À l'écoute de la Parole de Dieu
Jeudi Saint 14 avril 2022
Ce jour, nous sommes appelés à méditer sur l’amour, la charité (au sens de St Paul dans 1Cor 13, vertu dite la plus haute). Il ne s’agit pas de ratiociner sur ce que peut être cette charité – on en a tellement dit ! - mais d’entrer dans la charité1. Les deux grands théologiens, H.U. Von Balthazar, catholique, K. Barth, réformé, qui ont dialogué toute leur vie, sont unanimes pour affirmer que si l’on ne vit pas dans la charité, amour du Christ, amour des autres, on ne peut rien saisir de sérieux sur l’enseignement du Christ et donc sur la connaissance de Dieu.
Messe chrismale
Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88(89) ; Ap 1, 5-8 ; Lc 4, 16-21.
Cette première liturgie du Triduum proclame ce qui est en train d’advenir. « L’Esprit du Seigneur est sur moi ». L’Esprit va nous informer sur ce que Dieu fait pour nous.
Isaïe annonce la libération des captifs, la consolation pour tous ceux qui sont en deuil dans Sion. Dieu va répandre une huile de joie au lieu du deuil et conclure une alliance éternelle.
Le psaume conforte cette annonce, car « la main du Seigneur sera toujours avec David son serviteur ».
L’Apocalypse appelle la gloire (attribut de Dieu) et la souveraineté sur celui qui nous a délivrés par son sang :
« Moi, je suis l’alpha et l’oméga...celui qui est, qui était et qui vient ».
Nous allons découvrir le Christ souverain, la suite de ces jours nous apprendra comment cela se fera.
Dans l’évangile, Jésus reprend le texte d’Isaïe annonçant l’Esprit du Seigneur qui l’a envoyé proclamer aux captifs la libération, pour annoncer :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Ainsi cette célébration de consécration des « huiles saintes » nous appelle à entrer dans le mouvement animé par le Christ, dans l’économie de notre salut.
Messe du soir
Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115 (116b) ; 1 Cor 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15.
Avec cette messe on entre dans ce temps qui va changer le monde.
Le texte de l’Exode rappelle ce que signifiait la Pâque du Seigneur, libération par Dieu de la servitude, qui est le fondement de la foi d’Israël, et donc de la nôtre aussi. Ce repas pris à la hâte (il ne s’agit pas d’un festin : pain sans levain, herbes amères, agneau rôti) est un repas de communion avec le Seigneur et par la suite l’agneau sera régulièrement sacrifié pour commémorer cette libération. Le peuple doit se mettre en marche, d’où cette frugalité du repas, pris les sandales aux pieds. On ne s’installe pas, quand le Seigneur passe on doit se hâter à sa suite, en abandonnant tout ce qui pourrait entraver la marche.
La réponse est dans le psaume :
« Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâces, j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur ».
La seconde lecture évoque cette charité dont nous avons parlé plus haut. Paul raconte ce qu’on a l’habitude d’appeler « l’institution de l’Eucharistie », terme très formel qui risque d’en faire une pratique formelle, voire magique, alors que c’est un geste de Vie. « Ceci est mon corps, qui est pour vous ». Le corps est la personne entière, on ne sépare pas dans le judaïsme l’âme du corps. La personne de Jésus est pour nous. Et le sang est symbole de sa vie : la Vie de Jésus est pour nous. Ce sont le pain et le sang partagés qui sont le signe (le « sacrement ») de la présence de Jésus parmi nous. C’est en mangeant ce pain, buvant cette coupe, ensemble, en les partageant, que nous faisons advenir Jésus parmi nous. Jésus, en rompant ce pain, en partageant cette coupe, « pour nous » a-t-il précisé, nous fait don de sa personne et dans le même mouvement le Père nous donne son Fils. Tout l’amour de Dieu est là, c’est en rentrant dans cet amour – ceci passe par le partage entre nous – que nous pouvons suivre Jésus sur la route qu’il nous indique. Paul précise encore qu’alors nous proclamons la mort du Seigneur : pour Paul la « mort » du Seigneur n’est pas un point final, elle est indissolublement liée à sa résurrection. Pour lui, proclamer la mort du Seigneur, c’est proclamer l’acte de Salut de Dieu (K. Barth écrira que chez Paul, la mort est utilisée comme une métaphore du Salut et du don), le don de Dieu qui est manifesté dans un acte unique, sa « mort-résurrection ».
Jean, dans son évangile, ne relate pas cette « institution de l’Eucharistie ». Il préfère parler du lavement des pieds. Il insiste ainsi sur la charité bien concrète qui doit nous animer :
« Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi », dit Jésus à Pierre qui était réticent.
Il ne s’agit pas seulement de purification symbolique, mais si Pierre n’accepte pas le geste d’amour de Jésus, geste déplacé de la part d’un Maître, il s’exclut de la relation d’amour, et donc de toute part avec Jésus. Et ce dernier d’insister :
«C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.»
La suite de l’évangile de Jean est toute occupée à appeler les disciples à l’amour qui est le commandement nouveau (Jn 13, 34-35). Le chapitre 14 décrit longuement cet amour de Jésus pour ses disciples, il y revient au chapitre suivant :
« mon commandement c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés... Je ne vous appelle plus serviteurs... je vous ai appelés amis» (Jn 15, 12-15)).
Enfin il faudrait relire le chapitre 17, sorte de testament spirituel de Jésus avant d’entrer dans sa Passion.
En cette soirée du Jeudi-Saint, il n’est pas encore temps de nous lamenter sur l’agonie qui va suivre, mais de rentrer dans cet amour qui unit le Père et le Fils dans l’Esprit et nous inclut dans cette relation. Alors, nous pourrons peut-être comprendre ce qui se joue dans la mort et la Résurrection du Christ.
1 - « Charité » est un mot galvaudé, devenu souvent insupportable. Dans la Bible, il désigne l’amour de Dieu et celui des hommes, « qui lui est semblable » a dit Jésus : si mon amour de l’autre s’enracine dans celui que Dieu me donne et que je veux lui rendre, alors cet amour s’appelle « charité ».
Marc Durand