25 janvier, fête de la Conversion de Saint Paul : Se convertir ? Mais de quelle façon ?
Se convertir... un leitmotiv dans l’Église. Oui l’humanité est bien loin de Dieu et de son désir pour nous et toute la création, oui nous participons à cet éloignement, à tout ce mal qui pourrit notre monde, oui, chacun en nous-mêmes, savons bien que nous ne sommes pas parfaits et passons notre temps à trahir l’amour que Dieu nous propose, à trahir nos frères aussi. Donc, se convertir, oui ! Mais faut-il sans cesse y revenir, demander le pardon et la pitié à longueur des eucharisties ou autres célébrations ? À force de le faire, cela perd son sens. Que penserions-nous d’une entreprise, d’une association, dont les responsables exigeraient à temps et contre temps que nous reconnaissions n’être pas au niveau du travail demandé, commettre des erreurs, manquer de sérieux, de constance, etc. ? Évidemment elle irait à sa perte, et lesdits responsables ne seraient plus écoutés…
Alors demandons pardon au Seigneur, essayons de nous convertir, nous retourner pour le suivre, et passons à autre chose. Nous n’avons pas été créés pour nous lamenter, cessons de fatiguer Dieu avec nos « jérémiades » sur nos insuffisances et trahisons !
Saint Paul nous a montré une autre sorte de conversion, une conversion qui n’annule ni ne dénigre ce qui la précède, mais au contraire le prend en compte parce que dans son contexte c’était une action normale, saine. C’est parce qu’un surgissement inouï est advenu que la situation précédente ne peut plus continuer, que la façon de voir, de comprendre, d’agir, est radicalement modifiée, voire retournée. Il ne s’agit plus de dénoncer des insuffisances ou trahisons, mais d’envisager sous un jour nouveau notre vie. Il s’agit d’une attitude éminemment positive de réponse à l’appel de Dieu.
Pour le mieux comprendre, revenons sur ce qu’a pu être cette fameuse conversion de Paul, qui a marqué un changement total de son action, passant de la persécution des chrétiens à la propagation aussi forcenée d’un message chrétien.
Une rupture dans une continuité
Il s’agit d’une rupture dans une continuité. Paul s’est toujours inscrit dans la recherche de Dieu, avant et après l’événement fatidique de Damas. Juif, Pharisien et fier de l’être, il n’a jamais renié ce statut, il s’en est montré au contraire très fier et s’est appuyé dessus pour se justifier : « ...de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreux ; quant à la Loi, un Pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l’Église ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable » (Ph 3, 5-6).
Comme Juif et Pharisien il défendait la Loi, base de la relation que tout Juif devait avoir avec son Dieu. Cette Loi dont Jésus avait déjà dit que pas un iota n’en serait retiré. Et à ce titre Paul combattait les Juifs qui prenaient leurs aises avec cette Loi, et surtout semblaient proclamer qu’elle était caduque. Jésus, à maintes reprises, avait pris ses distances avec elle, ou plutôt avec ce qu’en avaient fait les prêtres et les Pharisiens, il avait même fait une belle provocation en s’en prenant au Temple, ce qui lui avait valu in fine sa condamnation à mort. La question de Jésus avait donc été réglée. Un bon pharisien ne pouvait pas accepter que ses disciples remettent cela en selle en faisant du prosélytisme partout où se trouvaient des communautés juives.
C’est aussi dans sa recherche de Dieu que Paul a repris la route après Damas pour proclamer partout, et cette fois-ci même envers les païens, que le salut passe par Jésus. En ce sens il ne renie pas son action passée, mais il a découvert un nouveau sens à sa foi qui l’ouvre à une autre compréhension de sa relation à Dieu, sans dénigrer la précédente. La situation a changé : « Tous ces avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du Christ » (Ph 3, 7).
Un surgissement
Que s’est-il passé ? Un événement est advenu, un surgissement, quelque chose d’inouï, au sens fort, qu’on n’avait jamais entendu. Et c’est bien parce que, Pharisien, il brûlait du désir de servir Dieu, qu’il avait été rendu capable d’entendre cet inouï, d’être touché par ce qui advint : l’irruption de Dieu dans la vie des hommes avec l’avènement de Jésus. Cet événement opère un changement total dans la vie de foi de ceux qui l’ont reçu. Jésus a remplacé la place centrale de la Loi par sa personne de Fils mettant en relation les hommes avec son Père. Il a été exécuté sur la Croix comme renégat qui osait s’en prendre au bien le plus précieux des Juifs, à savoir le respect de la Loi qui est le gage de la relation avec Dieu. Sa Résurrection signifie que Dieu est de son côté, il est le Fils du Vivant. Ainsi le Christ prend la place de la Loi dans l’économie du Salut. Jésus n’a pas été qualifié par la Loi, car exécuté par les défenseurs de cette Loi ; sa condamnation est le signe de sa disqualification par la Loi. Il a alors été qualifié par l’acceptation de son sacrifice par le Père : « Le Christ nous a rachetés de cette malédiction de la Loi, devenu lui-même malédiction pour nous, car il est écrit “Maudit quiconque pend au gibet”, afin […] que par la foi nous recevions l’Esprit de la promesse » (Gal 3, 13-14).
Il s’agit bien d’un événement totalement imprévu et non d’une adaptation de l’histoire qui le précédait. Cet événement va changer à la racine la relation des hommes avec Dieu. Ils ne sont plus sous le coup de la Loi. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’annonçaient les prophètes et que devient cette annonce ? Ils ont sans cesse annoncé l’amour de Dieu, amour premier qui précède la réponse de l’homme : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. » (Ez 36, 26-27).
C’est Dieu qui nous a aimés en premier, cela ne change pas avec Jésus qui s’inscrit dans cet enseignement prophétique. Pour les prophètes, Dieu a donné la Loi au peuple, et si celui-ci s’y conforme, il mérite la bénédiction de Dieu qui le récompense. L’économie du salut est un donnant-donnant. Dieu m’aime, m’offre la Loi qui me permet d’obtenir sa grâce en récompense de mon observance.
Avec Jésus, l’amour de Dieu est premier, comme chez les prophètes. Mais la grâce, le don de Dieu, le don de sa Vie, est gratuite. Bien sûr la Loi demeure, c’est celle que nous a donnée Dieu, mais c’est par pure grâce que maintenant Il m’offre la Vie, et non parce que j’aurais des mérites. Je ne suis plus un homme de la Loi qui « gagne son ciel », car c’est désormais le Christ qui vit en moi, pur don qui m’offre la Vie. C’est Lui qui a gagné mon ciel, s’il faut le « gagner » : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce à son égard n’a pas été stérile. Loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous : oh ! Non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. » (Rm 15, 10).
De la logique d’un dû à celle d’un don gratuit
On est passé d’une logique d’un dû, de la récompense (suite à la stricte observance de la Loi) à la logique du don gratuit : « À qui fournit un travail on ne compte pas le salaire à titre gracieux : c’est un dû ; mais à celui qui, au lieu de travailler, croit en celui qui justifie l’impie, on compte sa foi comme justice » (Rm 4, 4-5).
Alors, pour nous maintenant, la conversion attendue est de nous mettre à l’écoute de l’événement de la venue de Dieu dans notre monde, cet événement qui était inouï, non entendu, et qui l’est encore pour chacun d’entre nous car nous n’en avons jamais fini de le comprendre, de le recevoir, de lui permettre de bouleverser nos vies pour recevoir, gratuitement, le don de la Vie. Il est bien difficile de passer de la Loi qui nous permet la récompense à la gratuité du don. D’ailleurs déjà Paul, qui pourtant avait été transformé par cette annonce, n’a pu s’empêcher de parler une fois de la course à gagner : « Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter » (1Cor, 9, 24).
Et surtout le rédacteur de la seconde lettre à Timothée, qui écrit alors que Paul attend son exécution à Rome, ne peut supporter que si l’on a bien combattu on n’ait pas un droit (et non un don) à la récompense : « Et maintenant, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice, qu’en retour le Seigneur me donnera » (2Tm 4,8).
L’annonce de la grâce gratuite offerte par Dieu à tous les hommes a du mal à passer, même auprès des disciples de Paul. C’est chacun de nous, qui, jour après jour, doit faire cette conversion qui nous fait entrer dans l’économie de la Vie de Dieu offerte à tous. Cette conversion nous paraît plus importante – et plus exigeante – que celle, nécessaire aussi, du renoncement à toutes nos trahisons.
Marc Durand