Leçons à tirer d’une grève : droits et (ou) devoirs...

Publié le par Garrigues et Sentiers

Pour en faciliter la lecture, nous publions sous forme d’article ce commentaire de Marc Durand sur l’article de Christiane Giraud-Barra, Droits et devoirs : à propos de la grève des éboueurs à Marseille.

G & S

Je me trouve assez éloigné de l’article de Christiane Giraud-Barra.

D’abord gêné par ce qui semble sous-jacent : « en cumulant les droits... nous pouvons penser raisonnablement que très peu de personnes ont honoré leur contrat de travail ». Je ne vois pas comment user de ses droits, reconnus dans le contrat de travail, ferait qu’on ne l’honore pas, il y a une contradiction. Elle est levée si on estime que ces droits (droit de grève, d’arrêt maladie, etc .) sont illégitimes et devraient être supprimés…

L’auteure regrette aussi que la grève perdure « sans risque pour les grévistes d’être pénalisés ». On retrouve cette revendication constante des divers pouvoirs : le gréviste doit être pénalisé quand il use du droit de grève (sous-entendu, sinon c’est simplement qu’il est paresseux, c’est son confort personnel qu’il vise). C’est bien dans l’air du temps : il était bon qu’on matraque les gilets jaunes qui manifestaient (le droit à manifester devant avoir comme corollaire l’autorisation pour la Police de matraquer), on veut punir (et ce n’est pas un vœu pieux !) ceux qui soutiennent les migrants, ceux qui s’attaquent aux discriminations, etc. En bref la population a des droits mais doit en retour accepter d’être punie quand elle en use.

Quant à la pénibilité du métier qui ne serait plus, qui peut le dire ? Moins pénible, c’est évident, mais je n’ai jamais couru quelques heures derrière un camion en « faisant glisser » des bennes pour les vider, je pense sage de ne pas trop se prononcer sur ce sujet (j’ai vu des clients se plaignant que les maçons ne voulaient plus porter les sacs de ciment – 50 kilos à l’époque : pour les avoir portés j’ai pu évaluer le poids de ces jugements…).

Bien sûr il y a des « abus de droit », summum jus, summa injuria. On touche là à la difficulté du Droit que les puissants savent bien mieux utiliser : voir les manœuvres dilatoires de nos dirigeants pour éviter les foudres de la Justice (Pasqua, Tapie... ou Sarkozy, Guéant, Balkany pour citer les plus criants, mais il y en a une foule). Et il semble évident que dans cette guerre du ramassage des ordures à Marseille, cet abus de droit était bien présent. Mais cela ne nous permet pas de tirer un trait de plume sur les droits, de demander à les entraver.

La pente est très dangereuse, et nous voyons actuellement bien des prétendants au pouvoir l’emprunter allègrement. Il faut certainement corriger, travail difficile et délicat qu’on ne peut pas régler d’un trait de plume. En l’occurrence, la source semble bien le pouvoir exorbitant donné à FO à Marseille qui se comportait comme un pouvoir-bis ; à moins que ce ne soit l’exécutif municipal qui était le pouvoir-bis. Les éboueurs étaient tenus et d’adhérer au syndicat et de lui obéir. En échange « on » leur donnait moult avantages. Ne pleurons pas sur FO, et souhaitons que les pouvoirs locaux soient débarrassés de ces chantages insupportables.

Un autre point de l’argumentation me semble extrêmement dangereux : cette fameuse affirmation, qu’on rencontre sans cesse, que les droits sont en balance avec les devoirs. Non, il y a un certain nombre de droits, bien bafoués en ces temps, qui sont fondamentaux. Le Droit reconnaît des « droits fondamentaux » et des droits absolus – ces derniers n’étant pas fondamentaux même si de par leur statut ils l’emportent toujours, ils ne sont pas « octroyés » avec une contre-partie. Le Droit de vivre, être soigné, être éduqué pour se limiter au début de la vie, ne souffrent aucune contrepartie. Qu’en conséquence nous ayons des devoirs, c’est évident, mais ces devoirs sont une conséquence, en un second temps.

Le droit de grève, le droit d’être soigné, le droit aux congés payés, etc. ne se discutent pas, ils ne sont pas en balance avec nos devoirs. Le droit de vivre implique le devoir de ne pas tuer. Mais le meurtrier a cependant le droit inaliénable à la vie, cela a été l’honneur de notre pays d’enfin le déclarer. Et je pense que l’abbé Grégoire, bien connu pour sa demande de balancer les droits avec les devoirs, avait tort. Et il est heureux que les Constituants ne l’aient pas suivi. Il ne s’agissait pas de croire que le monde deviendrait parfait (ceux qui le croyaient ont été les premiers à être broyés), mais de reconnaître la dignité de l’homme en toute circonstance.

Marc Durand

Publié dans Réflexions en chemin

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V
Une fois de plus, bravo! Sur la question des principes, tout est dit. Juste deux remarques personnelles.<br /> <br /> Ce qui m’avait immédiatement choqué dans l’article de Christiane Giraud-Barra, c’est le droit qu’elle prend de parler d’une grève de l’extérieur. Sa remarque sur la pénibilité du travail m’a indigné, comme vous. Facteur pendant plus de trente ans, combien de fois ai-je entendu la sinistre ritournelle «P.T.T.: petit travail tranquille»! Lors d’une grève, la directrice avait cherché à nous faire honte en comparant notre condition à celle des mineurs d’Afrique du Sud. «Tous des feignants!», air connu. Les facteurs qui finissent leurs tournées en larmes, ou qui font leurs tournées en courant littéralement, ou qui arrivent chaque jour la peur au ventre, inconnus au bataillon!<br /> <br /> Quant à la question du leadership syndical, elle est d’abord et avant tout liée à la question du syndicalisme tel qu’il existe aujourd’hui. Je rappelle que la définition des syndicats comme des «partenaires sociaux» n’est pas démocratique mais corporatiste car fondée sur le principe de subsidiarité. Dans ce cadre-là, il n’existe pas d’antagonisme social mais évidemment seulement des «partenaires sociaux». C’est la doctrine sociale de l’Église appliquée (1).<br /> <br /> Armand Vulliet<br /> <br /> (1) Voir le chapitre «Du principe de subsidiarité ou de la “sainte alliance” entre le Vatican et le libéralisme» (p. 91-104) dans Jocelyn Bézecourt et Gérard da Silva, Contre Benoît XVI. Le Vatican contre les libertés, Syllepse, 2006. Ce chapitre fait un rapprochement éclairant entre Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam Smith et la Cité de Dieu d’Augustin (p.102-104).
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V
Réponse à Christiane Giraud-Barra:<br /> <br /> La Cour des comptes ne pactise pas avec le capitalisme: avec Bercy elle en est le fer de lance. Autant dire que le NSDAP pactisait avec Hitler.
G
Je ne désire pas polémiquer sur ce que j'ai avancé et que je confirme, je voudrais seulement rappeler que chaque année la Cour des comptes fait un rapport précis sur le travail des agents municipaux et territoriaux de Marseille et qu'elle en dénonce les dérives, etqu'elle rend compte de la différence entre le travail réel effectué et le travail qui devrait être fait.Ceci dit vous pouvez penser que la Cour des comptes et moi-même, nous pactisons avec les forces du capitalisme dans leur exploitation éhontée des prolétaires et dans leur opposition féroce à la juste lutte des travailleurs...