Quelle prière pour la paix par temps de guerre en Ukraine ?

Publié le par Garrigues et Sentiers

J’imagine qu’actuellement, au cours des messes et des cultes dominicaux dans toutes les églises et les temples chrétiens du monde, sont formulées des prières d’intercession pour la paix en Ukraine. Et que celles-ci, du moins dans les églises catholiques, sont exprimées dans le style habituel, sous la forme de demandes à Dieu dans des termes plus ou moins semblables à ceux-ci : « Pour que cesse la guerre en Ukraine et que vienne une paix juste dans ce pays éprouvé, prions le Seigneur », « Pour que les auteurs de cette guerre injuste prennent conscience de leur injustice et cessent les combats, prions le Seigneur », « Pour que les victimes de cette guerre soient soutenues, aidées, réconfortées, prions le Seigneur », « Dieu, père de tous les hommes, nous te prions de changer le cœur de ceux qui oppriment le peuple Ukrainien », « Viens en aide aux victimes de ceux qui souffrent cruellement de cette guerre », ou encore « Stimule la générosité des pays en paix pour qu’ils viennent en aide au gouvernement et aux populations restées sur place ou qui ont fuient les combats »...

Pourquoi ces demandes sont-elles inacceptables pour un chrétien du XXIe siècle baignant dans la culture moderne ? En quoi peuvent-elles déconsidérer le christianisme aux yeux des agnostiques et des athées à cause des images de « Dieu » et de l’homme qu’elles véhiculent ?

Une première raison est qu’elles donnent de « Dieu » une représentation de toute-puissance sans limite, arbitraire, qui aurait besoin pour intervenir qu’on se mette à deux genoux devant lui pour lui crier sa détresse ou lui clamer ses désirs les plus ardents. Qu’est-ce que cette divinité qui se nourrirait à longueur d’années et de siècles de prières incessantes pour daigner distribuer ses faveurs ? Piètre image du Dieu chrétien qui ressemble davantage aux divinités d’antan dont on imaginait que le pouvoir était efficace à la mesure de prières interminables et de rituels sophistiqués. Qu’est-ce que ce Dieu dont on proclame qu’il est amour et qui prendrait plaisir à se faire prier pour répandre ses bontés, comme s’il était sourd et distrait ?

Il y a plus : c’est aussi la représentation de l’homme qui est en jeu dans cette attitude. Ce comportement de supplications manifeste une indéniable démission de responsabilités de la part de ceux qui les professent. L’objet de ces demandes désigne en réalité des tâches auxquelles chacun des croyants et des humains doit s’employer en raison même de sa qualité d’être humain. Qui, en effet, doit apporter du réconfort à ceux qui souffrent ? D’autres humains. Qui doit créer des conditions de paix entre les personnes et les peuples ? Chaque citoyen à sa mesure et ceux qui sont élus pour cette tâche. Qui doit faire en sorte que les gens mangent à leur faim dans certains pays où règnent la famine et la disette endémique ? Eux-mêmes, aidés par le soutien et la solidarité désintéressés des plus riches. Et ces responsabilités doivent susciter des initiatives concrètes, sinon on en reste à des vœux pieux qui laissent perdurer les pires injustices. Comment améliorer son tempérament porté à la colère ou à l’égocentrisme, comment développer son sens critique ? Soi-même par un lent travail sur soi. On pourrait multiplier les exemples de demandes à « Dieu », qui en réalité dépendent de la responsabilité humaine. Cette façon de procéder ne grandit ni Dieu ni l’homme.

J’entends l’objection : dans la Bible, dans les psaumes notamment, et dans les évangiles, ne recommande-t-on pas aux croyants d’appeler « Dieu » à l’aide ? « Demandez et vous recevrez » dit Jésus. Le Notre Père qu’il a enseigné est une instante prière de demande. Que répondre ? D’abord, il faut entendre la mise en garde solennelle de Jésus contre le rabâchage des formules qui par elles-mêmes seraient efficaces. Le même Jésus ne manque pas de rappeler que Dieu n’a pas besoin des prières pour être présent aux hommes et à leurs besoins (Mt 6,5-8). Et, insiste-t-il : « Ce ne sont pas ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux mais ceux qui font la volonté de mon Père. » (Mt 7, 21-23)

Il faut de plus replacer ces propos dans leur contexte historique et culturel. Pour les auteurs des psaumes, comme pour Jésus, « Dieu » est une réalité transcendante, habitant le ciel et capable d’opérer des miracles là où l’homme constate son impuissance. C’est pourquoi, ils invitent à crier vers lui pour solliciter son intervention, même si l’on est assuré par ailleurs de sa présence fidèle. Avec le progrès des sciences dites exactes et le décapage des sciences humaines faisant suite aux critiques des Lumières, le domaine sur lequel jusque-là Dieu régnait en maître s’est pratiquement rétréci et sécularisé. Nul besoin aujourd’hui de faire intervenir Dieu dans l’explication et la gestion de la nature, dans la compréhension de la psychologie de l’être humain, de ses comportements et de ses maladies, dans l’intelligence des lois dont toute société a besoin pour vivre dans un certain équilibre entre les forces centrifuges qui la composent... Les hommes ont acquis une autonomie dans la conduite de leur existence personnelle et sociale.

Une prière respectueuse de Dieu et de nous-mêmes

Que devient « Dieu » ? S’agit-il d’un épiphénomène qui n’a plus sa raison d’être après avoir été dépossédé de ses traditionnelles prérogatives, ou ne peut-il pas désigner pour les croyants une réalité mystérieusement présente au plus intime de chaque humain, là où prend sa source le meilleur de lui-même : ce qui est de l’ordre du don, de l’art, de l’intériorité, de la connaissance de soi, du refus de l’inacceptable, du consentement et de l’appropriation à ce qui est. C’est ce qu’expriment les mystiques de tous les temps et de toutes les traditions spirituelles.

Ces gens, qui vivent à un niveau d’extrême profondeur de leur être, expérimentent, touchent, disent-ils, une réalité qui sans être eux-mêmes leur est indissociablement liée. L’expérience de ces dépassements, commune à tous les humains qui essaient de ne pas tricher avec les exigences intérieures qui s’imposent à eux, ne postule pas pour autant qu’on y lise la trace de Dieu. S’il est légitime de nommer « Dieu », faute d’autre mot, ce qui est au cœur du mouvement intérieur qui appelle l’homme à s’humaniser sans cesse dans toutes ses dimensions, alors la manière de se positionner vis-à-vis de cette source mystérieuse ne peut plus s’exprimer de la même manière qu’autrefois lorsque Dieu était conçu comme extérieur à soi et tout-puissant en tous domaines.

Quelle prière possible de demande qui soit digne de « Dieu » et de l’homme ? Ce qui reste commun avec les expressions d’antan, c’est la nécessité du recueillement. C’est d’ailleurs une nécessité pour tout homme qui ne veut pas vivre son existence en somnambule ou en girouette. Se donner des temps de silence, quels que soient les lieux et la façon de s’y livrer, est une condition indispensable pour être présent à soi et à son mystère.

Mais comment la prière chrétienne de demande, personnelle ou collective, peut-elle dès lors s’exprimer d’une manière authentique ? Si Dieu est présent au plus intime des êtres et fait en permanence, si l’on peut dire, son travail de Dieu, qui est d’inspirer au plus secret des consciences, sans les téléguider, le goût et le désir du vrai, alors la seule prière de demande qui vaille n’est plus de solliciter Dieu d’intervenir, mais de nous prier nous-mêmes personnellement et communautairement d’être disponibles aux motions, aux exigences, aux incitations (peu importent les mots) qui montent en nous du plus intime lorsque nous avons le souci de vivre sans frauder avec nous-mêmes et avec autrui, selon l’esprit qui animait Jésus.

Comment est-ce possible ? En changeant la façon de nous exprimer. S’il est exact qu’on finit par penser comme on parle, alors parlons vrai pour que nos paroles soient stimulantes individuellement et collectivement et ne restent pas des facilités, simples incantations généreuses sans prise sur la réalité. Ainsi devant « Dieu » (reconnu comme Source, Souffle intérieur), les chrétiens se comporteront comme des êtres majeurs et non comme des êtres infantiles.

Tentons, dans le contexte actuel, ce que pourrait être une prière actuelle respectueuse de Dieu et de nous- mêmes : « Devant toi notre Dieu, nous formulons ce à quoi nous engagent le message et la pratique de Jésus, au moment où l’Ukraine est victime d’une guerre injuste et destructrice qui fait de nombreux morts, plonge ses habitants dans l’insécurité et les oblige à fuir leur pays en état précaire. Qu’à la mesure de ses moyens, chacune et chacun participe aux actions entreprises, pour venir en aide aux réfugiés et à ceux qui demeurent sur place ; pour manifester publiquement notre soutien aux Ukrainiens et notre condamnation de l’agression qu’ils subissent ; pour accueillir et accompagner les réfugiés dans notre région. » 

Jacques Musset 

Source : https://www.golias-editions.fr/2022/03/10/quelle-priere-pour-la-paix-par-temps-de-guerre-en-ukraine/

Publié dans Réflexions en chemin

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C
Oui la prière qui se paye de mots est triste et peut sembler vaine mais qui sait si celui qui en est harcelé ne finira pas par faire quelque chose pour avoir la paix ? La paix justement, l' accueillir en soi et s' en émerveiller, n' est ce pas en cela que réside la prière désarmante ? Enfin, à propos de de "guerre injuste", quésako ? Que serait une guerre juste, celle des brebis contre les boucs ? Je nous sens là devant une de ces impasses de l' humano-christianisme dont on ne se tire que par des pirouettes ajoutant des bosses aux bosses. Que le grand patron m' envoie un ange pour me tirer l' oreille le jour où, terrorisé par quelque diablotin, j'aurais manqué de voir et secourir mon voisin affligé!
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P
Bonjour, <br /> <br /> Une première remarque, la prière me semble d'abord un lien personnel entre le croyant et Celui qui croit en lui. La prière collective, la prière en Église, comme on dit, prend sa place au sein des églises, qu'elles soient catholiques, orthodoxes, protestantes, etc. , lesquelles ont des représentants. C'est la parole de ces représentants qui est entendue par le reste du monde et qui et censée témoigner de l’Église universelle, celle du Christ. Où est aujourd’hui l’Église du Christ ? <br /> <br /> A Moscou, où le patriarche Kirill encourage les soldats russes à reconquérir la "grande Russie" en sachant qu'il va au devant d'un massacre des populations civiles ?<br /> A Rome, où le pape François oublie complétement son prophétisme récent sur les questions écologiques et condamne la fourniture d'armes aux Ukrainiens ?<br /> A Paris où les évêques de France éditent une note pastorale digne d'un congrès "rad-soc" dans laquelle on distingue à peine l'agresseur de l’agressé ?<br /> <br /> Que signifient ces prières pour la paix ? Isabelle de Gaulmyn l'a écrit récemment : <br /> <br /> "Difficile de se contenter de « prier pour la paix », en attendant que les armes cessent. Ou encore de renvoyer les parties dos à dos dans toutes les situations de conflit qui se présentent. Ce qui se passe en Ukraine oblige les chrétiens à préciser leur vision éthique des conflits armés,.."<br /> <br /> Il faudrait ajouter : quel sens a la paix sans la justice ? Que veut dire une paix injuste où l'on oublie qui est l’agressé, celui qui doit défendre sa terre, sa famille, son peuple contre un envahisseur ?<br /> <br /> Rappelons-nous les paroles attribuées au Dieu de la Bible par les prophètes :<br /> "Je hais vos sacrifices, je hais vos prières,... que la justice soit comme un torrent intarissable"<br /> <br /> Nos prières pour la paix sont-elle audibles ?
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B
Proverbes 15:8 =<br /> "Le sacrifice des méchants est en horreur à l'Eternel, Mais la prière des hommes droits lui est agréable".<br /> Notre père Céleste a souvent rejeté ceux qui ne suivaient pas sa voie... et l'ancien testament regorge de ces épisodes. Pour abonder dans votre démonstration de début de commentaire, souvenons nous que l'Eglise a béni avant la bataille, autant les soldats français que les allemands lors de la dernière grande guerre. La prière pour la paix est peut-être une question plus compliquée qu'on l'imagine, mais elle reste nécessaire. Dieu sait qui sont les belligérants !
B
On peut en effet, à notre époque se demander si les prières ne sont pas une forme de récitation futile ou même une façon de se dégager de nos responsabilités ! <br /> Dieu qui voit tout, qui sait tout, qui peut tout faire, n’a pas besoin de nous. Certes, il ne produit pas la misère et nous laisse le plus souvent gérer le monde qu’il nous a confié, mais s’il veut nous « entendre », c’est bien souvent pour nous permettre de nous souvenir de ce que nous lui devons.<br /> Alors certes, nous remercions, nous présentons des actions de grâce et lui demandons de soulager les peines, de ramener les méchants à la raison, d’inspirer ceux qui le louent.<br /> « Faites en tout temps par l'Esprit toutes sortes de prières et de supplications. Veillez à cela avec une entière persévérance, et priez pour tous les saints » Éphésiens 6 : 1. <br /> Tout cela ne nous affranchit pas de produire des « œuvres », de celles qui pourront en effet initier un changement dans les faits et dans les cœurs.<br /> Nos prières devraient à juste titre devenir « agissantes ». Votre constat est pertinent !<br /> De grands hommes et de grandes femmes en tout temps, ont consacré leur vie à inspirer et à agir dans le bon sens. Ils demeurent des exemples !<br /> Les temps ont souvent été troublés – Dans le début de l’épître aux Hébreux, on parlait déjà de « ces jours qui sont les derniers » (version Segond 21). Deux mille ans plus tard, quels sont les signes qui pourraient nous faire penser qu’ils se sont prolongés et arrivent peut-être à leurs termes – car on nous parle dans bien des textes de guerres et de bruits de guerres, de famines et de maladies, choses qui se sont poursuivies depuis… et jusqu’à quand ?<br /> Pourront nous alors être efficaces contre ces prophéties [qui doivent s’accomplir !] quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise et même au-delà de l’intensité de nos prières.<br /> Nous ne connaissons pas l’heure, alors soyons prêts !<br /> Prions, « soyons agissants », « compagnons du Christ». Faisons notre part !
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P
Bonjour,<br /> Je ne voulais pas lancer un débat sur l'efficacité de la prière (débat sans fin), mais juste souligner que vouloir la paix sans la justice est une hypocrisie. Étant peu portés sur la lecture de l'AT, nombre de catholiques l'ont oublié, et pourtant les structures ou associations portant l'étiquette "justice et paix" sont nombreuses : comprenne qui pourra .