2022 : Pour l’Église catholique, l’année des clarifications nécessaires
Dans les domaines de l’intime et de la sexualité, du sacerdoce commun et du sacerdoce ministériel, de la liturgie, mais encore sur les articles mêmes de la foi, les notions, les « définitions », et les pratiques qui les illustrent et leur donnent réalité et visibilité, flottent, se superposent, se télescopent, se heurtent, se contredisent, se disputent, s’opposent.
Face à cet état des choses, les évêques français semblent s’installer dans l’ambiguïté.
Ceux-là (plus discrets depuis la publication du rapport Sauvé) fustigent l’esprit du monde, le scepticisme et le relativisme éthique, entretiennent une mobilisation doctrinale et militante contre la prise en charge par la société et les institutions politiques de l’intime et de la sexualité, s’enferment dans une opposition entre pastorale et doctrine inapplicable tant théologiquement que pastoralement, encouragent un sacerdoce ecclésiastique soucieux de réaffirmer la différence et les prérogatives du prêtre d’autel et une division du travail entre clercs et laïcs. Certains même n’hésitent pas à « parachuter » dans les paroisses des prêtres qui non contents de se distinguer vestimentairement, ne veulent voir les laïcs que comme des brebis, s’affichent prophètes parce qu’à contre-courant de la société et contempteurs de ses manières de vivre et d’aimer, se conduisent comme si le don de leur personne à Dieu et à l’Église, promu comme un idéal sacrificiel, devait leur procurer compensations, avantages, et monopole des actes sacrés.
Ceux-ci, paniqués qu’ils sont devant les effondrements et l’ampleur du chemin à faire, privilégient les statu quo, s’inscrivent dans une dynamique de la miséricorde dont ils espèrent qu’elle pourrait leur épargner de devoir se confronter aux questions embarrassantes et ne proposent, comme solution à tout, que de tout « spiritualiser. ».
Les plus conformistes, par leur refus de voir qu’un monde qui change n’est pas la fin du monde, les plus ouverts par leur silence et leur immobilisme, confortent, encouragent ou laissent se faire les stagnations et les retours en arrière, permettent les « pagailles » pastorales et doctrinales, font de l’Église au mieux un mille-feuille, au pire une auberge espagnole insupportable et ingérable. Les seconds regrettent leur « paralysie » quand ils deviennent « émérites ».
L’Église et ceux qui s’en réclament ont besoin pourtant de clarification, dans les domaines de l’intime et de la sexualité, du sacerdoce commun et du sacerdoce ministériel, de la liturgie, mais encore sur les articles mêmes de la foi.
Elle doit dire qui elle est, à quoi et à qui elle croit, et quel est « l’offre » qu’elle veut faire aujourd’hui à nos contemporains. Elle doit dire ce qui réunit, fait l’Église, et quelle est sa « mission », qui est Celui qui sauve et ce que notre condition de « sauvé » nous apporte et exige. Elle doit dire si elle veut ou non se mettre en conformité avec ce qu’elle soutient et encourage dans la société : au niveau du gouvernement, sur la place de la femme dans l’institution… Elle doit dire si oui ou non, ses normes morales articulées sur une loi naturelle inaudible et rejetée peuvent être questionnées, si d’autres critères peuvent être mis en œuvre pour les établir.
Ne rien définir sûrement, ne rien « arbitrer », ne rien « excommunier », tout considérer comme catholique et qui pourtant relève d’une rupture avec l’Église conciliaire, d’une contre-réforme politico-religieuse zemourienne… laisser des officines, groupes, mouvements et associations, sites et blogs conservateurs, réacs et décomplexés s’emparer des paroisses et en faire leur chose, tenir des pans entiers de la pastorale sans véritable contrôle et examen, tenir un double discours doctrinal et pastoral, public et privé… ordonner qui se présente et tout bénir est une faute lourde, une faute aux conséquences durables et mortelles. Une faute que quelques-uns regrettent quand, retraités, ils sont qualifiés d’« émérites ».
Exonérer de leurs responsabilités ces évêques en disant – même si cela se voit – qu’ils sont « des erreurs de casting », serait trop facile. Il faut savoir parfois s’élever à la hauteur de la tâche que l’on a acceptée. Il n’est pas interdit de s’entourer des équipes avec qui on trouvera le courage de dépasser ses peurs et incapacités propres pour entreprendre enfin, conduire son diocèse et assumer des choix. Il peut être sage d’oser aussi encourager ceux qui osent sortir de l’unanimité bien-pensante à laquelle semblent obliger les fonctionnements d’une conférence épiscopale plutôt que de participer au silence assourdissant avec lequel la hiérarchie accueille habituellement les propos qu’elle juge intempestifs.
Les clarifications disciplinaires, pastorales, doctrinales sont nécessaires et ces clarification ne peuvent tarder indéfiniment encore à venir.
Le décalage entre l’explicitation des réalités de la foi chrétienne telle qu’elle est portée par l’institution et les approfondissements, éclaircissements, questionnements du travail théologique, exégétique… sociologique, anthropologique, psychologique accompli les cinquante dernières années est devenu insupportable et périlleux. Il est une injure à l’intelligence, au sensus fidelium, à la foi.
Les distorsions, discordances, contradictions, et incohérences actuelles entre le rappel des normes, la mobilisation pour leur respect et les chemins empruntés par chacun, entre la doctrine et la pastorale, entre la doctrine et la miséricorde, entre ce qui, promu et encouragé ad extra et développé ad intra (gouvernement, place des femmes, droits des minorités…) ne peuvent perdurer.
Il faudra bien dire ce qui dans ce tohu-bohu, cette foire d’empoigne est « catholique », appartient ou nonà la tradition vivante de l’Église et de son Concile Vatican II. Il faudra bien affronter la difficile question du statut de la vérité dans l’Église, du statut de l’éthique dans le discours doctrinal et pastoral de l’Église, de l’articulation entre la doctrine et la pastorale, de la légitimité d’un enseignement dit définitif et non négociable, de l’historicité des enseignements du magistère.
Les évêques et les ministres ordonnés doivent encourager le travail de clarification que poursuivent avec humilité, patience, générosité de nombreux groupes adossés aux avancées et promesses d’un concile à recevoir, à assimiler et à continuer. Les frilosités, les replis, les nostalgies des prérogatives d’hier et d’un monde où l’Église contrôlait les âmes et corps, les atermoiements, les compromissions confortables, la double parole, le refus de voir que la puissance du salut traverse l’histoire, ne relèvent ni de la bonne gouvernance ni du courage évangélique.
Patrice Dunois-Canette