la négation puisqu’il ignore le contenu exact de cette volonté ?

Marcel Bernos

 (1) Définition empruntée à  Lincoln

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